Qu’est-ce qui déchire et obsède la société polonaise d’aujourd’hui ? C’est à partir de cette question que l’ouvrage Hourras et désarrois. Scènes d’une guerre culturelle en Pologne, compilé sous la direction d’Agnieszka Żuk, tente avec succès d’apporter une réponse. La force de cet ouvrage, c’est la pluralité des voix (des essayistes, écrivains, journalistes, historiens…) et sa tendance à puiser dans les racines et l’imaginaire polonais pour chercher à comprendre la marque du nationalisme polonais et les divisions qui existent aujourd’hui entre la Pologne et l’Union européenne.
« La transition démocratique est venue subitement en 1989 et ça a été imposée à toute la société » explique Agnieszska Żuk. « Il y avait ceux qui ont réussi le basculement et ceux qui ont été délaissés. Les usines où ils travaillaient ont été fermées et l’État leur a offert une piètre compensation ». Elle poursuit : « Ces gens considèrent qu’ils ont été lâchés par l’État et ils ont transmis leur colère à leurs enfants. Le parti de droite PiS, (Droit et Justice) arrivé au pouvoir en 2015, profite du sentiment ressenti d’injustice et promet de prendre en charge les gens qui ont été abandonnés par le gouvernement précèdent ». (Dans les sondages, entre 60 et 65 % de jeunes âgés de 18 à 29 ans se déclarent de droite).
« Festivités, kermesses avec saucisses et bière, fêtes religieuses organisées en grande pompe par le clergé, voilà le fonds de commerce de la classe moyenne traditionaliste », écrit dans cet ouvrage Andrzej Leder, philosophe et professeur. Le sentiment d’injustice qui lie ces communautés est transmis de génération en génération et il règne « un culte de l’entre-soi, le rejet de tout ce qui “n’est pas nous” ». À cela s’ajoute l’Église catholique qui peine à être en phase avec les mentalités d’aujourd’hui et s’allie au nationalisme de l’État.
Leder nous apprend par ailleurs que dans l’imaginaire d’une Pologne provinciale et nobiliaire, il existe « une défiance instinctive envers tout projet de modernisation, car c’est l’envahisseur russe ou autrichien qui, à la pointe des baïonnettes, avait introduit la modernisation – abolition du servage ou réforme agraire ». Aujourd’hui en Pologne, il y un adage, « Hier, c’était la Russie, aujourd’hui, c’est Bruxelles ». Les fantasmes du passé ne sont jamais loin et construire un nouvel imaginaire démocratique et citoyen sera le plus grand défi pour l’avenir d’une opposition qui pour l’heure a du mal à se faire entendre.
Sonia Ciesnik
À propos de : Hourras et désarrois – Scènes d’une guerre culturelle en Pologne, sous la direction d’Agnieszka Żuk, Les Editions Noir sur Blanc.