Comme pour de nombreux sujets de société, en particulier ceux qui se rapportent à l’environnement, la question des déchets radioactifs suscite des débats parfois agités dans lesquels les protagonistes essayent de renforcer leurs arguments en s’appuyant sur des faits parfois discutables ou sur des chiffres souvent erronés. Cet article vise simplement à rappeler les fondamentaux scientifiques et techniques incontestables et facilement vérifiables concernant les déchets radioactifs afin d’étayer au mieux les débats sur ce sujet si controversé.
Qu’est-ce qu’un déchet radioactif ?
La réponse est écrite dans le code de l’environnement qui définit d’abord ce qu’est une «substance radioactive» : «substance qui contient des radionucléides, naturels ou artificiels, dont l’activité ou la concentration justifie un contrôle de radioprotection». Ce code stipule ensuite que les déchets radioactifs sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée ou qui ont été requalifiées comme tels par l’autorité administrative. Il est précisé en outre dans ce même texte que «Les déchets radioactifs ultimes sont des déchets radioactifs qui ne peuvent plus être traités dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de leur part valorisable ou par réduction de leur caractère polluant ou dangereux ». C’est un point fondamental dans les débats actuels sur les matières nucléaires issues de traitement des combustibles usés, puisque l’uranium et le plutonium séparés par cette opération ne peuvent pas légalement être considérés en France comme «déchets ultimes».
La problématique des déchets radioactifs est-elle nouvelle ?
Non. Pour s’en convaincre il suffit de rappeler qu’à la naissance même des premiers concepts de réacteurs nucléaires civils, en avril 1944 aux États-Unis, Enrico Fermi avait déclaré lors d’une réunion entre les savants de l’époque « il [n’était] pas clair que le public accepte [rait] une source d’énergie qui produit autant de radioactivité ». Un comité spécial de haut niveau fut mis en place dès le début des années 1950 aux États-Unis pour réfléchir à cette question, et depuis un nombre considérable d’études et d’expériences diverses ont été menées dans le monde.
Quelle est la nature d’un déchet radioactif ?
Il existe une multitude de types de déchets radioactifs dont les caractéristiques sont d’abord liées à leurs propriétés radioactives pour les principaux radionucléides qu’ils contiennent : types de rayonnements émis, activité, contenu éventuel en matières fissiles, contamination surfacique, etc. Ces caractéristiques peuvent dépendre également de leurs diverses propriétés physico-chimiques : quantités, composition et formes chimiques, caractéristiques vis-à-vis de certains risques tels qu’inflammabilité, volatilité, corrosion, dispersabilité, solubilité, etc. Toutefois, les déchets radioactifs sont généralement traités et conditionnés de façon à réduire au maximum voire à supprimer ces risques d’ordre physico-chimique. C’est pourquoi les critères de classification des déchets reposent essentiellement sur les deux paramètres liés à leur radioactivité :
1. Leur activité massique (ou volumique), c’est-à-dire le nombre de rayonnements qu’ils émettent par unité de temps dans une masse donnée ou un volume donné.
2. Leur durée de vie qui est le temps nécessaire pour que leur activité passe en dessous d’un certain seuil de «dangerosité» potentielle (qui peut être par exemple l’activité d’une substance naturelle radioactive répandue sur la terre comme l’uranium naturel). La grandeur physique la mieux adaptée à cet égard est la demi-vie, qui est le temps au bout duquel leur activité a été réduite de moitié du fait de leur décroissance radioactive.
Comment gère-t-on les déchets radioactifs ?
Il s’agit d’abord de leur appliquer des traitements physico-chimiques afin de réduire éventuellement leur volume et de les «stabiliser», si nécessaire, puis de les conditionner pour pouvoir ensuite les stocker définitivement de façon sûre dans un centre de stockage dédié conçu et exploité par l’Agence nationale des déchets radioactifs (Andra), sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Tous les déchets radioactifs peuvent être classés en fonction de leur activité et de leur durée de vie, ce qui permet de distinguer différentes catégories auxquelles sont appliqués des modes de gestion spécifique, en particulier pour leur stockage définitif. À cet égard, si on écarte quelques déchets spéciaux hérités du passé et les déchets de très faible activité (dits «TFA»), on distingue schématiquement deux grandes classes de déchets en France :
1. Les déchets de faible ou moyenne activité à vie courte (FMA-VC), stockés de façon rigoureuse dans un site de stockage de surface, comme le centre de stockage de l’Aube ouvert en 1992. Pour ces déchets, qui représentent 60 % du total du volume des déchets radioactifs, IL EXISTE DÉJÀ DONC UNE SOLUTION de gestion sûre et pérenne.
2. Les déchets de haute activité à vie longue qui se subdivisent en deux catégories : ceux qui sont de moyenne activité, les MA-VL et ceux qui sont de haute activité, les HA. Pour ces déchets, un stockage réversible en formation géologique profonde est à l’étude (projet CIGEO, dans un milieu argileux). Il faut souligner que toutes les options envisageables pour l’élimination définitive de ces déchets radioactifs ont été abondamment étudiées dans le monde et que la seule solution qui apparaît comme parfaitement sûre est celle d’un stockage définitif dans une formation géologique profonde adaptée à un tel stockage (stabilité prouvée sur des échelles géologiques, absence ou circulation d’eau très limitée, éloignement de toute ressource naturelle potentielle, etc.). D’ailleurs, il existe déjà un stockage géologique de déchets radioactifs opérationnel dans le mode, contrairement à ce qui est parfois affirmé : le WIPP (pour «Waste Isolation Pilot Plant») aux États-Unis, ouvert en 1999. Les déchets y sont stockés définitivement dans des galeries percées à 650 m de profondeur dans une formation géologique qui n’a pas bougé depuis 225 millions d’années.
Combien de déchets radioactifs ?
Il existe un inventaire national très précis de l’ensemble des déchets radioactifs (y compris d’origine médicale) que l’on trouve sur le territoire français, actualisé régulièrement par l’Andra et dont les données sont entièrement accessibles au public. Dans sa dernière version publiée en 2018, on constate que les déchets HA et MA-VL conditionnés ne représentent qu’une très faible part du volume total des déchets radioactifs français : respectivement 0,2 % (3650 m3 ) et 2,9 % (45000 m3 ). Par contre ils concentrent PRESQUE la TOTALITÉ de la RADIOACTIVITÉ générée par l’ÉNERGIE NUCLÉAIRE en France avec une proportion de 94,9 % pour les HA et 4,9 % pour les MA-VL. C’est là un point fondamental qui mérite d’être explicité puisque ce sont bien ces déchets qui entretiennent la plupart des polémiques et à propos desquels on cite parfois des chiffres extravagants pour ne pas dire « abracadabrantesques».
La masse totale de déchets radioactifs de haute activité à vie longue qui représentent 95 % de toute la radioactivité générée par l’énergie nucléaire en France est de moins de 10 tonnes.
Cela tiendrait facilement dans un camion! On peut décliner ce chiffre de multiples façons. À titre d’exemple, toute l’électricité consommée par la SNCF pour faire rouler ses trains toute l’année (et transporter 1,7 milliard de voyageurs!) est de 9 TWhe, ce qui correspond à moins de 200 kg de déchets radioactifs de haute activité en supposant que toute l’électricité soit d’origine nucléaire. Si cette électricité était produite avec du charbon, cela générerait environ 700 000 tonnes (sept-cent-mille tonnes) de cendres solides, générale[1]ment stockées à l’air libre, et à l’émission dans l’atmosphère de presque 1 000 tonnes de suies et de particules fines. Ces déchets du charbon contiennent des produits plus ou moins toxiques et de durée de vie souvent illimitée tels que de l’arsenic, du plomb, du thallium, du mercure et même de l’uranium et du thorium, dont les quantités se chiffrent en tonnes ou même dizaines de tonnes.
Les déchets radioactifs sont-ils dangereux et pour combien de temps ?
Il importe de souligner que la toxicité des déchets radioactifs DIMINUE avec le temps du fait de la décroissance radioactive caractérisée, rappelons-le, par la demi-vie radioactive. Un bon indicateur de la nocivité potentielle des déchets radioactifs est la notion simple de «radiotoxicité potentielle» (RP) calculée à un instant donné. Pour un radionucléide donné et une masse donnée de ce radionucléide, cet indicateur est obtenu en multipliant son coefficient de dose par ingestion, en Sievert/Becquerel, par son activité spécifique à un instant donné exprimée en Becquerel par unité de masse.
La radiotoxicité potentielle des déchets nucléaires de haute activité (qui rassemblent 95 % de la totalité de la radioactivité des déchets nucléaires en France) devient inférieure à celle de l’uranium naturel après environ 10 000 ans.
Notons pour terminer que ce résultat énoncé n’est valable que pour des déchets ne contenant PAS DE PLUTONIUM, ce qui est le cas en France du fait que le plutonium issu du retraitement des combustibles usés (CU) est recyclé dans les réacteurs nucléaires pour produire de l’électricité ou bien stocké pour un usage futur (par exemple avec le multi-recyclage). Dans le cas d’un stockage géologique direct des CU, l’intervalle de temps de 10 000 ans que l’on vient de citer passe à 300 000 ans du fait de la seule présence du plutonium qui contribue à plus de 90 % de RP des CU entre quelques centaines d’années et 100 000 ans. Stocker définitivement du plutonium en formation géologique profonde n’est d’autant pas une bonne idée qu’il peut être recyclé pour produire de l’électricité. En France, une ampoule électrique sur dix est éclairée par du combustible recyclé. Vers 2030, ce sera plus d’une ampoule sur quatre.
En conclusion…
Les quantités de déchets potentiellement et durablement toxiques produits par l’énergie nucléaire sont extrêmement faibles rapportées au service rendu. Ce sont même certainement les plus faibles parmi les déchets générés par toutes les activités industrielles dont certains (comme les métaux lourds non recyclables) sont d’ailleurs très toxiques et ont des «durées de vie» pratiquement infinies. L’élimination de ces déchets «nucléaires» noyés dans une matrice pratiquement inaltérable (le verre) enfouie dans une formation géologique dont les propriétés pétrophysiques n’ont guère varié depuis ces derniers 30 millions d’années constitue une solution parfaitement sûre. Ces faits sont prouvés. Ils sont INCONTESTABLES.
Dominique Grenêche, Docteur en physique nucléaire
Actes du Colloque « Déchets, recyclages, environnement » organisé par Passages-ADAPes le 9 décembre 2019