C’est à n’y rien comprendre, après un presque semestre de pandémie, on ne comprend pas grande chose aux distorsions sanitaires entre continents, entre pays et même entre régions.
Que n’a-t-on évoqué pour expliquer les variations du nombre de personnes contaminées, décédées, en réanimation : une meilleure gouvernance quand les femmes exercent le pouvoir parce qu’elles seraient plus instruites du « care » (prendre soin) ; une épidémie dont la violence morbide serait la résultante de régimes autoritaires en comparaison d’une meilleure régulation dans les sociétés démocratiques ; des différences liées aux religions et même au sein des religions en accablant les évangéliques, les hassidims, les islamistes ; la démographie ; la pauvreté ; le sexe ; les habitudes alimentaires ; le climat ; le tabac ; le sport… Au regard des statistiques dont nous disposons, rien ne colle véritablement d’un point de vue rationnel pour expliquer les raisons qui font de la Belgique le pays ayant le plus grand nombre de décès rapporté à 100 000 habitants et des pays comme la Russie, Israël, le Japon, l’Inde… se situant en bas du tableau. Par ailleurs, on crie haro sur Bolsonaro et Trump, en leur imputant une incohérence coupable dans la gestion de la crise, ce qui est vrai par leurs propos à l’emporte-pièce et autres tweets exprimés par ces dirigeants fantasques et autoritaires, mais les statistiques de morbidité, et létales notamment rapportées à la population tant au Brésil qu’aux États-Unis soutiennent largement la comparaison avec l’Europe, Allemagne exceptée.
À ces distorsions sanitaires, sont en train de s’ajouter des dysfonctionnements économiques et sociaux qui vont accroître les inégalités, l’accès aux technologies d’avenir, notamment digitales, les nouvelles poches de pauvreté, l’hyperconcentration des richesses et du capital fi nancier. Bref, le rebondissement socio-économique d’après crise pourrait accentuer l’asymétrie de développement de la planète avec un duopole États-Unis-Chine encore plus puissant, une Afrique toujours en déliquescence et une Europe en stagnation. Dans les périodes de crise, comme après les guerres, de grandes transformations s’opèrent en privilégiant les évolutions observées auparavant et en établissant des rapports de force entre nations cristallisant les faiblesses et les failles surgies de la crise. Si l’Europe n’y prend garde et si elle n’arrive pas à coller au duo impérial, dont elle a au demeurant les moyens et les compétences requises, son union pourrait se dissocier entre nations fortes (au nord) et un sud européen plus précaire.
De toutes ces distorsions observables et qui risquent de s’accentuer, nous avons constaté la cacophonie ambiante qui vient résonner du brouhaha planétaire. À la vérité, il y a tout de même un élément porté à notre connaissance pour expliquer ce canevas sanitaire et stratégique en désordre. Il faut le rechercher du côté de la co-évolution entre l’humanité et les microbes, entre Sapiens et la nature. À ce sujet, signalons la brillante contribution du professeur Patrice Debré au cours de la visioconférence de Passages/ ADAPes le 26 mars 2020. Selon la singularité de chaque vie humaine, en fonction de ses environnements et des vicissitudes rencontrées, l’humain développe des capacités de résistance et un capital génétique en vue d’affronter les agressions naturelles, dont cette Covid-19. C’est vrai qu’avec le vieillissement inexorable des individus, nonobstant les lubies du transhumanisme, le système immunitaire décroît. D’où la très grande majorité des décès dus au coronavirus chez les personnes âgées. De la biologie à l’économie, il y a forcément une passerelle parce qu’on ne saurait dissocier la santé du bien-être social et économique. Comme dirait Nietzsche, cette crise vient nous questionner au plus profond, que l’on soit Chinois, Américain ou Français : « que signifie vivre ? ». Et cette interpellation existentielle appelle à un ressourcement écologique pour mieux discerner les rapports entre l’humanité, le règne animal, les microbes et un développement équilibré de la planète. La mondialisation saura-t-elle se refonder à cette aune nouvelle de verdissement des esprits et de la planète ?
Emile H. Malet