« Il abandonne son visage entre mes cuisses. »
« Je suis paralysée par l’étrangeté du plaisir extrême que je ressens avec lui ; quand sa bouche revient sur mon sexe, il écarte mes jambes avec autorité, sa langue me lèche doucement, je gémis à nouveau… »
« J’adore le goût de ta chair. »
« Ce sont des mots que je n’ai jamais entendus. Aucun homme ne m’a parlé ce langage des sens. »
Pendant 460 pages, Lauren Chapman, retranscrivant fidèlement la réalité de la sexualité dans les mots d’une fiction, confie à ses lecteurs et ses lectrices anonymes, comme à une amie intime, le langage de l’amant idéal. L’acte sexuel foudroyant, libéré des parures du mythe, de la métaphore et même du romanesque, s’érige sous la forme de l’Homme, totalement dénudé par la description de sa puissance et de sa faiblesse d’archétype viril d’un certain désir féminin sans voile. La narration respecte un rituel progressif, au cours duquel se répète la fusion des deux sexes mâle et femelle se savourant l’un l’autre au tréfonds de leur chair brûlée par la passion physique.
Avec un naturel maîtrisé, Lauren Chapman parle plus qu’elle n’écrit sa confidence. Sa parole communique le corps secret, l’intimité des humains, le plaisir, les différences et les contradictions que les hommes et les femmes ont en commun. La voix de l’auteur, tout au long de Crazy in Love, se diversifie, se module à notre oreille à l’écoute de la musique de l’héroïne harmonieusement nommée Mélodie, pour chanter la vie et la joie d’être séduite et de séduire.
Ce roman ne s’énonce pas sur un mode fantasmatique mais sur un mode directement concret ; le verbe, humble, minutieux, coïncide avec la physique chimie des corps, s’étale en liberté dans le couple enlacé dont nous suivons le va-et-vient perpétuel des émotions, les allées et venues entre le besoin, la frustration, l’assouvissement et le recommencement amoureusement inlassable. L’impudeur pudique de Lauren Chapman pratique une écriture lisse, les chairs sont pénétrées, frottées, électrisées, les personnages sont des fragments de jouissance, des instantanés d’orgasmes, ils ont pour identité allégorique la bouche, les mains, le sexe, le sein, la verge, le vagin, le clitoris : les acteurs réels de l’intrigue sont ces organes du texte qui exprime les corps extatiques, les corps à corps de l’éphémère et de l’éternité, en dehors de toute inhibition sexuelle et verbale. Dépassant les clichés, les slogans et les modes, le langage de Crazy in Love n’a rien de nombriliste, rien de pervers, rien de l’amour en miroir, il ose avouer crûment l’incomplétude des deux sexes l’un sans l’autre.
Cette longue chanson d’amour réussit l’alliance musicale de la chair et du cœur où s’unissent un héros et une héroïne de romances, au sommet de leur jeunesse et de leur séduction.
Au rythme des mouvements des corps, Lauren Chapman, écrivain, peintre et ancienne danseuse du Crazy Horse, représente à travers la chorégraphie érotique des dialogues et des monologues, les figures de l’étreinte d’une étudiante avec « l’homme star ». « Il est bien là, en chair et en os, je le touche encore, encore, encore… boum… boum… boum… Une bouffée d’adrénaline à retardement me plonge pour de bon dans la réalité. » « J’aimerais qu’il habite mon corps comme il habite mes pensées, avec la même intensité, proche de la folie parfois. » Mélodie interroge Ryan : « Tu crois que tu peux faire ce que tu veux avec moi ? » L’amant idéal répond avec un aplomb insensé : « Oui ».
On lirait presque dans cette romance publiée en 2016 un surprenant hommage à l’un des Pères millénaires de notre civilisation, Aristote, pour qui « il est nécessaire que s’unissent en couple les êtres qui ne peuvent exister l’un sans l’autre ». Mais l’hommage très contemporain de Lauren Chapman a en même temps la valeur d’une riposte à l’antique philosophe dont le logos soutenait dans Les Politiques que « le mâle est par nature à la femelle ce que le supérieur est à l’inférieur, c’est-à-dire ce que le commandant est au commandé ». Superbement, Lauren Chapman, en active femme du XXIe siècle, rééquilibre le discours du rapport sexuel archaïque.
Selon une romancière interviewée récemment, les hommes et les femmes éprouveraient de moins en moins d’attirance les uns pour les autres. Lisez Crazy in Love : les hommes et les femmes s’attirent toujours passionnément. Lauren Chapman a la générosité d’écrire pour le faire savoir et remonter le moral des pessimistes de l’amour… et rajeunir le roman d’amour…
Chantal Chawaf
A propos de Crazy In Love, Lauren Chapman, Cherche Midi éd.