Le psychanalyste est confronté à la résurgence de traumas de l’enfance chez des adultes lors de moments juvéniles comparables à ceux de l’adolescence. Passé « cet exil obligé de l’enfance », nous traversons des crises à certains âges de la vie, sans rapport évident avec des bouleversements physiologiques : « Les moments irréfléchis n’arrivent pas qu’aux jeunes. » Nous serions donc tentés de chercher dans ce livre les conseils d’un vade-mecum pour surmonter nos douleurs, nos interrogations existentielles.
Seulement, les auteurs parlent dans cet essai de névroses. A la guérison desquelles ils appliquent des outils qui sont propres à leur spécialité, en particulier le transfert. Il s’agit alors ici d’approfondir la compréhension des étapes d’une cure, avec les remous qu’elles causent tant du côté du patient que de l’analyste lui-même… Ce dernier est sollicité très souvent afin d’être embarqué dans le fantasme du premier dans le cas où ils ne sont pas de même sexe. Face à des impasses de la vie sentimentale, il s’agit d’aider à « fusionner le courant tendre et le courant sexuel », dont Freud a dit qu’il était « difficile chez les êtres civilisés », autrement dit les intellectuels, les croyants, tous ceux qui doivent « échapper à l’idéalisation maternelle ». « Un rabaissement de la vie amoureuse est nécessaire pour que se déploie le courant sensuel. »
Concernant les névrosés, les psychotiques, les pervers, ils font usage de la négation dans leur rapport défensif : le non de non, dit Lacan. Ils doivent finir par le comprendre pour avoir une chance de guérison. Il existe au-delà de ces situations, ce qu’on appelle l’« état limite » qu’André Green appelle aussi « folie », l’état du ni oui ni non, on reste dans un « no man’s land » très difficile, cas fréquent dans la pratique clinique contemporaine. Une installation à mi-chemin entre la présence et la perte dont il faut sortir. Sous le titre « Recherches poétiques et illusions scientistes », les auteurs abordent les usages (considérés comme un bienfait) de l’alcool à outrance, des drogues aidant à explorer par le rêve ou par l’action des domaines inaccessibles. A commencer par l’accès à l’autre comme à soi-même, par cette alternance du plein et du vide. « On comate ensemble », disent les ados ! Ce qui concerne l’adolescence est encore plus dangereux chez l’adulte. Le sujet ne considère pas sa liberté comme aliénée. Or, elle est et il a besoin d’elle… Et que dire d’une addiction possible à la cure psychanalytique ? Comme ce fut dénoncé par Freud en son temps pour les séances chez l’hypnotiseur.
Ce livre s’illustre de rappels à des romans ou des films. C’est ce qui le rend extrêmement vivant et lui permet de rendre chaque sujet accessible, voire familier à tout lecteur. On doit signaler La Métamorphose de Kafka. L’auteur de 26 ans réussit à témoigner en deux semaines de « l’expérience honteuse qui exige d’être écrite ». L’être honteux qui ne se voit que comme produit d’amours répugnantes ne peut se sauver qu’en retournant dans une obscurité originelle. Non seulement à l’adolescence mais à plusieurs étapes de sa vie, un tel sujet reprochera à ses parents de l’avoir fait naître sans qu’il le veuille. Hamlet est également analysé, en parfait héros de tragédie familiale avec ses doutes d’adulte et ses retours « infantiles ».
En conclusion, que nous l’ayons bien supporté ou pas, nous n’avons pas qu’une filiation mais plusieurs. On n’est jamais identique à soi-même. Ce qui peut être source de créativité. Il faut donc pour échapper à la tentation de l’angoisse ou de la haine, savoir risquer, comprendre, écrire, raconter…
« Se revoir comme un fleuve qui continue à couler traînant avec lui des arbres déracinés par le courant […] j’entraîne tout et je continue. » C’est Pablo Picasso qui dit cela, lui qui fut plusieurs fois juvénile et constamment jeune.
Jeanne Perrin
Garcia-Pons, Solal
PUF