Le politiquement et médiatiquement correct en matière de production d’électricité relègue en général le nucléaire dans la position de subalterne – pour ne pas dire « valet » – des énergies renouvelables. Et pourtant ce sont les énergies renouvelables qui doivent être complémentaires du nucléaire et non l’inverse. Permettez-moi de développer ce thème sous trois angles étroitement imbriqués : l’un industriel, l’autre économique, le troisième stratégique.
En préambule, quelques constats :
Constat 1 : il faut d’abord rappeler que la France est encore carbonée à 50 %.
Constat 2 : de ce fait, il apparaît clairement que la transition écologique est nécessaire dans certains pans de la consommation d’énergie primaire (ex : habitat, transport) mais pas dans la production d’électricité déjà décarbonée à 97 % (source EDF) or c’est là que se concentre le débat par idéologisme.
Constat 3 : Augmenter les ENR au détriment du nucléaire va à l’inverse de la décarbonation, car il faut du gaz en complément. Voire même du charbon comme on l’a vu en Allemagne, ce qui détériore le bilan carbone.
L’erreur serait de se tromper de combat : il faut cibler la réduction de la moitié carbonée de notre consommation, développer les ENR au détriment du nucléaire est contre-productif. Rappelons enfin que les efforts de la France seule ne représentent qu’une goutte d’eau par rapport aux émissions de carbone des USA (restées stables entre 1990 et 2016), de la Chine (multipliées par 4,5 sur la même période) et de l’Inde (multipliées par 4 aussi) et ce n’est pas fini !
Faut-il alors imposer une lourde charge fiscale à la population française, en particulier avec le développement des éoliennes et du solaire, alors que la production d’électricité française est déjà bien décarbonée ?
L’angle industriel
Le bon sens voudrait qu’un pays qui dispose d’une avancée technologique majeure comme celle qu’a la France dans le nucléaire fasse tout pour la renforcer et place la filière dans ses priorités en matière de stratégie industrielle à long terme : la Russie et la Chine l’ont bien compris. Du fait du manque de soutien politique depuis la fin des années 90, la France fait l’inverse sous les coups de boutoir de nos opposants qui, en parfaits stratèges, effeuillent sans relâche la marguerite nucléaire jusqu’à la LTE qui réduit la part du nucléaire pour laisser la place aux éoliennes et au photovoltaïque essentiellement. Or dans les deux cas, les équipements pour ces deux énergies vont venir de l’étranger : tout le monde connaît le quasi-monopole des Chinois en matière de panneaux solaires ; quant aux éoliennes, 68 % du marché mondial est détenu par les dix principaux fabricants d’éoliennes dont cinq sont chinois pour un total de 28 %. Ayant dirigé pendant dix ans le leader mondial en tubes pour générateurs de vapeur nucléaire basé à Montbard en Côte d’Or (groupe Vallourec), ayant présidé sur la même période le Pole Nucléaire Bourgogne (maintenant Nuclear Valley, pôle de compétitivité reconnu par l’État), je sais combien notre tissu de PME et d’ETI spécialisées – unique au monde – est créateur d’emplois hautement qualifiés en régions rurales, et je sais aussi combien la filière nucléaire a besoin de visibilité de charge sur le long terme. Sans courant d’affaires régulier, la perte de savoir-faire est inéluctable et définitive, et celle des emplois suit. La France risque ainsi de perdre l’indépendance énergétique dont elle bénéficie depuis les grandes décisions stratégiques du Général De Gaulle. Lorsque dans cinquante ans le pays aura à nouveau besoin de nucléaire, faudra-t-il que la France achète ses centrales en Russie ou en Chine ?
Quant au bilan écologique, rajoutons que la fabrication des super aimants nécessaires aux éoliennes à partir de terres rares extraites en Chine dégage un coût écologique plus important que l’extraction du pétrole (voir l’excellent livre de Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, publié en 2018). Un extrait : « il faut purifier 8,5t de minerai pour extraire 1 kg de Va, 16t pour 1 kg de Cérium, 50t pour 1 kg de Gallium et 200 m3 d’eau sont nécessaires pour purifier 1t de terres rares !!! Où sont les considérations écologiques ?
Un angle économique
En plus des emplois générés par la fabrication sur le sol national des composants évoquée ci-dessus, le nucléaire dans sa globalité amène infiniment plus d’activité économique que les renouvelables. L’installation d’une éolienne ou d’un champ photovoltaïque ne profite qu’au propriétaire du terrain qui l’accueille ; alors qu’une centrale nucléaire fait vivre des commerces, des sous-traitants et amène des emplois bien au-delà de la commune où elle est installée. Par ailleurs, à l’heure où la population française s’inquiète de taxations excessives, comment ne pas pointer du doigt celles qui pèsent sur la facture d’électricité et en premier lieu la CSPE ? Celle-ci est clairement fléchée pour subventionner le développement des énergies renouvelables et a déjà été multipliée par quatre en dix ans. Or la France est déjà championne d’Europe en matière de décarbonation de l’énergie électrique grâce au nucléaire. Réduire la part du nucléaire pour le remplacer par des énergies renouvelables est donc du gaspillage de ressources financières dont le pays a pourtant grand besoin. Je me permets de dénoncer en passant l’escroquerie marketing de certains distributeurs d’électricité qui vantent leur fourniture de courant « vert » : le courant d’origine nucléaire est vert par nature puisqu’il ne produit pas de gaz à effet de serre. Il est atterrant d’ailleurs de constater que la moitié de la population française pense que le nucléaire émet du CO2 ! On ne peut que blâmer les médias majoritairement anti-nucléaires pour ne pas informer correctement la population.
L’angle stratégique
j’ai développé les deux raisons précédentes dans un courrier au Président Macron dans le cadre du Grand Débat. Depuis, j’ai rajouté une troisième raison : le souci de l’indépendance énergétique.
Si on prend l’exemple de l’Allemagne, des considérations électoralistes après l’accident de Fukushima ont amené la Chancelière allemande à décider la sortie du nucléaire. Qu’en résultera-t-il, les éoliennes, par nature intermittentes, demandant une source de substitution ? L’Allemagne sera de plus en plus dépendante du gaz russe avec la participation allemande au gazoduc Nordstream dont le Comité d’actionnaires est présidé par …l’ex-Chancelier Gerhard Schröder, qui est devenu en 2017 aussi président du Conseil d’Administration du groupe pétrolier Rosneft. Est-ce prudent ?
Rappelons-nous l’exemple de la Chine : la rupture sino-soviétique dans les années 60 permet enfin à la Chine de « compter sur ses propres forces ». En 1968, elle construit son propre programme nucléaire et reçoit l’aide de la France, dans un modèle de coopération exemplaire avec EDF.
Quelles solutions pour la France ? Elles existent si le
courage politique suit. Le message subliminal des opposants au nucléaire
prétend que les ENR sont une énergie innocente.
Faux : il n’y a pas d’énergie innocente et les ENR ne le sont ni plus ni
moins que les autres. Il y en a simplement de pires : ce sont les énergies
carbonées dont le gaz – même bio – fait partie.
Pour « décarboner le mix énergétique », il faut des solutions de rupture :
- Détacher l’énergie du Ministère de l’Écologie qui est un bastion anti-nucléaire et recréer un Ministère de l’Énergie indépendant avec de vrais experts techniques
- Revenir sur l’effeuillage de la marguerite nucléaire dont la LTE a été un des derniers épisodes en abrogeant le plafond de capacité nucléaire, en stoppant la fermeture de Fessenheim et en affichant simplement un objectif de décarbonation sans imposer en plus un maximum nucléaire
- Arrêter les subventions aux éoliennes, ne plus en construire que dans les cas où elles sont justifiables (ex : îles)
- Lancer la construction d’une nouvelle série de réacteurs de Génération III. L’industrie nucléaire a besoin pour exister et progresser d’un plan de charge sur le long terme. Instituer aussi la préférence nationale sous couvert d’impératif de sécurité nationale
- Et aussi être plus présent au niveau européen où la France a laissé le champ libre aux idéologues germaniques, combattre la priorité européenne à la production éolienne, soutenir les acteurs français à l’export etc.
Je terminerai en invitant tous les lecteurs de Passages à venir se rendre compte de la vitalité du nucléaire en général et de la filière française en particulier en visitant le salon World Nuclear Exhibition en juin 2020 (Paris Nord Villepinte, du 23 au 25).
Gérard Kottmann, président d’honneur de la World Nuclear Exhibition (WNE)