Un homme de son temps
Dès les premières lignes, on sait que ce livre sera une déclaration forte de l’attachement de l’auteur au père de la psychanalyse. Une déclaration d’allégeance à un grand homme, un souci militant de le connaître toujours mieux et de le faire connaître. Freud est la référence incontournable : dans chaque prise de parole d’Emile H. Malet une citation de Freuad apparaît… ce qui ne surprend jamais les auditeurs qui le connaissent ! De ses nombreux livres il n’y a guère que L’adresse au père, hommage à un homme cher et trop tôt disparu, qui soit plus personnel… Ceci pour dire que traiter de ce livre, c’est parler directement à son auteur…
Pour rester factuel, disons tout de suite que l’écrivain israélien Abraham B. Yehoshua souligne dans la préface que la constitution de l’Etat d’Israël à partir d‘une appartenance religieuse a un caractère exceptionnel. Et qu’il faut se demander quelles en sont les conséquences. On retrouvera sans surprise dans le livre un chapitre sur le questionnement de Freud sur le sionisme. Sur la question non résolue du dialogue israélo-palestinien qui commencerait avec un dialogue interreligieux d’une part, et la paix des armes d’autre part (ou vice versa)… C’est cet aspect qui est moins connu du public et qui mérite d’être souligné.
A peine pense-t-on, d’autre part, que Freud est un médecin tant il a subverti les codes de la fonction et tant, se disant « sans Dieu », on ne pense pas à s’attacher à sa judéité. Emile H. Malet le présente donc comme un homme de son temps (chacun ne se souvenant que du fait qu’il connut la montée du nazisme qu’il a pu fuir in extremis). Il était éclairé de la vie politique, en discutant dans les cercles de cette brillante Vienne de la Mitteleuropa. Il est frappé dès l’enfance par ce que signifie être juif, être né juif (l’épisode du chapeau de son père).
Il tient à prendre ses distances. Mais il a bénéficié de l’injonction éducative de la Haskalla (lumière juive) des XVIIIe et XIXe siècles (« Va et apprends »). Or si dans la conduite de sa vie, la Loi fut « une sentinelle de l’humanité », elle le fut tout autant pour Pascal et pour bien d’autres. Elle peut l’être pour chacun de nous dans une « éclipse de Dieu » qui ne devrait gêner personne… Freud ne « circonscrit l’identité juive ni à un territoire, ni à une idéologie ou un nationalisme d’aucune sorte ». Elle est en lui à l’intérieur. A l’extérieur, hors le tumulte, il y a son travail.
Venons-en à la pulsion de vie. « Freud poursuit le travail herméneutique des grands auteurs, Maïmonide, Spinoza, Moïse Mendelssohn » en créant la psychanalyse. La reconnaissance de cette pulsion est peut-être un héritage d’un peuple souvent persécuté et elle ne se retrouve ni dans l’anatomie ni dans la physiologie. La pulsion de mort l’accompagne, inséparable, qui ouvre l’éventail avec elle de toutes les composantes de l’humain. Elles ne sont pas encore évoquées à cette époque. Freud consacre sa vie et son œuvre à les révéler.
Cette dernière question dépasse le cadre de cet essai… Pour la pertinence des recherches qu’il contient, on se réjouit qu’il ait vu le jour.
Jeanne Perrin