Toute une partie du secteur électrique européen va dans le mur à assez court terme. Alors bien sûr les prix de gros, c’est le vieux monde, cela ne tient pas compte du développement des services, thermiques ou pas, ou dans d’autres domaines de l’utilisation des données, bref de tout ce qui est moderne et qui est effectivement largement porté par le vieux monde. Mais les prix de gros s’effondrent.
Un autre caveat, qu’il faut avoir en tête, c’est que le prix de gros ne représente que l’énergie. On a déjà dit que transport, distribution et les taxes s’y ajoutent dans tous les pays. Selon un diagramme qui montre l’évolution moyenne européenne pour les ménages, la ventilation d’un certain nombre de taxes, notamment Allemagne, est fait de manière très différente, discrimine, et en gros exonère les entreprises. Derrière beaucoup des questions que nous discutons, il y a des problèmes de compétitivité des entreprises sur ce continent.
Pourquoi est-ce que les prix de gros s’effondrent ? D’abord ils s’effondrent réellement : – 62 % et descendant à 22 euros le mégawatt/heure. Et pour 22 euros le mégawatt/heure, vous n’avez rien. Vous ne couvrez les prix de revient d’aucune forme de production. Au moins pour les moyens de production nouveaux, et sans doute aussi pour beaucoup des installations existantes. Dans beaucoup de pays européens, les électriciens désinvestissent, vendent des barrages, des mines de lignite, etc., aussi vite que possible. Vous avez des commentaires qui ont été faits, puisque cette situation, en gros, apparaît dans les comptes des différentes entreprises à partir de 2014 et 2015. Vous avez plusieurs commentaires intelligents qui ont été publiés. Le Financial Times cite le chiffre de 100 milliards d’euros de dépréciation, ce qui est un chiffre qu’il faut garder en tête.
Cette situation largement liée au mot de « surcapacité » résulte largement de décalages de calendriers, de mauvaises anticipations, de mouvements. Une mauvaise anticipation, c’est un péché que nous commettons depuis déjà plusieurs années sur plusieurs plans. Nous disons tous beaucoup de bien de l’accord de Paris, mais il faut rappeler qu’il prend la suite, qu’il remplace, qu’il oblitère une longue période d’incertitudes, de débats de climatosceptiques versus réchauffistes. En gros depuis Kyoto, nous avons eu une période de débats et de questionnements très compliquée : Parle-t-on énergie primaire ? Protection du climat ? Parle-t-on réduction des importations ? C’était l’époque où les importations d’hydrocarbures représentaient le déficit du commerce extérieur français par exemple.
Un des grands avantages de l’accord de Paris, est d’une part d’avoir reconstruit du consensus, y compris avec les Chinois, les Américains, et de bien mettre l’accent sur l’enjeu du carbone des gaz à effet de serre, bref des choses qui doivent être mieux priorisées.
L’autre élément de calendrier mal anticipé, c’est le fait que la consommation d’électricité en Europe monte régulièrement, pendant plusieurs décennies et se bloque à partir de 2008. Cette rupture, je la trouve très peu commentée au départ, elle se produit. Une des causes essentielles de cette rupture, c’est la crise des subprimes. Le produit intérieur brut s’effondre à peu près partout et a un mal fou à redémarrer, notamment en France et au Royaume-Uni.
Que l’impact sur la consommation d’électricité soit évident, cela va de soi. Mais 2008 est aussi un autre tournant : les hydrocarbures, j’évoquais la croissance un peu folle du prix du baril à partir de 2000, qui s’effondre pour différentes raisons à partir de 2008. On passe de 140 dollars le baril à quelque chose comme 50 actuellement, et les bons experts prédisent que les fluctuations autour de 50 sont sans doute l’événement le plus probable dans les années qui viennent.
Une des explications de cette rupture tient au fait que les gaz et pétrologistes aux États-Unis explosent à partir de 2008, au point de représenter actuellement à peu près la moitié de la production. Au point qu’on attend des importations de GNL en Europe, à partir des États-Unis, alors qu’en 2008, on parlait du mouvement inverse, d’exportation vers les États-Unis. Bien entendu, d’autres mouvements apparaissent après cette période, qui expliquent les fluctuations.
Une question qui me paraît assez fondamentale à l’heure actuelle, compte tenu de la préoccupation du climat et de ceci, c’est de savoir répondre à la question : quels gisements de charbon, de pétrole, et de gaz ne seront pas exploités ? Il y en a largement trop, comment choisir ce qui ne sera pas exploité ?
Autre élément de calendrier qui se télescope mal, la législation que nous fabriquons. Le troisième paquet énergie est adopté en 2009, pas de chance, après une préparation qui se fait à partir de 2007, donc tous ces événements ne sont pas vus. Le paquet énergie-climat un peu mou, à peine. Les textes européens approuvant la création des filing tariffs, on prend des décisions avec des données, des dossiers, des débats qui s’enclenchent quelques années avant. Dommage pour l’anticipation.
Un autre événement, pas du tout anticipé : Fukushima qui, en 2011, provoque immédiatement une réaction allemande, quelques semaines après. Restabiliser les idées après un accident de ce type est un événement qui est toujours très long. Le GNL a connu un grand accident à Cleveland qui s’est cicatrisé en 10 ans. Le monde nucléaire avait mis également trois ou cinq ans pour restabiliser ses idées après l’accident de Three Miles Island (TMI) et après Tchernobyl. Le fait que les débats consécutifs à Fukushima, au niveau japonais bien sûr, mais aussi au niveau européen, au niveau international, et au niveau français durent très longtemps est normal. Mais cela laisse des questions ouvertes importantes, dont une qui est le fait que les demandes d’indemnisation allemandes de Vattenfall, pour la fermeture des réacteurs allemands, sont notamment débattues devant différentes instances, dont le CRD sujet qu’on oublie largement dans le débat sur le Tafta.
Le fait que nous ayons à débattre des échelles de temps complètement différentes devrait remettre l’accent sur la notion d’actualisation. De quoi parle-t-on ? Dans certains cas, on doit comparer les événements des flux qui se passent dans les trois ans qui viennent avec des amortissements jusque 2200.
Que retenir pour conclure ? D’abord, il y a urgence, je signalais les désinvestissements pratiqués par de grands électriciens : Alpi, Vattenfall, c’est l’actualité, et les ruptures pour à peu près l’ensemble des entreprises du continent sont en train de se produire. Que faire ? Il faut avoir une parole claire, le citoyen ne comprend plus rien, quand on lui dit que les prix s’effondrent et que ses factures augmentent, mais d’autres tensions de ce type apparaissent. Il me paraît important d’accélérer au plus vite les utilisations intelligentes de l’électricité, puisqu’elles sont disponibles. Beaucoup des discours sur « il faut réduire à tout prix l’énergie primaire » font bizarre. Pour ce faire, un sujet à reprendre malgré les avis écrits il y a quelques jours dans la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), revoir de manière un peu volontariste, les investissements devant les interconnexions, y compris vers la Grande-Bretagne. J’ai dit qu’il fallait renforcer le cadre conceptuel, notamment sur l’actualisation.
Le débat va porter sur les coûts variables, il faut répondre à des questions du type, que met-on en stand-by ? Que met-on sous cocon ? Qu’arrête-t-on ? Ce ne sont pas les instruments que nous avons débattus pendant des années autour des coûts moyens actualisés qui permettent de répondre à cela. C’est d’autres types d’appréciation économique.
Dernier point. Il paraît évident que nous avons tous besoin de rétablir de la confiance. Je comprends bien l’ambition des régulateurs de devenir le forum de débats, écouté et crédible. Il faut jouer tout type de forum disponible, que le Parlement, puisque nous sommes ici, l’office parlementaire. Bref nous allons vers des temps qui sont beaucoup plus difficiles que nos débats peuvent le donner à penser aujourd’hui.
Philippe Vesseron*
*Président honoraire du BRGM,Ingénieur général des Mines (er).