L’intelligence artificielle étend son influence dans le domaine médical, ouvrant la voie à des opportunités de diagnostic voire de prévention. Néanmoins, son intégration dans les soins médicaux quotidiens demeure limitée.
En début du mois de juin, Nature Digital Medicine a diffusé un article portant sur un stéthoscope numérique intelligent baptisé Pneumoscope. Ce dispositif de poche, lorsqu’il est placé sur le thorax, peut en quelques minutes établir un diagnostic différentiel pour des affections telles que l’asthme, la pneumonie, la bronchiolite et même le Covid-19. Son fonctionnement repose sur la capture des sons respiratoires, de la fréquence respiratoire et d’autres paramètres, ce qui lui confère une grande précision dans ses conclusions. Cette avancée repose sur un algorithme d’IA élaboré à partir des données de plusieurs centaines de milliers de patients, offrant un « potentiel extraordinaire pour les interventions d’urgence ou les soins dans les zones où l’accès aux médecins est difficile », selon les propos de la Pr. Christèle Gras-Le Guen, responsable des services d’urgences pédiatriques et de pédiatrie générale au CHU de Nantes. La start-up genevoise soutenant le développement de ce dispositif accumule de multiples distinctions à l’échelle internationale et se trouve actuellement en phase de levée de fonds.
Aide cognitive augmentée
Cet exemple illustre de manière exemplaire la dynamique du développement des outils utilisant l’intelligence artificielle dans le secteur médical. Que ce soit en France ou ailleurs, ce domaine connaît une croissance significative dans des domaines tels que la rhumatologie, la cardiologie, la neurologie, entre autres, et il est porté par des start-up. Cependant, le parcours depuis le développement jusqu’à la commercialisation de ces outils, puis à leur intégration dans la pratique médicale quotidienne, est loin d’être simple.
Néanmoins, deux domaines se démarquent par leur avancement dans cette démarche : l’imagerie médicale, en raison de son historique profondément numérisé, et l’oncologie, du fait de la place centrale de la recherche dans cette discipline, offrant ainsi à l’IA une opportunité d’exploiter une abondance de données avec des perspectives économiques encourageantes.
En ce qui concerne la radiographie osseuse, les algorithmes d’IA sont principalement utilisés pour le diagnostic des fractures aux services d’urgences. Le Dr Arnaud Dépil-Duval, responsable du board innovation de la Société française de médecine d’urgence (SFMU), explique : « Une fois un diagnostic établi, le radiologue déclenche l’algorithme. Si le diagnostic de l’IA diffère, le médecin réexamine l’image. C’est finalement lui qui décide si l’erreur diagnostique initiale a été commise ou si l’anomalie détectée par la machine est d’une autre nature ». Ainsi, l’IA agit comme un soutien à la prise de décision, une « assistance cognitive augmentée ». Des approches similaires sont en cours de développement pour la radiographie pulmonaire, l’IRM, la tomodensitométrie, et même dans la surveillance des naevi.
Une nouvelle manière de faire de la médecine
La cancérologie représente un quart de toutes les publications scientifiques axées sur l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé, et cette tendance à la croissance continue. Dans les centres médicaux de pointe, les outils utilisant l’IA sont largement présents, qu’il s’agisse d’intégrer l’IA dans l’analyse automatisée de l’imagerie médicale, l’imagerie d’anatomopathologie, ou encore dans les algorithmes d’exploration génomique. Cependant, il est essentiel de souligner que malgré ces progrès, l’adoption de ces outils demeure inégale, comme le relève le Dr Alain Livartowski, oncologue chez Unicancer. En effet, l’intégration de ces technologies dans la pratique médicale exige une réorganisation des structures, des ressources humaines et financières, le tout dans un contexte parfois marqué par la technophobie et la résistance au changement. Il s’agit en réalité d’une nouvelle approche de la médecine. L’adaptation à ces nouvelles pratiques nécessitera du temps, mais les perspectives en matière de diagnostic sont prometteuses : « L’une des avancées les plus attendues est la capacité à déterminer la nature bénigne ou maligne d’une tumeur par imagerie, sans avoir recours à une biopsie ».
La question de savoir si l’intelligence artificielle peut remplacer le médecin se pose. L’intégration de ces technologies dans la pratique médicale exige que les algorithmes démontrent leur fiabilité et leur utilité. En effet, « leur développement requiert des études cliniques qui vont au-delà des preuves de concept fournies par les entreprises qui les développent », explique Arnaud Depil-Duval. Par ailleurs, leur performance est un élément crucial, ajoute-t-il : « Les électrocardiogrammes traditionnels intègrent une forme d’IA, mais leur capacité à diagnostiquer une crise cardiaque est médiocre en raison de la faible base de données locale ».
L’efficacité de l’IA est intrinsèquement liée au concept de mégadonnées (big data) : plus les données sont nombreuses et de qualité pour alimenter les algorithmes, plus la sensibilité et la spécificité diagnostique s’améliorent. Par conséquent, les développeurs ont besoin d’accéder à des bases de données publiques et/ou hospitalières. En outre, leur validité doit être confirmée : « Un outil développé à partir de cohortes de patients participant à un essai clinique ne peut pas forcément être transposé à une population générale, et un outil développé dans des pays occidentaux peut ne pas être adapté aux pays asiatiques », ajoute Alain Livartowski. Christelle Gras-Le Guen complète : « La communauté pédiatrique a dû travailler pour confirmer scientifiquement que l’algorithme de radiographie osseuse est applicable aux enfants. De plus, d’autres outils proches de la commercialisation, tels que les algorithmes de diagnostic d’infections développés pour les adultes, manquent d’études permettant leur utilisation en pédiatrie ».
Consultation ou non ? Demandez aux symptoms checkers !
Au cours des 5 à 10 prochaines années, l’intelligence artificielle (IA) et l’exploitation des mégadonnées devraient entraîner une transformation profonde dans le domaine de la surveillance médicale et de la prévention, en anticipant les diagnostics. Les outils de vérification des symptômes, communément appelés « symptoms checkers », devraient permettre aux patients d’évaluer la gravité de leurs symptômes et de décider s’il est nécessaire de consulter un professionnel de la santé. Ces outils pourraient également jouer un rôle essentiel dans le triage rapide des patients dans les services d’urgence.
Dans le domaine de la médecine périnatale, des opportunités similaires se dessinent. En Bourgogne, un programme exploratoire est actuellement en cours pour évaluer l’efficacité du séquençage du génome dans la recherche de gènes prédictifs de maladies. Grâce à l’IA, il devient possible d’effectuer ces analyses de manière exhaustive, rapide et adaptée à une utilisation courante. La Professeure Christèle Gras-Le Guen souligne : « Nous assistons aux premiers pas d’une révolution majeure, qui soulève des questions éthiques évidentes. Il est primordial de ne pas se laisser entraîner par la vitesse des avancées technologiques, mais plutôt de prendre le temps d’évaluer en premier lieu les avantages qu’elles apportent aux patients. Le scénario de « Bienvenue à Gattaca » n’est pas aussi éloigné qu’il pourrait sembler ».