Confiner la mort? Louable souhait. Mais à quel prix (humain et socio-économique)? Comment? Et aussi, pour quelle utopie politique à même de susciter un monde meilleur et une humanité plus valeureuse?
Le bavardage ambiant, chez nous comme il résonne ailleurs, cartographie le mutisme d’une planète en déshérence avec une précision tatillonne sur les statistiques de morbidité. À égrener chaque jour les différents aspects du bilan épidémiologique et le nombre de morts (liés à la Covid-19), on prend vite conscience de l’inanité de confiner cette «faucheuse» qui ne s’embarrasse d’aucune frontière géographique, générationnelle et même de classe. Bien sûr, nous avons pu le dire et le répéter avec insistance et sur la base des quelques références scientifiquement et médicalement pérennes, c’est l’efficience d’une planification sanitaire associée à une véritable politique de prévention qui aura permis de réduire la comptabilité macabre de cette crise. C’est la raison pour laquelle Taïwan peut se targuer d’un meilleur bilan que la Chine, l’Autriche que l’Italie, Israël que l’Iran, l’Allemagne que la France. Alors, quid du confinement? Concernant la morbidité létale (qui tue) et la riposte du confinement, il nous semble inapproprié de relier ombilicalement les deux choses, sauf à considérer qu’il s’est agi d’une mesure de sauvetage temporaire pour installer une digue de «containment» pour barrer la route à une invasion virale. Mais à durer, à l’instar des idéologies monstrueuses qui ont essaimé dans l’histoire, cela induirait cet «effondrement» socio-économique (évoqué par Édouard Philippe), une régression de nos valeurs et probablement un retour de flamme totalitaire.
En contrepoint d’une doxa bureaucratique et politicienne, on pourrait opportunément en référer à ces philosophes du soupçon, pour lesquels confiner la mort aux dépens de la vie est au mieux de la pensée magique. L’écrivain allemand Thomas Mann, dans la lignée de Freud et Nietzsche, et en résonance avec le meilleur de la philosophie européenne, exhorte dans son œuvre au goût de la vie sans ignorer la mort comme un sort de l’existence. Depuis que les civilisations rythment la culture des nations, avec l’amplification présente des nouvelles technologies de la communication, nous savons que la mort rôde dans les environs de la vie. Des guerres aux conflits, des passions meurtrières aux catastrophes naturelles et aux épidémies, nous apprenons à nous acclimater au clair-obscur de la nature, en nous préservant du mieux possible de ses caprices. Mais en sachant, comme l’exprime le grand Goethe qu’« elle construit toujours, elle détruit sans cesse ». Plus explicite encore : « elle m’a mis au monde, elle m’en fera sortir ».
Un appel à la modestie et au recueillement serait peut-être plus approprié qu’un aplomb politique confi né dans des certitudes aussi évolutives que souvent démenties. Ce n’est pas le procès de la politique que nous cherchons à instruire, nous proposons plutôt de rehausser le politique, même pas de stigmatiser les tâtonnements successifs pour trouver la bonne mesure thérapeutique. La recherche demande de la patience et la découverte d’un vaccin ne s’improvise pas. Ce qui pose problème vient de la dramaturgie politique qui ignore les ressorts profonds de l’existence en édictant des règles sans chair comme la bureaucratie se déploie dans des bureaux anonymes. Comment s’étonner dès lors, que lorsque le tonnerre gronde on cherche à confiner les nuages !
Confiner la mort relève d’une prétention de toute puissance à agir sur l’ordre de la création et qui revient dans la pratique à confiner des libertés, la persistance à durer des anciens, la pauvreté recluse, la disposition au risque des jeunes, le bonheur… et même l’amour. En somme, confiner le lyrisme de la vie, ces « nourritures terrestres » dont André Gide mettait en exergue la fragilité et la persistance par « l’excès de celui qui embrasse la vie comme quelque chose qu’il a failli perdre ».
Émile H. Malet