On parle de l’évolution des tarifs, et avec la transition énergétique, les ratios entre énergie et puissance sur les réseaux vont changer. Ils changent déjà, ils ont déjà changé, et vont continuer à changer. Avec le mécanisme de couverture des coûts du TURPE, cela ne pose pas en tant que tel un problème en soi, le distributeur continuera à être rémunéré par rapport à ça, néanmoins cela peut induire des inégalités entre ceux qui payent, et ceux qui induisent des charges supplémentaires sur le réseau. Donc il est important de se poser cette question.
Ce changement entre le ratio énergie et puissance, dit autrement, c’est le nombre d’heures d’utilisation à pleine puissance du réseau, ou le nombre d’heures d’utilisation à pleine production d’un producteur, ces ratios-là évoluent. Ils évoluent aussi bien pour les producteurs que pour les consommateurs. Un producteur ENR se pose cette question bien entendu parce qu’il doit payer des coûts de raccordement, comme c’était mentionné. Et donc plus il va avoir une technologie qui a un grand nombre d’heures de fonctionnement en pleine puissance, et moins cher sera le raccordement au prorata de ce qu’il va produire. Le producteur est donc incité à chercher à minimiser ces coûts de raccordement. Ce sont des choses sur lesquelles on travaille et on soutient des projets. On a parlé de smart grids, il y a le projet Venteea qui est un projet de smart grids porté par ENEDIS et particulièrement intéressant sur ce point-là, où justement on cherche à avoir quelles options de raccordement. Quelles alternatives aux solutions de raccordement peut-on proposer ? Avec un peu d’écrêtage, avec du stockage, pour voir comment un parc éolien finalement pourrait être raccordé sur des bases stochastiques ? Quel est le pourcentage du temps où éventuellement il pourrait être écrêté ? Plutôt que sur des bases, dans le pire des cas, comme c’est le cas aujourd’hui, où la production serait maximale et la consommation locale minimale. C’est très intéressant pour les producteurs ENR, ce sont des choses à soutenir, et c’est un projet qui va permettre de faire évoluer les choses.
Pour les producteurs ENR, il y a bien entendu d’autres dispositifs, d’autres dispositions techniques qui peuvent être mises en œuvre par rapport à ça. Là, j’ai parlé du stockage, mais il y a d’autres choses, l’écrêtage, c’est un moyen aussi d’améliorer le nombre d’heures de fonctionnement pleine puissance d’une technologie. Pour le photovoltaïque, les systèmes sur traqueur qui suivent le soleil le permettent également, où les orientations est-ouest des panneaux photovoltaïques aussi. Tout cela, avec des coûts de raccordement qui représentent une part de plus en plus importante dans une installation ENR. Avec les baisses de coût des technologies, ce sont des technologies qui vont se développer et qui finalement rendent un service au réseau, vu qu’on a une amélioration du ratio.
Pour les consommateurs, on peut avoir une tendance inverse. On a parlé à plusieurs reprises d’autoconsommation. Effectivement en autoconsommant, un autoproducteur va soutirer moins d’électricité du réseau, mais pourrait toujours soutirer la même puissance maximum, donc il va apporter moins de rémunérations au réseau pour une puissance donnée. C’est éventuellement un problème de transfert des autoconsommateurs vers les non autoconsommateurs. C’est un sujet qu’il faudra traiter à moyen terme : comment rétablir ces équilibres ? Néanmoins, il est important de faire des calculs par rapport à l’urgence de la question.
Quand on fait des petits calculs sur l’impact que cela a sur le TURPE, on voit qu’à court terme l’impact est très faible. Aujourd’hui, entre 36 et 250 kilowatts, il y a 1,8 gigawatt d’installation PV raccordé en 2015, cela fait 2 térawatts/heure d’électricité. Si on supposait que ces deux térawatts/heure d’électricité étaient 100 % autoconsommés, ce qui est déjà…, admettons qu’on soit dans du tertiaire, cela induirait une baisse de TURPE de 85 millions d’euros par an, ça fait 0,6 % du TURPE. Certes, c’est une baisse, mais c’est une baisse qui est vraiment de second ordre. Et là j’ai été particulièrement pessimiste, puisque j’ai considéré que c’était les installations jusqu’à 250 kilowatts. Si maintenant on se limite aux petites installations résidentielles, la baisse n’est que de 0,15 %.
Il faudra prendre en compte cette baisse, mais il n’y a pas urgence. Autre point, ces changements de ratio entre énergie et puissance pour les consommateurs ont existé, ils ont toujours existé. Je prends l’exemple ici des pompes à chaleur. Les pompes à chaleur se sont développées, elles continuent de se développer sur le réseau. Une pompe à chaleur, quand elle a un bon coefficient de performance, va consommer trois fois moins d’électricité en énergie. Néanmoins, la plupart d’entre elles – ça commence à disparaître, mais en pointe quand il fait froid –, ont un appoint Joules donc elles appellent la même puissance. Donc la pompe à chaleur a toujours le même impact puissance, alors qu’elle rémunère le réseau trois fois moins. Je n’ai jamais entendu parler de problèmes liés au déploiement des pompes à chaleur par rapport aux questions de TURPE. Encore une fois, quand on fait le calcul, c’est vrai pour les pompes à chaleur, mais c’est vrai pour les chauffe-eau thermodynamiques. Un million de chauffe-eau thermodynamiques avec ces règles-là, cela fait 67 millions d’euros de TURPE en moins. Ce sont des ordres de grandeur similaires, donc il faut se poser la question globalement, pas uniquement pour l’autoconsommation, mais plus globalement pour tous les usages qui induisent des changements entre énergie et puissance.
La question qu’on se pose aujourd’hui par rapport à cette intervention c’est : qu’est-ce que l’ADEME pense d’une part fixe plus importante dans la tarification de l’électricité par rapport à l’effet sur la maîtrise de la demande ?
Une part fixe plus importante dans la tarification des réseaux sous-entend une part variable plus faible dans cette tarification, et qui dit une part variable plus faible veut dire qu’éventuellement le kilowatt/heure est moins cher, alors que l’abonnement est plus cher. Qui dit kilowatt/heure moins cher, la question que l’ADEME peut se poser, c’est est-ce que ça ne va pas induire un effet contraire à la MDE, la Maîtrise de la Demande d’Énergie en incitant les consommateurs à consommer plus ? Là-dessus plusieurs points.
Premier point, l’élasticité prix. L’élasticité de la demande au prix dans le domaine de l’énergie, et du chauffage en particulier de l’électricité : je prends l’exemple du chauffage parce que cela représente une grosse partie des factures, cette élasticité est assez faible dans la mesure où il y a tout un volume d’électricité qui est nécessaire, qui fait partie un peu du socle de base, et finalement si l’électricité augmente un peu, ou si l’électricité baisse un peu, cela a peu d’impact sur le volume d’électricité consommé. C’est ce qui est retenu aujourd’hui comme hypothèse d’élasticité dans les modèles prospectifs de l’ADEME. Ça pourrait donc militer en un sens pour dire que finalement l’impact sur la demande pourrait être assez faible.
Peut-on aller jusqu’à dire que pour autant, dans cette transition énergétique, la MDE a peu d’importance ? Il faut être assez prudent. Certes, on va dans un monde avec plus d’ENR, qui ont des coûts variables très faibles, la plupart d’entre elles, pas de combustible. Finalement, est-ce qu’en induisant même une légère hausse de la consommation d’électricité, est-ce si important que cela, par rapport à cette question de la tarification des réseaux ? Là-dessus, je voudrais juste dire deux choses : premièrement, c’est qu’à ce jour, les coûts complets des ENR sont encore significatifs. Le fait qu’on aura de la production vraiment à très bas coût, à coût nul quasiment en ENR sera vrai, mais il faudra attendre 2030. Pour l’instant, dans la facture des consommateurs, cela représente encore une charge, donc il ne faut pas non plus aller trop loin, et trop vite. Et deuxièmement, ça a toujours été la position de l’ADEME, mais c’est encore affirmé maintenant, ce n’est pas parce qu’on déploie des ENR qu’il faut consommer plus. Si je dois produire plus d’électricité, je vais devoir faire face à deux phénomènes : un phénomène de productivité décroissante des gisements d’ENR, et un autre phénomène, celui de l’acceptabilité sociale.
Si je dois produire plus d’électricité, si je reprends ces deux points-là, je dois installer davantage de moyens de production ENR, et ils sont installés a priori dans l’ordre décroissant de la productivité des gisements. Des éoliennes vont être installées là où elles fonctionnent le plus grand nombre d’heures en pleine puissance, là où elles ont les coûts de revient les plus faibles, ce qui est tout à fait logique. Et si je dois en installer plus, au fur à mesure j’aurais des productivités qui seront moins bonnes.
L’autre point sur lequel il faut faire attention, c’est l’acceptabilité sociale. Il y a un juste milieu à trouver. En France, on a une acceptabilité sociale notamment d’éolien qui n’est pas très bonne. Or l’éolien sera une technologie majeure dans la transition énergétique, donc il ne faut pas non plus qu’on compte sur le fait qu’on pourra en installer extrêmement facilement. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas des objectifs ambitieux.
Il est tout de même important de développer un signal à la puissance. Il y a différentes choses par rapport à ça. Le consommateur aujourd’hui reçoit plein d’informations sur l’énergie, il y a beaucoup de politiques publiques qui incitent aux économies d’énergie, que ce soit la réglementation thermique, les certificats d’économie énergie, l’étiquette énergie sur l’électroménager. Enfin, il y a énormément d’informations que reçoivent des consommateurs qui sont uniquement fondées sur des biens qui consomment peu d’énergie. Il y a très peu d’informations sur la puissance et l’impact sur la puissance.
On l’a bien vu dans les débats récents, sur la nouvelle réglementation thermique BEBN, le débat sur le CO2 s’est vite transformé finalement en un débat sur la maîtrise de la puissance appelée par les nouveaux logements, et sur le fait que, finalement, est-ce qu’il y a comparabilité entre émissions de CO2 et puissance appelée ? Ce n’était pas si clair que ça. Mais en tout cas, l’importance de donner un signal à la puissance pour les nouveaux logements, c’est quelque chose qui se révèle important, et aujourd’hui on a très peu d’outils, mis à part l’abonnement, dans tout ce qui est affichage, tout ce qui est dispositif d’information du consommateur pour lui dire : « Votre domicile va appeler une puissance de tant, et s’il a appelé une puissance de trois kilowatts inférieurs sur 25 ans, vous feriez une économie de tant. » En tout cas, cela n’existe pas, mais ce serait très important certainement de le développer, parce qu’on va dans un monde où la maîtrise de la puissance, la question de pouvoir fournir de la puissance à un instant T, devient de plus en plus importante, et pas tant finalement à 19 h systématiquement, un soir de février, mais de plus en plus en fonction de la demande nette, c’est-à-dire en fonction de la demande à laquelle on aura soustrait la production ENR variable.
En 2030, la production éolienne, la puissance éolienne, la puissance photovoltaïque seront telles que finalement les aléas de demandes nettes vont être dimensionnés par rapport à la puissance nécessaire pour faire face à la différence entre la production variable et la consommation. C’est un signal qui sera beaucoup plus difficile à capter qu’aujourd’hui, c’est un signal qui sera plus variable. Il n’y a pas forcément du vent, tous les soirs à 19 h, au contraire, donc là on a clairement un besoin de puissance, un besoin d’un signal dynamique à la puissance. On peut avoir effectivement le sentiment que sur cette base-là agrandir la part fixe du TURPE sur la puissance, générerait plus d’économie pour la collectivité que l’effet anti-MDE, que l’effet d’augmentation de la demande.
C’est une question à laquelle nous n’avons pas la réponse, peut-être une question de recherche aussi clairement. Est-ce qu’agrandir le signal prix à la puissance induit une économie pour la collectivité qui est supérieure au surcoût lié à l’augmentation de la demande ? Ou l’inverse ? Je n’ai pas la réponse, c’est une question vraiment intéressante pour la recherche.
Il est important que petit à petit on développe le signal puissance dans le TURPE. Je dis petit à petit, il n’y a pas forcément besoin que ce soit dans l’immédiat par rapport aux chiffres que je donnais sur l’autoconsommation, on reste pour l’instant à la marge. Cela doit faire partie des réflexions de ce TURPE, ou du suivant. En tout cas, ce développement de la part puissance a une certaine importance, mais il y a peut-être des travaux à faire à propos de l’effet sur la MDE.
Un point qui n’a pas trop été abordé aussi, c’est de bien mettre tout cela en perspective, avec toute la panoplie d’outils qu’on a à notre disposition aujourd’hui, et qui sont complémentaires. Le mécanisme de capacité a été abordé, il est bien placé pour agir sur le contrôle de la puissance maximum appelée, les tarifications peuvent agir sur le consommateur et donc sur la MDE, et également les développements des outils de l’effacement ou des tarifications dynamiques qui peuvent avoir un effet également sur la pointe. Tout cela se combine, et je crois qu’il est vraiment important de travailler à une articulation intelligente de tous ces dispositifs pour avoir un effet à la fois de maîtrise de la demande d’énergie, et de maîtrise de la demande de la pointe.
Une toute petite annexe par rapport à la dimension locale de ces signaux. Cela a été un peu évoqué. Avec l’autoconsommation, et le développement de l’autoconsommation, il peut être intéressant de voir en quoi une des possibilités pour faire en sorte que les autoconsommateurs payent une juste part du TURPE, c’est de mettre en place un TURPE local, de mettre en place un TURPE adapté à un écoulement local de l’électricité. Ce sont des discussions qui sont en cours dans le cadre de l’ordonnance sur l’autoconsommation, discussions qui sont intéressantes sans remettre en cause complètement la péréquation, mais qui pourraient permettre d’avoir finalement un mini-timbre-poste ou un timbre-poste revu à la baisse dans le cas où les électrons circulent un peu moins loin.
David Marchal*
*Chef de service adjoint Réseaux et énergies renouvelables, ADEME