Les parents d’élèves et MOI, les tribulations d’une mère de famille, Catherine Berthon- Éditions Chum
Sous ce titre modeste se traite une grave préoccupation. Elle concerne directement la majeure partie de la population : Comment faire marcher d’un même pas toutes les sociétés urbaines ou rurales qui espèrent que leurs enfants apprendront à l’école et réussiront leur vie? La première phrase : «Chez nous, on n’a jamais rigolé avec l’école» ouvre le feu…
Hélène, d’origine modeste comme la plupart d’entre nous, ne veut pas oublier ce qu’elle doit à des parents attentifs et à son application en classe. Cette cadre sup +, mère d’élève, habite une ville de l’est francilien dont le lycée n’accueille pas que des élèves dociles et formatés par une famille d’universitaires. La réputation du lycée (non ce n’est surtout pas un lycée de «racaille»!) n’est pas non plus un sésame vers de prestigieuses études supérieures. Faut-il alors pour la famille déménager, viser le bon quartier à l’intérieur du périphérique pour être dans le bon secteur scolaire?
Réponse : c’est hors de question. Alors comment éviter pour son fils Gaspard les petits dysfonctionnements du système éducatif? Gaspard est un bon élément mais il ira à Marcel Paul, l’établissement de leur secteur géographique, sa mère (pas son père, les pères sont parents mais pas à ce point) va consacrer beaucoup de son temps (voire de sa carrière) à l’Association des parents d’élèves de cet établissement. Où elle se fait élire sans difficulté. De là ne peut-on pas mieux observer ce qui se passe et peut-être donner un avis pertinent? Et aider à une communication meilleure au-dedans comme au dehors…
Dès le décor planté, le lecteur ne lâche plus le livre : le style alerte, la précision du détail, les personnages assez nombreux, ni idéalisés ni caricaturés, nous entraînent pour passer un très bon moment, et avec eux ce serait mentir que de nier que nous revivons des situations bien familières! Sans cesser d’être bienveillante, sans négliger le caractère cocasse de certaines situations, Hélène va gravir avec nous le chemin qui consiste à être acceptée, à devenir populaire et à abolir un tant soit peu les frontières qui séparent ces trois mondes : l’administration, les professeurs, les parents. Ces structures incontournables, qui portent l’avenir des jeunes vers les meilleurs lendemains. Et les parents d’élèves doivent soutenir ces jeunes qui ne sont pas conscients, heureusement, d’être captifs du système… en entraînant toute la troupe dans une nouvelle dynamique! Dans sa vie professionnelle, elle sait qui doit lui obéir et qui elle doit suivre sans broncher, elle a même un coach qui la connaît par cœur et qui sait la conforter, l’aider à y voir clair : il a été choisi pour son expertise. Ô combien différent est le monde où les relations sont confuses ou inexistantes, où s’installe vite le confort de l’impuissance qui fait perdre de vue l’objectif (rien à voir avec le monde de la production… et pourtant?)!… Gaspard quant à lui aime bien l’école, il a donc du mal à comprendre que sa mère se « complique la vie»!
On veut déjà savoir ce qui va se passer
Hélène comprend tout de suite que, mis à part le chef d’établissement parfait dans son rôle, les autres acteurs auraient beaucoup à gagner à recevoir un coup de pouce. Ils sont offensés par tout ce que le monde extérieur secrète de produits destinés à aider la scolarité d’un adolescent (alors que tous ces programmes sont ruineux pour les familles) mais se contentent de leur litanie : «manque de moyens, trop d’élèves». Ils ont besoin d’écoute pour mieux se connaître, se remettre en cause sans déprimer, et aussi ils doivent être formés un tant soit peu aux méthodes du management tel qu’à l’extérieur tout le monde les applique. Et être plus curieux de la réalité qui les entoure, eux qui n’ont pas conscience d’être protégés. «Quelle est la part de mon job ?» se dit Hélène… consciente que chaque enseignant a un fort potentiel qui n’est pas révélé, brouillé par des difficultés personnelles sans doute mineures. Que l’administration a peu de marge de manœuvre : un budget attribué à l’aveugle, des projets pédagogiques retoqués ou sans ambition et des réunions mornes et stériles pour en décider. Elle se donne un an pour qu’on la considère comme faisant partie de l’équipe. Ensuite, elle va se donner à fond : de la souplesse dans la méthode et pas trop d’investissement personnel pour ne pas déraper.
Parent Don Quichotte
« Gouvernance où des personnes qui n’y connaissent rien doivent donner leur avis, dont de toute façon on ne tiendra pas compte.» «Coéducation entre des parents d’élèves et des enseignants qui ne se parlent jamais.» Voici deux concepts à quoi se heurte notre parent d’élève Don Quichotte contre les moulins à vent du ministère de l’Éducation. Pourtant Hélène en vient parfois à envier ce chef d’établissement debout, heureux comme tout un chacun de son pouvoir, face à un tel défi que celui d’éduquer, de donner des armes à tous ces jeunes qui n’en recevront de personne d’autre que lui et son équipe pendant leur bref passage à Marcel Paul ! Et celui d’encaisser avec compréhension les réunions d’établissement…
Passé le zèle du néophyte, elle doit constater que les réunions avec les parents attirent toujours peu de monde, tout au plus acceptent-ils de recevoir un e-mail de compte rendu, mais pour lire quoi? La classe est agitée et ne s’intéresse pas? La classe suit bien sauf quelques éléments perturbateurs? Où est la différence? Le rêve de recruter beaucoup de parents enthousiastes est bien lointain. Des professeurs laissent entendre que les élèves sont ignorants, distraits, mais « pas de souci, on va leur mâcher le travail en leur donnant une boîte à outils ». Heureusement Gaspard, l’élève, y voit clair : « Ils sont là pour nous former à la réflexion d’une part, et c’est bien normal qu’on ne sache pas tout ! »
Les relations se réchauffent au sein des groupes d’acteurs qui demeurent cependant fi gés dans leur statut. De vraies amitiés sont en construction… Pour faire sourire, car la nature humaine reste ce qu’elle est, Hélène raconte qu’elle échange – elle ne veut pas « transmettre », elle veut « partager » – de plus en plus avec le jeune beau gosse prof de math, petit penchant dont elle fait semblant de ne pas être consciente. Heureusement pour la morale, ce trentenaire aura sa mutation pour Limoges, c’est loin du Val-de-Marne. Fureur ! Il était un bon prof et on le voulait encore un an pour Gaspard ! Occasion pour Hélène d’un second couplet féministe (le premier était sur le thème : les enfants, donc la participation à l’association de parents d’élèves, c’est affaire de « bonne femme », les pères n’ont pas le temps d’assister aux réunions, encore moins de faire (d’acheter !) des gâteaux pour les moments de convivialité). Ici donc, une femme de cinquante ans n’a-t-elle pas droit aussi à un partenaire nettement plus jeune, à une petite aventure ?
Continuons de nous régaler avec ce récit où tout respire l’expérience vécue, où le ton badin et factuel ne dissimule pas l’inquiétude. Le blog de parents est une bonne idée, mais qui va le nourrir régulièrement ? Certains enseignants sont aimés, leur départ est un grand moment : il faut faire vite, rassembler. Gaspard va quitter l’établissement après le bac… Quelle surprise réserve-t-il quant à son choix d’études supérieures ?
À tel point que, comme ce livre est un roman, il faut bien qu’il y ait une fin. Celle-ci arrive dans une ambiance dramatique assez bousculée où Hélène décide de se dévouer aux enfants défavorisés et de faire le pont entre la vraie vie et l’école. Beau sacrifice ! Est-ce crédible ? Et par une mise en abyme astucieuse, elle détourne le lecteur d’un problème sans issue en l’envoyant rêver dans une histoire d’amour en forme de conte de fées cruel : c’est celle que raconte le roman qu’Hélène écrivait tout au long de son expérience pédagogique et qui s’achève aussi. Merci, Catherine Berthon, pour ces moments de partage !
Jeanne Perrin