Les feux de forêt qui ont ravagé plusieurs dizaines de milliers d’hectares en Gironde cet été ont mis en exergue le manque d’effectifs dans les rangs des pompiers. Sur le terrain, des professionnels de la forêt, des forestiers, des agriculteurs et des chasseurs se sont mobilisés pour prêter main forte aux soldats du feu.
En première ligne pour contenir les incendies forestiers cet été, les sapeurs pompiers ont tiré la sonnette d’alarme auprès des pouvoirs publics et appelé de leurs vœux une augmentation des effectifs et des moyens alloués à la lutte contre les incendies. « Nous sommes actuellement 47 000 sapeurs pompiers professionnels mais nous devrions être 60 000 voire 65 000 » alertait Alain Laratta, secrétaire général du syndicat de pompiers « Avenirs-Secours ».
« Le travail d’une vie » balayé
Les feux de forêt en Gironde ont été dévastateurs, avec des milliers d’arbres et d’animaux morts dans les flammes, sans compter les conséquences économiques pour la région et ses habitants. Un évènement tragique qui remet en question l’avenir des forêts et incite à une réflexion collective sur les moyens de les protéger estime Dominique Jarlier, maire de Rochefort-Montagne et président de la fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) : « Le Covid a mis la lumière sur la crise de l’hôpital, (…) ce serait bien que ces incendies géants soit l’occasion de se questionner sur nos forêts, sur ce qu’elles représentent pour nous, et sur la manière dont on veut les protéger à l’avenir ».
Car ces événements ont aussi bouleversé les forestiers qui tentent désormais de se relever de ce « drame humain » qui, en quelques heures, a balayé « le travail d’une vie », se désole Stéphane Viéban, directeur général d’une coopérative forestière. L’incendie qui a détruit, au mois de juillet, plus de 20 000 hectares de forêt en Gironde, laissera des traces qui prendront sans doute plusieurs dizaines d’années à cicatriser. Ce combat contre le feu a mis en lumière le courage des sapeurs pompiers, hissés au rang de véritables héros nationaux et épaulés par près d’un millier de bénévoles issus du milieu forestier.
Forestiers et chasseurs main dans la main avec les pompiers pour affronter l’incendie
Depuis le 12 juillet, « les bénévoles de DFCI, et en particulier ceux qui gèrent les pistes et les points d’eau, [ont été] mobilisés pour informer les pompiers des particularités du massif [coupe rase, peuplements plus âgés, etc.] » explique Marion Laquerre, ingénieure à la DFCI (l’association régionale de Défense des Forêts Contre l’Incendie). Peu connue du grand public, la DFCI est une mission d’intérêt général confiée par l’Etat à l’ONF (Office national des forêts), dont les agents, en amont, préviennent les risques de départ de feu, sensibilisent les populations et sécurisent les zones à risque. Et, en cas d’incendie, ce sont encore eux qui guident les forces d’intervention et de secours.
Aux côtés des bénévoles de la DFCI, d’autres forestiers, agriculteurs et chasseurs, qui représentent, de fait, une large part du « monde forestier », se sont aussi pleinement mobilisés. C’est notamment le cas des Entrepreneurs de Travaux Forestiers (ETF) qui à la Teste-de-Buch ont aidé à élargir les zones de pare-feu pour ralentir les flammes. Aux côtés des sapeurs du génie de l’Armée de l’Air et de certaines entreprises du BTP, les ETF ont abattu les arbres et évacuer les troncs pour constituer un pare-feu de sable blanc sur 5 km. Au total, près de 70 engins ont été déployés pour réaliser ce type de travaux forestiers d’urgence à La Teste-de-Buch et Landiras. « On va sacrifier une centaine d’hectares s’il faut pour préserver des milliers d’hectares et on va mettre la zone à sable blanc », détaille dans la presse Bruno Lafon, président de la DFCI : « on l’a fait sur une largeur de 200 à 300 m, c’était énorme, près de Biscarrosse et de façon plus réduite sur Landiras, entre 50 à 100 mètres ». Toujours à Biscarrosse, c’est l’Association communale de chasse agréée (ACCA) qui a distribué eau et nourriture à la faune sauvage traumatisée par le feu. Suspendant leur loisir jusqu’à nouvel ordre, les chasseurs de l’ACCA « ont pu se rendre en forêt pour apporter de l’eau et de la nourriture aux animaux au plus près de la zone impactée par l’incendie ». Parfois agriculteurs eux-mêmes, d’autres chasseurs retournent les routes avec leur tracteur afin que la terre ralentisse la propagation du feu.
« La forêt, c’est notre domaine »
Acteur de terrain, les forestiers et les acteurs ruraux sont idéalement placés pour surveiller la forêt et prévenir toute reprise de feu. Comme le confie un chasseur à TF1, « la forêt, c’est notre domaine quand même, donc je pense qu’on peut apporter notre soutien aux jeunes qui nous soutiennent pour stopper les feux de forêt ». Sur la zone Arcachon –La Teste-de-Buch, l’ACCA locale a par ailleurs décidé de geler le plan de chasse concernant les chevreuils, après avoir estimé qu’entre 140 et 180 cervidés ont péri dans les flammes. Quant aux forestiers, ils jouent « un rôle de guide d’orientation forestier du pompier », estime Marion Laquerre : ces derniers mettent à profit une précieuse connaissance du terrain, acquise au cours de leurs activités quotidiennes dont une partie vise, justement, à limiter le risque d’incendie. Ils contribuent toute l’année à prévenir les feux en entretenant le sous-bois. Une forêt entretenue est une forêt moins vulnérable aux flammes, souligne Arnaud Sergent, chercheur à l’Inrae : « quand on fait des coupes, on limite la quantité de combustible pour les feux. Les sentiers que l’on déploie servent aussi de voies d’accès aux pompiers ». Une « situation paradoxale », selon l’expert, « car on a tendance à vouloir critiquer l’intervention humaine sur les forêts ».
Un travail partenarial à l’année
Pour éviter ou, du moins, limiter les incendies en forêt, les équipes de la DFCI réalisent aussi un travail de l’ombre. « Nous sommes 365 jours par an sur le terrain, toujours présents en cas de feux, actifs pour surveiller les zones incendiées après le départ des pompiers, constituant un dévouement désintéressé sans limite. Notre motivation : protéger la forêt, préserver tout notre territoire : ses habitants, ses paysages, sa biodiversité », témoigne la DFCI Aquitaine. La DFCI, « ce n’est pas juste des forestiers d’un côté et des pompiers de l’autre », appuie Fabien Brochiero, responsable du pôle DFCI Gard-Hérault-Lozère, selon qui il s’agit d’un « travail collaboratif et partenarial qui est engagé avec des échanges réguliers tout au long de l’année ». La DFCI dispose, notamment, d’un poste de commandement des renforcements des risques (PCRR), qui gère les incendies en direct avec les sapeurs-pompiers et les autres acteurs engagés (ONF, police rurale, etc.).
Comme l’explique le lieutenant-colonel Jérôme Bonnafoux, chef du service communication du Sdis 34, le PCRR « met en oeuvre une véritable gestion de crise en interservices avec cinq objectifs : le partage d’information et de compétences, un travail d’anticipation permanent, une analyse expertisée des risques, une efficience dans la coordination et une forte réactivité dans l’engagement des moyens ». Autant de moyens techniques et, surtout, humains qui, ajoutés à l’engagement des centaines de bénévoles, seront à n’en pas douter de plus en plus sollicités à l’avenir, alors que le réchauffement climatique augmente drastiquement l’intensité des feux de forêts.