L ’épidémie du coronavirus nous fait vivre une crise inédite et d’une ampleur qui va se traduire par une décroissance probable de 6 à 8 % du PIB en France. Quels en seront les effets économiques et quels types de remèdes peut-on envisager ?
Les effets
Ils seront probablement de trois ordres : un effet « revenu », un effet « rebond » et un effet de « substitution ».
L’effet « revenu » va se traduire par une perte de chiffre d’affaires des entreprises, une perte de pouvoir d’achat de nombreux ménages, une perte de recettes fiscales pour l’État. Dans le secteur de l’énergie par exemple la chute du prix du pétrole et celle du prix de l’électricité sur le marché de gros vont inciter les opérateurs à retarder voire annuler certains investissements, que ce soit dans l’exploration pétrolière ou dans la production d’électricité, ce qui va générer un « effet boule de neige » sur les sous-traitants. La chute de la demande d’électricité va rendre moins nécessaire d’investir massivement dans les renouvelables qui requièrent par ailleurs des aides financées par des taxes qui seront d’autant plus grandes que l’écart entre le prix d’achat garanti et le prix du marché de gros sera plus élevé.
L’effet « rebond » va jouer en sens contraire, mais pas au même niveau très probablement. Dès que l’optimisme sera revenu les ménages auront soif de consommer mais ils ont accumulé une large épargne de précaution et ne la dépenseront pas en totalité à court ou moyen terme, d’autant qu’avec une montée du chômage ils craignent l’avenir.
L’effet de « substitution » est sans doute le plus difficile à anticiper. La fonction de préférence collective comme celle des particuliers va se modifier. Les priorités ne seront plus les mêmes, du moins pendant un certain temps. Au niveau collectif on prend conscience que si la santé a un coût elle n’a pas de prix. La dépendance à l’égard des importations de produits stratégiques comme les médicaments mais aussi de matières premières, agricoles ou non, les effets pervers du processus de délocalisation de nombreuses activités industrielles vont inciter les pouvoirs publics à un recentrage « national » de nombreuses fabrications.
L’important est d’éviter un repli sur soi qui ressemblerait davantage à du nationalisme qu’à du patriotisme. Pour les particuliers les choix de mobilité et d’habitation vont également évoluer. C’est la crainte de la promiscuité dans les transports en commun et le souhait de disposer d’un habitat moins confi né. Les particuliers se ruent sur les vélos ; vont-ils acheter des véhicules électriques alors que l’industrie automobile a du mal à écouler ses véhicules thermiques et risque de fermer des sites ?
Les remèdes
L’État a déjà annoncé la couleur, celle d’un vaste plan de relance de la demande et d’une aide massive aux entreprises en péril. Comme après la crise de 1929 ou après la Seconde Guerre mondiale il faut investir massivement pour donner du pouvoir d’achat aux ménages et faire travailler l’industrie et les services. La question est où investir et comment financer ?
Où investir ? Dans un contexte où beaucoup pensent que la sortie de crise passe par une accélération des préoccupations environnementales il faut un « new deal » au sein du « green deal ». Les investissements décarbonés concernent autant le nucléaire que les renouvelables, n’en déplaise à la Commission européenne. Mais, comme on l’a dit, investir dans la production d’électricité n’est pas nécessaire à court terme. Cela n’exclut pas d’investir dans la recherche fondamentale et appliquée dans le domaine des réacteurs du futur. On peut en revanche investir rapidement dans les réseaux de transport et de distribution d’électricité au même titre que l’on le fera dans les réseaux de télécommunication qui ont montré leur caractère indispensable. L’investissement dans les réseaux est non « délocalisable » et de plus il profite autant aux générations futures qu’à la génération présente.
Comment financer ? La BCE est disposée à acquérir massivement les obligations d’État qui seront émises en Europe et qui vont de fait augmenter sensiblement les déficits publics. Cela revient à faire marcher la « planche à billets ». Les risques d’inflation sont faibles aujourd’hui mais prenons garde aux emballements et aux solutions de facilité. L’ennui du financement monétaire c’est aussi qu’il va maintenir des taux d’intérêt nuls voire négatifs ce qui est préjudiciable aux épargnants vertueux. La Cour de Karlsruhe l’a récemment rappelé. Il faut donc éviter autant que possible la monétisation de la dette. On objectera que depuis Ricardo et son «théorème d’équivalence impôt-emprunt» chacun sait que la dette publique ne constitue pas une «richesse nette» puisque « notre main gauche la doit à notre main droite». Avec la dette publique on transfère à la génération suivante une obligation, celle de rembourser, mais on lui transmet en même temps les titres remboursables (aux héritiers du moins) de sorte que les deux s’équilibrent. C’est vrai d’un point de vue macroéconomique mais pas d’un point de vue microéconomique car ceux qui reçoivent les titres en héritage ne sont pas nécessairement ceux qui paieront demain les impôts destinés à rembourser. Encore ce raisonnement ne tient-il que si la dette est souscrite en totalité par les nationaux ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Les créanciers seront pour partie des étrangers, donc le théorème ne fonctionne qu’en partie.
En fait il faut essayer de drainer une partie de l’épargne de précaution en émettant des « bons réseaux » (on pourrait parler de « networks bonds»), éventuellement mutualisés au niveau européen, lesquels garantiront des taux de rendement positifs à leurs souscripteurs puisque la rémunération des réseaux, activités régulées, est encore largement positive.
Jacques Percebois Professeur émérite à l’université de Montpellier