Pauline Soutrenon est directrice de recherche, et associée, de la start-up grenobloise Comongo, spécialisée dans l’analyse sémantique des données. En parallèle à ses occupations professionnelles, cette chercheuse en traitement automatique des langues (TAL) termine actuellement sa thèse à l’Université Grenoble Alpes. Dans un univers des nouvelles technologies encore très largement masculin, Pauline Soutrenon a imposé ses compétences pour développer et bâtir un outil unique au monde d’analyse de micro-corpus de ressenti utilisant l’intelligence artificielle au service de la stratégie d’entreprise : Comonimage. Rencontre.
Revue Passages : Bonjour Pauline, pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours ?
Pauline Soutrenon : Bonjour. Au départ, j’ai un profil plutôt littéraire. Je ne suis pas du tout issue du monde de la technologie. J’ai commencé mes études par une licence de linguistique car je voulais devenir orthophoniste. En dernière année de licence, j’ai pris mes premiers cours de programmation informatique. C’est ça qui m’a poussé à m’orienter ensuite vers un Master Industries de la Langue, qui mêlait justement linguistique et informatique. Je me suis progressivement mise à la programmation, ce qui représentait un défi pour moi car il y a toute une logique derrière que je ne connaissais pas. Mais mon master m’a donné des compétences doubles en linguistique et en informatique qui m’ont permis de m’orienter vers le monde des nouvelles technologies. Le but pour moi d’apprendre modéliser et à pouvoir communiquer avec des informaticiens. Mais, j’insiste sur ce point, je ne suis pas une informaticienne.
R. P : Et comment vous êtes-vous embarquée dans l’aventure Comongo ?
P. S : J’ai rencontré Stéphane (Labartino, le fondateur et président de Comongo, Ndlr) en deuxième année de Master, à une époque où je me demandais si je voulais faire une thèse. Mon professeur m’a parlé du projet de Stéphane au moment où je commençais à réfléchir à l’idée de faire une thèse CIFRE (des thèses destinées au développement de la recherche en entreprise). Ça m’a tout de suite plu car je ne voulais pas être uniquement dans un laboratoire, et je cherchais une expérience de recherche plus cadrée en entreprise. J’étais intéressée par le côté applicatif, mais également par le fait de pouvoir rencontrer des clients. Stéphane avait une idée très précise de ce qu’il voulait faire. Il nous l’a expliquée et ça m’a tout de suite intéressée, d’autant plus que je n’avais aucune connaissance en sciences de la communication. On a discuté pour voir ce qu’on pouvait s’apporter mutuellement et on est vite arrivés à la conclusion qu’il y avait beaucoup de choses à faire. J’ai commencé comme stagiaire, puis j’ai poursuivi par une thèse et au bout d’un an, Stéphane m’a proposé de m’associer. Je n’ai pas réfléchi longtemps. C’était une opportunité incroyable. Nos compétences étaient et sont toujours fortement complémentaires. Au départ, je connaissais très peu de choses en sciences de l’information, et j’apportais mes compétences en matière de linguistique et informatique. Au final, tout ça s’est mêlé et Comongo se trouve à la croisée de toutes ces disciplines. Cela rend la recherche super intéressante.
R. P : quelles sont vos principales missions au sein de Comongo ?
P. S : Dès mes débuts chez Comongo, et notamment lors de mon stage, j’ai commencé à créer les outils qui sont par la suite devenus Comonimage (le logiciel d’analyse sémantique développé en exclusivité par les équipes de Comongo, Ndlr.). Ma première mission a été de bâtir un prototype de collecte de données (questionnaire) qui nous a permis de mener toute une série d’études pilote. C’était en 2018. Aujourd’hui, toute cette méthodologie a été industrialisée grâce à ce travail en amont et à notre compréhension de ce qui marchait et de ce qui ne marchait pas. Nous avons développé Comonimage en travaillant à la fois sur le questionnaire, sur la précision de l’analyse sémantique de notre outil, et sur l’ergonomie générale de Comonimage qui a vocation à être pris en main par des utilisateurs finaux (les clients de Comongo, Ndlr.) qui ne sont pas des informaticiens. Je suis donc en charge, avec Stéphane, de toutes ces composantes, mais j’interviens également à ses côtés lors des restitutions d’études auprès de nos clients. J’apprécie d’ailleurs beaucoup entendre leurs retours pour y chercher des pistes d’amélioration et voir ce qui les surprend. Je remarque d’ailleurs que si les retours clients sont très différents d’une étude à l’autre, certains découvrant des choses et d’autres validant leurs intuitions, ils veulent quasiment tous savoir en priorité quels points de rejet, d’adhésion, ou quelles attentes le diagnostic va souligner, et quels axes d’amélioration cela va susciter. Lors de ces séances de restitution, j’interviens aussi pour leur expliquer certains de nos choix et notre méthodologie afin de les aider à s’approprier totalement le résultat de l’étude.
R. P : Et vous faites tout ça en préparant votre thèse de doctorat.
P. S : En effet. J’ai commencé ma thèse en novembre 2017 en parallèle à mon travail chez Comongo. Comme tout chercheur j’ai débuté par l’état de l’art et j’ai donc beaucoup lu pour prendre connaissance des recherches récentes sur la question de l’analyse sémantique. Ce n’est pas évident de mener de front la thèse et le travail en entreprise, mais c’est passionnant d’avancer en même temps sur le développement de mon travail de recherche et au sein d’une entreprise en pleine croissance. De plus, ce sont mes compétences et mes connaissances de chercheuse qui me permettent d’être performante dans mon travail de recherche & développement chez Comongo. Si cela représente beaucoup de travail, c’est également source d’excitation car il y a encore beaucoup de marge de progression et d’améliorations à faire pour rendre notre produit plus performant.
R. P : La tech reste un monde essentiellement masculin. Voyez-vous des évolutions vers une féminisation de ces professions ?
P. S : Je suis globalement assez optimiste. J’ai l’impression que les choses évoluent dans le bon sens pour les femmes dans la tech. A titre d’exemple, un peu plus de la moitié des effectifs de mon Master étaient des filles.. Je ne sais pas dire si cela rend compte d’une tendance de fond et d’une féminisation en cours des métiers de la technologie et des sciences de l’information, mais c’est la réalité à laquelle j’ai été confrontée. On ne peut qu’espérer que le changement générationnel entraine une évolution des mentalités.
R. P : On oppose souvent le Big Data à la Beautiful Data que vous développez chez Comongo. Pouvez-vous nous expliquer ces concepts et votre position sur la question ?
P. S : Le Big Data, dont on parle beaucoup, est la capacité d’analyser une multitude de données disponibles en ligne pour en tirer des enseignements et des tendances générales. C’est sur la base de ce type de technologie que des moteurs de recherche comme Google parviennent à obtenir des résultats d’une grande précision en moulinant en quelques microsecondes la totalité des données référencées en ligne. La Beautiful Data, que nous développons chez Comongo part de la logique inverse. Plutôt que de scanner une infinité de données non triées, nous faisons le choix de la sélection de données ciblées et pertinentes pour répondre aux enjeux spécifiques de nos clients et à leur environnement. C’est une approche plus qualitative que quantitative qui répond à nos besoins de contextualisation de l’information à traiter. Pour autant, à force de travailler sur le sujet, je réalise qu’il n’y a pas d’opposition frontale entre Big Data et Beautiful Data. Il y a des méthodes efficaces pour traiter beaucoup de données, et nous, on propose une autre méthode pour traiter des données plus réduites et plus ciblées. Si on applique la méthodologie du Big Data à nos corpus, cela ne donne pas de résultats concluants. C’est la raison pour laquelle on a été obligés d’inventer notre propre méthodologie. Stéphane avait conçu cette méthodologie, et moi je lui ai donné les outils informatiques pour l’industrialiser le traitement de données afin de gagner en vitesse et en efficacité. En clair, notre méthodologie fonctionne pour répondre aux besoins spécifiques de nos clients.
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