La préoccupation climatique, de limiter l’augmentation de la température moyenne du globe à +2°C à la fin du siècle est désormais une priorité internationale. Il convient de déterminer clairement où se trouvent les responsabilités dans l’émission des GES (gaz à effet de serre) et sortir des raisonnements préconçus et des images d’Épinal.
Ce ne sont pas, en France et en Europe, à l’exception notable de l’Allemagne, la production d’énergie électrique (23 % de l’énergie totale) qui est en cause : la France peut se féliciter d’avoir développé un mix électrique décarboné à 95 % (et qui le sera encore plus après la fermeture des dernières centrales à charbon). La Suède se trouve dans un cas très voisin, elle aussi.
La responsabilité principale des émissions polluantes provient des carburants fossiles utilisés dans les transports (poids lourds et V.L. ainsi que les transports aériens pour 5 % du total). Elle provient aussi de la climatisation des bâtiments d’entreprise ou du secteur résidentiel. La pollution due à la production industrielle n’occupe qu’une place restreinte dans le total des émissions de G.E.S (un peu moins de 20 %).
Emile H. Malet nous incitait, en introduction à nos débats, à réfléchir « à partir de ce qui existe » : la réalité est un mix électrique à haute technologie, issu de décisions politiques majeures prises par les dirigeants publics qui ont montré une remarquable continuité dans la politique énergétique. Notre électricité est produite aux trois-quarts par le nucléaire, 26 % par les renouvelables (dont 13 % par l’hydroélectricité). Outre qu’il est décarbonisé, pour la production électrique, le mix énergétique français dote notre pays d’un avantage compétitif considérable : une électricité qui pèse peu dans les coûts de production, procurant au pays un avantage compétitif international, accentué par la diffusion de l’innovation issue de la maîtrise du cycle fermé nucléaire et de nombreuses recherches dans les Énergies Nouvelles Renouvelables (ENR). La compétitivité de la fourniture électrique permet aussi – au niveau macro-économique – de limiter un déficit chronique de notre balance extérieure : l’importation de fuel et de gaz pour la mobilité et le résidentiel-tertiaire compte pour moitié dans le montant du déficit. Ce mix offre un accès à un coût supportable (inférieur de moitié à celui supporté en Allemagne) pour le logement et le confort des particuliers.
Cette situation mondiale favorable à la France provient d’un ensemble de décisions publiques prises par les pouvoirs politiques successifs dans un contexte de consensus, largement partagé par l’opinion publique.
Quelles sont, aujourd’hui, les conditions politiques d’un mix décarboné optimum ?
Notre propos n’est pas de délivrer une leçon aux gouvernements européens et français mais d’inciter à l’action, devant la relative indolence des gouvernements mondiaux placés devant ce qu’ils qualifient eux-mêmes « d’urgence climatique », non sans une certaine emphase. Mais il convient d’interpeller les responsables politiques français, dont l’influence en Europe est évidente, pour qu’ils aient le courage de reprendre l’initiative et de briser les tabous, alors que l’efficacité réelle des accords internationaux sur les grands principes s’émousse quelque peu à mesure que se succèdent les « Conférences des parties » (COP) qui tardent à concrétiser les lignes directrices adoptées par la COP 21 de Paris.
Cinq remarques me paraissent opératoires :
- Il existe une « crise des énergies » qui n’est pas essentiellement française, ni seulement européenne, mais mondiale : devant la question climatique on constate une impressionnante domination mondiale du charbon (par exemple en Chine, en Afrique du Sud et même en Europe avec la Pologne et le retour de ce combustible en Allemagne pour compenser l’arrêt du nucléaire). Les mix énergétiques des principales puissances économiques du globe sont très contradictoires, derrière l’accord de façade des déclarations officielles. Ces combustibles fossiles sont toujours rois – avec le pétrole, le gaz et le charbon – sur tous les continents et sous toutes les latitudes. Cette situation explique en partie les mauvais résultats quant aux engagements de réduction des émissions de GES pour satisfaire les objectifs de la COP 21.
- Il faut sortir de l’idéologie, souvent financée par certains lobbies en appui des campagnes anti-nucléaires de nature idéologique ou politique, soutenues par de nombreux écologistes. Notre sujet climatique ne devrait pas être « les ENR contre le nucléaire ». Mais l’équilibre d’un mix décarboné au maximum qui exige la complémentarité entre nucléaire (qui va vers sa quatrième génération) et le renouvelable qui progresse aussi techniquement. Arrêtons le dogmatisme et la guerre idéologique, parlons de la réalité et renforçons l’efficacité anti-carbone.
- Les politiques doivent placer l’impératif technologique et industriel au rang d’une priorité nationale et à défaut d’une politique européenne de l’énergie (le fameux « Airbus de l’énergie » cher à François Hollande) il est urgent d’assurer des avancées technologiques de rupture en Europe par une coopération renforcée entre les pays qui en ont les capacités économiques et qui disposent de moyens élevés en recherche et développement.
- La recherche est en effet nécessaire pour construire la quatrième génération de réacteurs nucléaires, pour trouver – enfin – une solution viable à l’intermittence de l’éolien, pour résoudre la question du stockage de l’éolien et le problème du retraitement des déchets y compris pour les ENR… L’objectif, de compétitivité, est la fourniture de l’électricité de bonne qualité à un coût favorable à la croissance économique.
- La solution politique courageuse consiste aussi à déculpabiliser le consommateur : comme l’ont montré certaines des manifestations des « Gilets jaunes » le consommateur-contribuable possède une réelle conscience des enjeux climatiques actuels, mais il n’accepte pas ce qu’il juge « punitif » lorsque la lutte contre le réchauffement climatique se traduit surtout par une augmentation de la contribution pour l’environnement (CSPE) sur sa facture d’électricité (7 à 8 milliards d’euros par an pour subventionner l’éolien, le photovoltaïque ou d’autres énergies renouvelables) et par une augmentation des taxes sur le gasoil. L’écologie synonyme d’impôts ou taxes est mal acceptée en France, tandis qu’en Allemagne, par exemple, les consommateurs acceptent de payer leur électricité deux fois plus cher qu’en France, pour – pensent-ils – protéger le climat en substituant charbon et lignite au nucléaire…
- Enfin, cinquième prérequis pour une décarbonisation de l’économie, la vision mondiale du problème énergétique est indispensable pour éviter de surestimer indûment la responsabilité des Européens : la Chine envoie chaque année une dizaine de milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Le développement économique et social de l’Afrique implique pour le milliard et demi d’Africains (2050) un accès à une électricité abordable géographiquement et monétairement alors que les ressources naturelles abondantes dont elle dispose sont le charbon et le pétrole… Il faut promouvoir de nouvelles voies de croissance ainsi que de nouveaux modes de vie, plus économes des ressources naturelles, pour permettre un vrai développement durable des continents.
Pour une complémentarité sans complexe
Sans se polariser sur la seule production électrique, mais en agissant sur l’ensemble du problème énergétique les pouvoirs publics doivent choisir une direction claire et forte, dans le droit fil de la loi de 2015 sur la transition énergétique. Ils doivent tout d’abord réaffirmer sans ambigüité que nucléaire et renouvelables sont complémentaires et répondent tous deux à la volonté politique de maîtriser les évolutions climatiques. Une remise en ordre des subventions publiques s’impose pour laisser ouvertes toutes les options de R et D vers les nouvelles technologies et pour mettre un terme au désordre des prix de gros de l’électricité, qui résulte d’une mauvaise gestion de l’injection prioritaire dans le réseau des énergies alternatives, pour replacer du bon sens et du pragmatisme au cœur de l’économie de l’énergie. La priorité n’est pas de réduire le nucléaire mais de réduire la pollution.
Il faut ainsi choisir une ligne et s’y tenir pour traiter de la question des nouvelles mobilités (cf. l’importance des transports dans les émissions de GES). Un consensus semble s’établir en faveur du véhicule électrique (peut-être « hybride rechargeable » dans un premier temps pour permettre une évolution douce de nos modes de déplacements sans rejet de la société et pour permettre à l’appareil industriel de s’adapter et aux réseaux de recharge de trouver leur financement). Les plus grandes entreprises européennes d’automobile se préparent dans ce sens en parallèle avec des recherches sur l’hydrogène. La loi de transition énergétique se fixe un objectif en 2030 de 7 millions de points de recharge pour 4 millions de véhicules électriques : cette échéance est très proche pour un objectif ambitieux !
Les sources d’un mix décarboné sont claires, elles doivent être affirmées sans ambiguïtés et développées en organisant notre appareil de R et D et nos outils industriels en conséquence. Pour promouvoir l’électricité sans carbone, les économies d’énergie, les nouveaux procédés de construction et de rénovation thermique et, surtout, pour démarrer, enfin, la mobilité électrique, le mix énergétique français s’impose : nucléaire, renouvelables, gaz vert pour assurer l’approvisionnement en pointe.
Christian Pierret, avocat, ancien ministre.
Communication faite lors du colloque Passages-ADAPes du 14 mars 2019 au Conseil supérieur du notariat.