Puisque voici l’aurore, Annie Cohen, Édition des Femmes — Antoinette Fouque (2020)
L’écriture, c’est une liberté, c’est libérer la parole, c’est lui permettre de dire tout ce que les mots seuls et leur syntaxe ne pourraient pas communiquer sans la volonté presque organique d’écrire dans notre langue avec cette voix intérieure et muette de l’écrivain(e) qui apporte au langage toute l’expression singulière, industrieuse et intuitive de la littérature. Écrire, ce n’est pas raconter, c’est transmettre, c’est partager. Écrire peut donner la vie à ce qui serait mort sans la créativité du verbe qui rappelle à la vie. Écrire, c’est violent dans sa douceur car c’est sans concession, c’est déclencher le choc du vrai. Ainsi, écrire la vie peut aussi faire entendre, du plus terrible, du plus profond et du plus authentique les fléaux de la vie, les accidents, le mal de la maladie et ce qu’ont simultanément de mental et de physique les épreuves charnelles de l’esprit envahi par la souffrance, par la conscience de sentir brutalement tout ce qui a atteint la joie pour l’éteindre, tout ce qui a été dénaturé de l’énergie vitale, tout ce qui a abîmé la motricité et la sérénité comme cette richesse d’âme qu’Annie Cohen avait reçue de sa destinée d’artiste et qu’un accident cérébral, en quelques minutes a cruellement failli léser pour toujours. L’accident a d’abord laissé Annie complètement dépressive, frappée de plein fouet, immobilisée désormais chez elle dans un fauteuil roulant. Elle a eu envie de mourir. Mais préservée par une foi inébranlable en l’amour, elle a été plus forte que l’ennemi : sa maladie. Et le témoignage de son texte direct, précis, intemporel et meurtri nous fait cliniquement mais également spirituellement communier littéralement avec l’état maniaco-dépressif et l’angoisse suicidaire, avec leur noirceur. Annie Cohen écrit le combat pour la lumière qu’elle a livré contre les séquelles de l’accident des artères.
Elle évoque avec une sincérité bouleversante de simplicité et de spontanéité mais aussi de courage, ce qui l’a aidée dans sa puissance de vivre. Elle décrit l’accompagnement de son psychiatre psychanalyste, la présence de son frère et surtout la sainteté de l’homme de sa vie passionnément dévoué. Annie puise aussi le miracle dans son art de dessinatrice et de poète qui n’avait jamais cessé de la nourrir tout au long de l’existence «d’avant». L’héritage de sa judéité inspirée et immatérielle participe au soutien et illumine la mémoire de ses racines ancrées dans les villes et les paysages solaires de l’Algérie. Toute la simultanéité des affects travaille à la guérison dont Annie Cohen nous rend compte à travers son voyage dans les mots de la méditation et dans leur intrication chimique médicamenteuse et lumineusement culturelle. Et le secret de cette victoire des mots sur le non-sens avec lequel la maladie a risqué de les tuer, Annie Cohen nous le confie grâce à la rigueur et à la générosité d’un genre littéraire nouveau : l’autobiographe du cerveau et des nerfs rescapés, résurrection de la femme qui se présente ainsi : «Je suis une mystique à l’état sauvage».
Chantal Chawaf