Porté par l’imam de Drancy et Président de l’Institut de formation de l’Islam de France, Hassen Chalghoumi, le premier Colloque des Imams d’Europe contre la radicalisation aura lieu entre le lundi 17 février et le jeudi 20 février prochain à Paris. Rassemblant une cinquantaine d’imams, venus notamment d’Italie, d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne et, bien évidemment, de France, cet évènement a vocation à penser un islam ouvert, transparent et structuré pouvant s’appliquer dans l’ensemble de la communauté européenne. Autour d’Hassen Chalghoumi, se rassembleront entre autre les membres de l’Institut de Formation de l’Islam de France.
Un colloque dans un contexte politique marqué par une hausse de l’islamophobie
En France, comme dans d’autres pays européens, le désamour d’une partie des citoyens envers l’islam tend à s’accroître. En octobre 2019, 61 % des Français considéraient l’islam comme incompatible avec les valeurs de la société française, selon un sondage IFOP pour le Journal du Dimanche. Outre-Rhin, une tendance similaire se dessine. 71 % des Allemands affirment que les musulmans souffrent d’un déficit d’intégration dans leur pays. En Belgique, seuls 18 % des Flamands pensent que la pratique de la religion musulmane peut s’intégrer dans le mode de vie occidental.
Dans ce contexte tendu, les partis ouvertement islamophobes gagnent du terrain dans tous les pays d’Europe et contribuent encore à assombrir une relation déjà fragile. Aux dernières élections européennes, en Italie, l’extrême-droite a atteint 51,80 % des voix, 23,30 % en France, 15,09 % en Espagne, 17,20 % en Autriche ou encore 33,70 % en Grande-Bretagne. Les discours islamophobes s’imposent aussi dans le débat public autour de quelques grands concepts à la scientificité très douteuse, comme « l’invasion migratoire », le « grand remplacement » ou les prétendues accointances entre une majorité de musulmans européens et les mouvances radicales de l’islam.
Ces fantasmes qui nourrissent la haine antimusulmane
Raphaël Liogier, sociologue et professeur à l’Institut d’Études politiques d’Aix-en-Provence, dénonce ainsi « l’obsession collective traversant les sociétés européennes » à travers le thème de l’« islamisation », qui recouvrerait deux réalités. Un aspect quantitatif d’abord, lié à la croissance supposément incontrôlée de la communauté musulmane en Europe. Une crainte qualitative ensuite, qui reposerait sur une « intentionnalité musulmane » et une volonté partagée d’envahir l’Occident pour lui imposer une culture exogène. Le paysage mental des Occidentaux est ainsi, selon Raphaël Liogier, ancré dans une phobie croissante de la religion musulmane nourrie par la crainte d’une prétendue invasion. Une lecture pourtant biaisée de la réalité. La communauté musulmane, pratiquante ou non, rassemble environ 5,4 millions de personnes en France, soit environ 8 % de la population. Très loin des chiffres fantasmés avancés par une partie de l’extrême-droite, qui estime que la communauté musulmane s’élève à 15 à 20 millions de personnes en France. Et encore, ces données confondent souvent la pratique régulière d’une religion et l’assignation à une identité en fonction d’une origine géographique et ethnique. En effet, tout individu d’origine maghrébine n’est pas forcément musulman pratiquant. Par exemple, comme le précise Bernard Godard, ancien haut fonctionnaire et spécialiste de l’islam de France, « sur les 53,8 % de Français qui se disent catholiques, seuls 7 % vont à la messe tous les dimanches ». Or, « ce qui est valable chez les catholiques l’est également pour les musulmans, qui connaissent aussi un abandon de la religion », poursuit Bernard Godard. La recrudescence des attentats portés par des individus se réclamant de l’islam radical et la radicalisation grandissante, quoique très minoritaire, d’une partie de la jeunesse musulmane européenne renforcent encore cette défiance mutuelle.
Apporter des réponses au cheminement complexe de la radicalisation religieuse
Pendant quatre jours, les échanges de ce premier colloque vont largement tenter d’apporter des pistes de réflexion concrètes à la radicalisation. Un enjeu d’autant plus complexe qu’il ne semble répondre à aucune réalité sociologique prédéfinie. Les jeunes des classes moyennes coupées de leur filiation originelle se mêlent à des profils désaffiliés vivant dans des conditions extrêmes de précarité. Les atteintes psychiatriques chez les jeunes radicalisés, loin d’être la norme, s’avèrent plutôt marginales. Les garçons n’ont pas une tendance à la radicalisation plus prononcée que les filles. De même, un processus de radicalisation n’entraînera pas nécessairement, bien heureusement, un passage à l’acte violent et meurtrier. Si chaque cheminement est individuel, quelques tendances se dessinent tout de même. Une entrée ou un retour tardif dans l’islam, largement coupé des instances établies et vécu de façon individualisée, et une utilisation affirmée du numérique comme source d’information sont ainsi très largement répandus. Internet est devenu un vecteur de radicalisation virtuelle et un canal privilégié de propagande djihadiste, autant que les prédicateurs autoproclamés qui animent des réseaux islamistes dans certains territoires européens.
Aucun pays d’Europe n’a été épargné par la radicalisation d’une partie de sa jeunesse. La France, avec environ 1 850 personnes impliquées dans les filières djihadistes selon les données du ministère de l’Intérieur, est particulièrement touchée. Pour ce qui relève des départs destinés à rejoindre les zones anciennement contrôlées par l’État islamique, aujourd’hui largement taris, la France est aussi en première ligne, avec environ 1 200 départs, contre 600 pour l’Allemagne, 600 pour le Royaume-Uni, ou encore 440 pour la Belgique. Par rapport à la population globale, la France est aussi dans la moyenne haute européenne, avec environ 18 départs pour un million d’habitants, contre 7,5 en Allemagne, 9,5 en Grande-Bretagne ou encore 14,5 aux Pays-Bas, selon les données fournies par le Centre international d’étude de la radicalisation (ICSR) basé au King’s College, à Londres.
Si l’objectif de ce colloque est européen, sa portée pourrait être internationale. Une partie du monde musulman semble se tourner vers des franges sinon radicales, au moins conservatrices de l’islam. En Tunisie Ennahdha, le parti islamiste, a remporté la Présidence du parlement en novembre dernier. Au Maroc, le gouvernement a lancé une vaste campagne de communication pour lutter contre la radicalisation d’une partie de sa jeunesse.
Avec plusieurs prises de parole, portées notamment par Mostafa Mohamed Kamal, mufti d’Espagne, ou encore d’Ali Mohamed Kassem, mufti de Marseille, le colloque devrait fournir un livre blanc destiné aux pouvoirs publics des différents pays européens afin d’apporter des pistes de réflexion à la lutte contre la radicalisation. Signe de la volonté inclusive et interreligieuse de ce colloque, le grand rabbin de France Haïm Korsia ou encore Robert Badinter sont invités à participer au dîner de clôture.