Il me revient de vous accueillir aujourd’hui à la Maison de la Région et c’est avec un plaisir tout particulier que je le fais, aux côtés de Franck Leroy, vice-président de la Région en charge de la transition énergétique, et de Pascal Mangin, président de la Commission culture. Tous deux vous accompagneront tout au long de cette journée d’échange et, au moment où s’ouvre ce colloque, je veux saluer l’équipe de la revue Passages qui, depuis 1987, accomplit un indispensable travail de décryptage et de questionnement. Elle le fait avec une méthode qui n’est pas étrangère à Strasbourg et à son génie particulier : l’interdisciplinarité.
Après la Grande Guerre, quand Marc Bloch, l’immense historien, l’un des pères de l’Ecole des Annales, vint enseigner dans notre Université, il se prit à organiser, chaque semaine, les « Séminaires du samedi ». Des historiens, des sociologues, des philosophes, mais également des mathématiciens, des physiciens, des chimistes venaient y confronter, sur des questions précises, leurs analyses et leur point de vue.
Marc Bloch avait dans l’idée que nul ne détenait à lui seul la vérité, mais que chacun au contraire en avait sa part. Cela vaut dans l’ordre de la connaissance ; cela vaut aussi dans l’ordre politique. Le débat public gagnerait tout à la fois en hauteur et en profondeur (ce qui est, avouons-le, un exercice assez périlleux), si chacun cessait de se référer inconsciemment à ce petit livre de Schopenhauer qu’est « L’Art d’avoir toujours raison » pour lui préférer le sens du dialogue et de l’ouverture.
Ces dernières décennies, en Alsace, notre position frontalière nous a appris à dialoguer, à confronter nos vues et à toujours le faire, avec nos voisins suisses et allemands, dans une logique absolument constructive. Les Lorrains ont également tissé avec leurs voisins luxembourgeois et allemands d’heureuses et fructueuses coopérations. Quant aux Ardennais, leurs liens avec la Belgique sont à toute épreuve…
Et, au final, la région Grand-Est, qui est une région neuve, puisqu’elle a été créée le 1er janvier 2016, est certainement la plus européenne des Régions de France. C’est la Région aux quatre frontières ! Mais quatre frontières qui ne sont pas des barrières et des obstacles, mais bien des lieux de passage, de coopération et de projets communs. Des lieux d’Europe !
Cela nous oblige. Cela nous oblige à faire de ce vaste territoire, quasiment deux fois plus grand que la Belgique, un laboratoire de l’intégration européenne. Nous voulons être à l’avant-garde de cette Europe concrète, qui s’incarne au quotidien dans la vie de nos concitoyens et de nos territoires. Dans tous les domaines ! Dans celui de l’économie et de la compétitivité, avec l’industrie 4.0, dont nous entendons être les leaders français, en nous inspirant de ce que nos voisins ont fait de l’autre côté du Rhin. Dans le domaine de l’emploi, en créant, grâce notamment à l’apprentissage transfrontalier, un vaste marché du travail qui encouragerait la mobilité de nos jeunes dans ce véritable cœur d’Europe que nous formons. Dans le domaine des transports, nous avons à fluidifier, c’est-à-dire à rendre plus naturels les axes qui nous relient – c’est l’un des objets du programme Interreg que nous pilotons et qui finance notamment le lancement du tramway strasbourgeois vers la ville de Kehl. Tout un symbole !
C’est que l’idée de « régionalisation » ne vient pas, en France, de nulle part. Les premières grandes lois ont été votées au tout début des années 1980, c’est-à-dire sous le premier septennat de François Mitterrand. Mais l’inspiration initiale est tout entière contenue dans le projet référendaire de 1968, celui que le général de Gaulle présentait ainsi à Lyon : « L’effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir l’unité du pays malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain. » Et le fondateur de la Ve République poussait encore plus loin sa pensée en expliquant que le développement à venir se mesurerait aux capacités régionales à se « mettre en relation plus directe et plus étroite avec l’extérieur »… Et cette faculté de coopération transfrontalière marquait pour lui « le renouveau de la France ».
Comment mieux dire et comment mieux définir nos ambitions en matière de coopérations régionales transfrontalières ? Nous devons aller plus loin et plus vite. Cela vaut pour tous les domaines et cela vaut, à l’évidence, pour toutes les questions qui ont trait au développement durable et à la transition énergétique. C’est pour cette raison que je me réjouis d’accueillir aujourd’hui un colloque de cette nature.
Depuis plus de quinze ans, nos trois régions historiques sont fortement engagées sur la question de la transition énergétique. Elles ont globalement poursuivi le même but. Chacune d’entre elles l’a fait avec des moyens et des situations particulières, en tenant compte de leurs réalités géographiques et de leurs ressources.
En Alsace, nous avons choisi, d’une part, de concentrer notre action sur les économies d’énergie. Nous sommes la seule région de France à avoir entièrement dédié un pôle de compétitivité national à cette problématique : le pôle énergivie. Il s’agit, pour nous, de diminuer par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, par la rénovation BBC, voire la réalisation de bâtiments à énergie positive… C’est un véritable « service public » des économies d’énergie que nous avons mis en place, au point où l’Alsace détient le record national de bâtiments rénovés en basse consommation. Et nous entendons l’étendre à l’ensemble de la grande Région. Dans le même temps, nous nous sommes fixés un objectif : porter à 26,5 % la part des énergies renouvelables. Elle était de 17,8 % en 2012.
Et sur cette question de la production d’énergie renouvelable, l’enjeu est ici, dans la vallée du Rhin, essentiellement franco-allemand. Cela s’explique très facilement : de longue date, les barrages hydroélectriques sur le Rhin sont nos grands fournisseurs d’énergie renouvelable. Et chacun d’entre eux s’appuie évidemment sur des financements français et allemands. Cela ne nous empêche pas de soutenir le bois-énergie, le solaire thermique, la biomasse.
C’est que notre approche est pragmatique : c’est sur les réalités territoriales que nous nous appuyons. Et c’est sur la coopération, entre la France et l’Allemagne, que nous pourrons répondre aux enjeux énergétiques de demain.
Philippe Richert*
*Président du Conseil régional du Grand-Est, Ancien ministre.