« Heureux ceux qui ont une vérité »
Jean-Louis Debré aux Dîners du dialogue de Passages.
La revue Passages a reçu le 15 juin 2016 au restaurant du Sénat Jean-Louis Debré, dont vient de paraître chez Robert Laffont le livre Ce que je ne pouvais pas dire. Emile H. Malet annonce que l’auteur y a traité quatre thèmes, dans l’ordre : la Fidélité, la Rancune, la Loi et la Culture. Ce qui sera illustré… Et lorsque l’invité prend la parole, à l’heureuse surprise des participants, il dit un poème. Hommage à « une certaine idée de la France », à n’en pas douter. Puis il ordonne de « regarder la vie […] qui est à croquer à belles dents » ! Il abordera, toujours avec humour ou causticité, des sujets graves autour de l’état de la France. Annonçant sans surprendre que celle-ci est manifestement, à droite autant qu’à gauche, dans un « trou ». Un « bas » de ces cycles politiques et économiques comme en traverse un pays. Alors, suivant Alain, il demande de s’armer d’« un optimisme de volonté »…
Fidélité à Jacques Chirac – « Je lui dois tout » – auprès de qui les courtisans ont été si empressés dès qu’il fut au pouvoir, si vite détournés, oublieux maintenant les chemins qui conduisent à lui. Fidélité à Michel Debré, le père dévoué à la République. Celle qui donna un statut aux juifs. Le père qui servit de Gaulle restaurant cette République malmenée. Le père qui fit savoir qu’on n’est plus rien sitôt que le prestige d’une haute fonction est retiré.
Rancune envers un récent président de la République qui a osé contester l’Etat quand il était ministre de l’Intérieur, oubliant l’obligation de solidarité sous la conduite d’un même chef d’Etat ; tout comme le font à l’envi certains membres du gouvernement actuel. Or l’Etat est fragile, on le voit… l’Etat est agressé par la télévision, les réseaux sociaux qui vivent du moindre vent de scandale en surmultipliant la contestation. Le rôle d’un ministre est tout à l’opposé : servir. Mécontent, il doit partir ; c’est tout.
La Loi : autrefois de quelques lignes, elle s’exprime en d’énormes pavés dont personne ne maîtrise plus le contenu. Aujourd’hui, « on ne fait pas la loi, on sème l’illusion ». Les décrets d’application ne sortent pas. On fait entrer dans le domaine de la Loi ce qui relève du règlement. Les parlementaires siègent maintenant toute l’année, alors il faut bien occuper ceux qui sont présents dans l’hémicycle ! Qu’est devenu le métier de représentant de la Nation ? Les citoyens ne se reconnaissent pas dans tout ce « personnel » d’élus, de hauts fonctionnaires, bardés de garanties ! Où en est la Constitution de la Ve République ? Aujourd’hui, le pays est fou. Sait-on d’où sortent ces contestataires ? Ces groupuscules furieux ? Un mandat électif vaut-il moins qu’un million de signatures sur Internet ? Dans l’émotion, on s’adresse à son député pour qu’il propose une loi ! Pour qu’on crée un observatoire. Ou au ministre ! Alors, vite est promise une subvention ! Il y a aussi une chose qu’il serait bon d’acter, c’est l’interdiction d’être élu(e)s pour ceux ou celles objets d’une condamnation !
La Culture de la parole a chassé celle de l’action. Jean-Louis Debré ne résiste pas à citer quelques anecdotes cocasses de sa présidence du Conseil constitutionnel. Il vit deux anciens chefs d’Etat ne jamais remiser les rivalités qui les ont opposés. Qu’il soit remercié d’avoir fait rire une assemblée que l’heure du jour pouvait rendre particulièrement sombre. Pour en revenir à la culture, le discours politique est effarant de vacuité. On n’y trouve ni perspective historique, ni la volonté de servir. L’Europe (Allemagne, Suisse, Belgique) n’est pas beaucoup mieux dotée de ce côté-là. Les grandes idées se sont fanées avec la mondialisation, alors les politiques se retrouvent des petits chefs : aux Etats-Unis, n’est-il pas plus important de lever des fonds que d’avoir un programme ?
En France, l’après-guerre avait forgé des caractères, leurs enfants se sont accommodés de moins et la troisième génération n’est plus dans la culture de la Nation. Renan dit que celle-ci est « un rêve d’avenir partagé »… « Heureux ceux qui ont une vérité, plus heureux encore ceux qui entendent et écoutent la vérité des autres. J’y ai cru en écrivant ce livre. »
Propos recueillis par Jeanne Perrin