Des messages forts dans un océan de scepticisme sur la possibilité de paix.
A l’occasion d’un voyage organisé par Chrétiens de la Méditerranée en septembre 2015[1], je suis parti avec l’idée de tenter d’identifier des éléments pouvant mener à la paix : le résultat est négatif.
Avant le voyage la solution à deux Etats me semblait bien compromise, j’en ai eu la confirmation totale, cette solution toujours évoquée est une illusion.
Il est sans doute très prétentieux d’émettre une opinion tranchée à partir d’éléments où la subjectivité est tellement présente, mais il faut entendre les opinions et paroles des divers acteurs rencontrés.
On savait par nos lectures la complexité de l’histoire, ancienne ou récente (voir par exemple le livre de Régis Debray), on était sensibilisé au caractère choquant du processus de colonisation par Israël (voir le dossier de la Cimade). Le télescopage de l’histoire était traité de façon frappante par le film britannique The Promise. La montée de l’extrémisme religieux était relaté par Charles Enderlin (Au nom du Temple). Mais à voir les illustrations de la colonisation sur le terrain, c’est ahurissant. « La colonisation est un péché contre Dieu », nous dit le document Kairos préparé par les communautés chrétiennes en Palestine en 2009, en concertation avec de nombreux rabbins. Qui veut entendre ce message ? L’Eglise française ne l’a pas voulu, du moins la majorité de l’institution qui n’a même pas daigné accuser réception : qu’est-ce que cela exprime ?
Les Israéliens de confession juive dénonçant la colonisation sont maintenant peu nombreux alors qu’ils avaient un réel pouvoir de contestation dans les années 90. Et pourtant on ne voit pas pourquoi la démarche de Michel Warschawski ne pourrait être partagée par une majorité : fils de rabbin, soldat à Hébron, il s’est aperçu avec étonnement qu’on le regardait avec crainte, jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il était un occupant et que cette relation pouvait rappeler la période nazie qu’avait vécue son père.
Les interlocuteurs palestiniens chrétiens que nous avons rencontrés avaient tous la même attitude : ils avaient conscience d’être une minorité risquant d’ailleurs de disparaître, mais une minorité agissant en faveur de la paix. Le pire est l’humiliation subie au quotidien, disaient-ils, notre approche est celle de la résistance non-violente, en phase avec la position des Eglises exprimée dans Kairos. Cette attitude est impressionnante dans sa maturité mais on sent qu’elle n’est pas forcément suivie par la majorité de la population palestinienne de plus en plus désespérée par le manque de résultats et qui dénonce la collaboration de l’Autorité palestinienne avec l’occupant.
Le diagnostic le plus dur et lapidaire entendu de plusieurs responsables chrétiens était : Daech et le sionisme relèvent du même processus (je précise bien : pas la même chose ni les mêmes moyens, mais le même processus) : identiques dans leur essence qui est l’instrumentalisation de la religion pour s’approprier des territoires et exclure les populations qui n’adhèrent pas ! Qui veut entendre cela en France ? Pourquoi être taxé immédiatement d’antisémitisme alors que précisément c’est cet amalgame qui peut conduire précisément à l’antisémitisme, comme l’a relevé Jean-Guy Greilsamer, vice-président de l’Union juive française pour la paix ?
La montée des extrémismes des deux bords fait partie du processus de rejet de la paix. On sent bien que du côté palestinien la population peut se tourner vers des formes radicales, ce qui s’est exprimé avec les attaques au couteau quelques semaines après notre voyage. Si on cherche à comprendre, est-ce apporter un début de justification ?
Mais on nous rapporte aussi l’impression des Palestiniens d’être le jouet des puissances qui se partagent l’influence dans la région, les pays arabes (la Syrie en fait les frais depuis 4 ans). Ils dénoncent le soutien américain à Israël qui est favorisé par les évangéliques chrétiens peut-être plus que par les lobbies juifs, mais qui va inévitablement s’amoindrir, la montée des islamistes « importés » en opposition avec la tradition palestinienne tolérante…
La notion de Terre promise est évidemment au centre des argumentaires de la colonisation, avec des contresens sur sa signification : terre d’accueil ou terre d’appropriation qui implique le rejet de l’autre ? (« Dieu serait-il agent immobilier ? ») Il est évidemment étonnant que cet argument relevant de l’obscurantisme puisse être repris par des esprits éclairés se déclarant athées par ailleurs…
L’importance de la culture et de la mémoire, qui sont des objets de conflits notamment à travers l’archéologie, ressort nettement de ce que nous avons pu voir, comme si l’investissement culturel était une solution nécessaire pour forger le futur de la Palestine, bien compromis aujourd’hui.
Un autre message fort, répété par plusieurs de nos interlocuteurs : nous sommes la seule chance de survie d’Israël, si une paix juste est instaurée. Sinon, Israël disparaîtra et nous serons toujours là, nous Palestiniens, sur cette terre qui est la nôtre. Mais on ne sait pas quand… Cette conviction était sincère et forte, mais n’était-ce pas une sorte d’illusion qu’on entretient pour ne pas désespérer complètement ? L’avenir le dira. En fait cette position suscite aussi des questions : qui serait ce « nous » ? Autrement dit, est-il possible que, quelle que soit son appartenance communautaire, on partage un destin commun, dans une démocratie ? Mon impression (mais je n’ai aucune compétence pour le dire !) est que la solution ne peut être que dans un sorte de fédération à l’échelle régionale. On peut rêver ! Il faudra bien un siècle pour y parvenir mais les événements régionaux risquent d’imposer leur agenda. Il sera alors opportun de méditer à nouveau le document Kairos et ce que peut signifier la résistance non-violente.
Certes nous n’avons vu et rencontré qu’une partie du pays et des acteurs et il faut donc se garder de conclusions hâtives. Mais les témoignages recueillis expriment bien l’impasse politique totale dans laquelle se trouve la région.
Que faire ? Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) peut être une réponse citoyenne et politique même si on peut lui trouver de nombreuses ambiguïtés, notamment sur l’énoncé des objectifs, mais aussi sur les effets contreproductifs que cela pourrait susciter (resserrement d’une société en fait très conflictuelle mais qui se considère comme attaquée) de même que prononcer le mot « apartheid », qui me semble correspondre le plus à la réalité, risque de renforcer le rejet de toute critique. Là encore, il y a de quoi s’étonner qu’en France les tenants de ce mouvement BDS puissent être attaqués pour action illégale.
Trouver des lieux d’échanges minimum entre communautés… Quand j’ai évoqué cela très naïvement, on m’a fait remarquer que tel ou tel responsable chrétien (Manuel Moussallam, ancien curé de Gaza par exemple) n’avait même pas pu mettre les pieds à Jérusalem depuis belle lurette. Et pourtant c’est sans doute la seule voie possible : pouvoir se parler avec l’espoir de se comprendre un jour, sans qu’il soit besoin d’une sorte de protectorat comme a pu le faire l’Empire ottoman durant des siècles.
*Xavier Godard est chercheur.
[1] Le compte-rendu de ce voyage est disponible sur le site ; www.chretiensdelamediterranee.org
http://www.chretiensdelamediterranee.com/wp-content/uploads/2016/07/VOYAGEURS-EN-PALESTINE.pdf