Rencontres littéraires du lundi 15 février 2016 – Mairie du VIe. Avec l’écrivain Avraham Yehoshua, présentation et modération par Emile H. Malet.
Militant inassouvi du rapprochement entre Israéliens et Palestiniens, Avraham B. Yehoshua, considéré parmi les plus grands écrivains israéliens vivants, prix Médicis 2012, est venu présenter son dernier ouvrage au public parisien. L’écrivain, dont l’œuvre protéiforme est traduite en trente-cinq langues différentes et a déjà fait l’objet de trois réalisations cinématographiques, nous présente La figurante (Editions Bernard Grasset, 2016), narration intime des déchirures intérieures d’une native israélienne, aux horizons internationaux.
C’est la première fois qu’une femme est le personnage principal d’un de ses romans, « cela a donné à ma plume une certaine légèreté et une tendresse particulière », nous confesse cet écrivain âgé de 79 ans. Ce dernier ouvrage, c’est l’occasion du portrait délicat d’une musicienne qui ne trouve pas sa place en Israël. S’expatriant dans un orchestre hollandais, elle est rappelée par son frère à vivre pendant trois mois dans l’appartement de son enfance dans la Ville sainte de Jérusalem. A quarante-deux ans, Noga ne veut pas d’enfants, ce qui attriste tant sa famille que son mari, qui décide de la quitter. Les 398 pages relatent le retour de cette femme déterminée dans l’environnement instable de son pays natal, jouant la figurante et dont chaque nouvelle peau la rappelle à sa propre image et réveille des réminiscences passées.
« Il ne s’agit pas d’un roman d’engagement féministe, précise Avraham B. Yehoshua. Si elle ne veut pas d’enfants, ce n’est pas par une sorte d’ambition carriériste. On peut être Simone de Beauvoir et avoir un heureux ménage. La raison est qu’elle ne voit pas d’avenir pour Israël, du moins pas assez pour y faire naître des enfants. »
L’on retrouve toujours un rapport de la considération de l’Etat d’Israël entre les lignes des romans de Yehoshua. Si l’on demande à Noga de garder l’appartement de sa mère, c’est que celle-ci envisage d’emménager à Tel-Aviv. Ce dualisme entre les deux cités nous rappelle un fait de société, à l’heure où de nombreux citoyens quittent Jérusalem la pieuse pour une certaine modernité. Lorsque Noga rentre dans l’appartement de son enfance, sa nouvelle occupation de figurante va lentement entamer sa décision ferme de refus de la maternité. Avec La figurante, la question latente que se pose l’auteur, c’est « étudier cette résistance humaine, lentement attaquée par les mouvements de la vie ». Dans ce cycle qui fit revenir cette Israélienne sur ses terres d’origine, après une brève expatriation dont on attend le retour, Yehoshua regarde aussi vers l’Europe. Figurante dans son propre pays, Noga est comme beaucoup d’Israéliens : tiraillée par un passé révolu et le sentiment d’être bloquée dans un pays aux futurs indécis. Interrogé par Emile H. Malet sur le bouillonnement culturel en Israël : « Il y a quinze ans à peine, il paraissait impossible d’imaginer un cinéma et une littérature tangibles en Israël. Aujourd’hui, ce champ culturel israélien est même représenté en Europe. Pourquoi maintenant ? Inutile de rappeler qu’en Occident, la période d’entre-deux-guerres a connu les plus grandes créations contemporaines. Toute grande période de malaise réveille des pulsions créatrices. » Tout comme la figurante de Yehoshua se voit inconsciemment confrontée à son identité maternelle, le peuple juif vit avec un problème identitaire depuis trois mille ans. Et, selon l’auteur, le cœur névralgique du problème, c’est l’assimilation du mot « Israël » à l’accréditation juive. Après l’Holocauste et la création de l’Etat juif, Israël est synonyme d’un traumatisme des nations. La porte de sortie à ce sempiternel conflit, précise Yehoshua, est pourtant reconnue par beaucoup : c’est la solution de deux Etats déterminée par les frontières de 1947. « Le problème n’est pas le partage mais l’occupation, précise l’auteur, et ce poison pourrait être arrêté par une proposition de binationalité. Mais cela ne dépend pas que des Palestiniens, l’Europe a aujourd’hui la capacité de résoudre ce nœud de vipères : elle a la force diplomatique, économique et morale pour enfin y mettre un terme. » Alors, dans la composition internationale, qui se trouve au premier plan et qui endosse vraiment le rôle de figurant ? Avraham B. Yehoshua et Emile H. Malet se retrouvent d’accord pour souhaiter la fin de la colonisation et permettre aux deux peuples, israélien et palestinien, de coexister et cohabiter dans la paix. Un rêve ?
Aurélie Caillard