Je souhaite tout d’abord rappeler que le groupe EDF est fortement investi dans les énergies renouvelables avec son important parc hydraulique en France et par l’intermédiaire de sa filiale EDF Energies Nouvelles qui est aujourd’hui un acteur mondial du renouvelable.
Nous voulons continuer de développer ces énergies renouvelables car, comme le nucléaire, elles contribuent à un mix de production électrique décarbonné.
Notre enjeu est alors de faciliter leur intégration dans le système électrique et de rechercher en particulier les moyens de lever les difficultés liées à l’intermittence.
C’est pour cela que la Direction Recherche et Développement d’EDF a lancé et vient d’achever une longue étude sur un scénario de forte pénétration des énergies renouvelables électriques en Europe[1].
Ces travaux avaient pour objectif d’examiner très précisément les différents aspects techniques et économiques d’une situation dans laquelle le système électrique européen serait approvisionné à 60 % par des énergies renouvelables (dont 40 % de production intermittente : éolien et photovoltaïque).
Le corps d’hypothèses de l’étude (demande électrique, puissances installées, prix des combustibles et du CO2…) s’appuie sur le scénario « EnR Haut » publié par l’Union européenne dans sa Roadmap Energy en 2011. Ce scénario retient un parc européen composé de 200 GW de photovoltaïque, 280 GW d’éolien terrestre, 205 GW d’éolien en mer et 120 GW de capacité hydroélectrique.
Ces capacités de production ont été réparties dans notre étude entre les différents pays en fonction des potentiels physiques locaux pour chaque filière. Nous avons ensuite procédé à des modélisations et simulations portant sur l’optimisation des équilibres offre-demande au pas horaire sur une année, sur l’examen de la stabilité du système électrique en cas d’incident, ou encore sur la mise en œuvre de différentes solutions pour traiter les conséquences de l’intermittence des productions éoliennes ou photovoltaïques.
Nos principaux constats
Indépendamment des aspects économiques que nous ne développerons pas ici puisqu’ils n’entrent pas directement dans la thématique de notre session, nous souhaitons souligner deux constats majeurs mis en évidence par nos travaux : la très forte variabilité de la production éolienne et photovoltaïque d’un jour à l’autre et la nécessité d’équiper ces installations de dispositifs de réglage de la fréquence et de la tension du réseau afin de réduire les risques d’instabilité du système électrique.
Comment gérer les fortes variations de la production ?
Les simulations de puissance produite, en utilisant 30 années de données climatiques locales, montrent que, même en considérant tout l’espace européen, très étendu et qui rencontre des régimes de vents différents, la production renouvelable totale demeurerait tout de même très fortement variable d’un jour à l’autre. Pour l’éolien terrestre par exemple, avec un parc européen installé de 280 GW, la puissance journalière en hiver pourrait varier de 40 à 170 GW avec un écart moyen d’un jour à l’autre de 90 GW !
Les dispositifs de stockage et la gestion active de la demande pourront être sollicités pour compenser cette intermittence mais nos travaux montrent que leurs contributions possibles, en termes de potentiels de puissance et de coût, apparaissent très insuffisantes en regard de l’ampleur des variations de productions renouvelables constatées.
La présence de moyens pilotables tels que les moyens thermiques (centrales au gaz et nucléaires), dont un volume important de moyens de pointe, apparaît donc indispensable à la sécurité d’approvisionnement : ces centrales permettront de satisfaire la demande lorsque la production des renouvelables sera trop faible. Les moyens nucléaires et renouvelables sont alors complémentaires pour atteindre une décarbonation massive du système électrique.
La possibilité d’écréter, c’est-à-dire de réduire un peu la puissance produite par les renouvelables à certains moments, constituerait un autre levier, économiquement très pertinent, de gestion des intermittences.
La stabilité de fonctionnement du système électrique
Les analyses fines sur le fonctionnement dynamique du système électrique montrent quant à elles que les énergies renouvelables devront en outre participer aux réglages de la tension et de la fréquence de ce système. Sinon, les simulations font apparaître de gros risques d’instabilités et d’incidents étendus, tout particulièrement lorsque la production renouvelable est élevée et la demande faible.
De nouveaux dispositifs de pilotage et de régulation devront donc être inventés et installés sur les éoliennes et les centrales photovoltaïques.
Enfin, une forte coordination sera nécessaire entre les rythmes de développement des installations d’énergies renouvelables et ceux des développements des réseaux de distribution, de transport et d’interconnexions.
Quelles évolutions des réseaux de distribution ?
S’agissant plus particulièrement maintenant des réseaux de distribution, objets de notre session, plusieurs questions nouvelles devront être traitées pour permettre d’accueillir des volumes importants de renouvelables.
Sans entrer plus avant dans un exposé technique, nous pouvons simplement citer trois difficultés principales :
– besoins de renforcements du réseau pour raccorder et évacuer les productions, les lieux de production (fermes éolienne ou photovoltaïques) étant généralement éloignés des centres de consommation ;
– détection plus difficile des incidents sur le réseau ;
– gestion de la tension sur le réseau (qui est fortement dépendante localement du niveau de la production renouvelable).
Un système accueillant une part importante d’EnR intermittentes fera donc apparaître de nouveaux sujets techniques. Les enjeux de recherche et d’innovation sont ainsi très importants et les nouvelles technologies « smart grid » seront nécessaires pour parvenir à de nouveaux modes de pilotage des réseaux de distribution.
La R&D d’EDF travaille déjà et progresse sur ces sujets. Nous avons également la possibilité de développer certaines solutions dans les systèmes électriques insulaires de la Corse et des DOM qui connaissent déjà, pour certains, un taux élevé de pénétration de production intermittente.
Une coopération à développer avec et entre les gestionnaires de réseau
Enfin, pour réussir cette intégration des renouvelables, une forte coopération devient indispensable entre les équipes de recherche des différents acteurs et les gestionnaires européens des réseaux de distribution et de transport. Cette coopération a débuté et doit être renforcée avec plusieurs objectifs, parmi lesquels : partager sur les innovations ; faire évoluer les normes techniques ; maintenir un bon niveau de sécurité d’approvisionnement ; faciliter un déploiement économiquement efficace des « smart grids ».
Jean-Christophe Gault
Chef de département R&D, EDF
[1] Disponible sur le site de la R&D d’EDF :
http://chercheurs.edf.com/fichiers/fckeditor/Commun/Innovation/departements/SummarystudyRES.pdf.