Lorsque l’on évoque la possibilité d’aller d’un pays européen à un autre à bord d’une voiture électrique, plusieurs aspects peuvent être considérés. D’abord, électrique ou pas, on peut s’interroger sur la manière dont l’énergie a été produite car elle n’est pas produite partout de la même façon, avec les mêmes vertus vis-à-vis de l’environnement. Mais ce questionnement n’enlève rien à l’importance des grands réseaux, notamment pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Si cette sécurité n’est pas garantie, à l’intérieur du territoire national et en Europe, sur les parcours qui seront les siens, la voiture électrique ne pénétrera pas le marché.
Nous ne sommes qu’au début d’une évolution qui peut être très importante, voire exponentielle, notamment pour les personnes qui vivent à côté des grandes villes, qui doivent parcourir 15 ou 20 kilomètres pour rejoindre leur domicile et pour lesquelles la desserte par les transports en commun peut s’avérer difficile. L’autonomie du véhicule électrique est suffisante pour ces petites distances mais on connaît bien les problèmes que posent les longues distances : il faut prévoir une charge qui dure longtemps. Les constructeurs font d’énormes progrès en cette matière ; bien sûr, plus l’autonomie est importante, plus c’est cher, mais les coûts et les prix vont baisser. Si optimiste qu’elle soit, celle vision ne supprime pas le besoin de rassurer. Quand, avec un véhicule traditionnel, on circule sur des liaisons autoroutières, surtout payantes, et que l’on risque une panne sèche, on est soulagé de trouver un fournisseur ; on regarde à peine son prix, on ne peut pas faire jouer la concurrence. On est obligé d’accepter ce qui est proposé, faute d’autre choix. La problématique est sensiblement la même avec le ravitaillement en énergie électrique. Le premier objectif, c’est la sécurité d’approvisionnement. Bien sûr, les questions d’attribution des concessions et de tarification ont leur importance, mais ce n’est pas la première des priorités tant que nous n’avons pas l’expérience d’un réseau donnant toutes les garanties de sécurité requises.
Je suis très intéressé par le système mis en place à Paris. Il s’agit de dispositifs de chargement qui sont peu consommateurs en énergie pour la voiture, mais qui le sont beaucoup plus pour le système de chargement lui-même. On est peu renseigné sur la dépense réelle d’énergie lorsqu’on réalise le chargement. Mais, par exemple, il serait intéressant de considérer le fait que les véhicules fréquemment utilisés avec des petites recharges puissent tenir la charge de manière plus durable. Ce n’est pas nécessairement l’idée que l’on s’en fait a priori.
L’utilisation sur de longues distances, où la vitesse peut présenter de l’intérêt (en particulier sur les autoroutes allemandes), constitue un frein pour les utilisateurs qui ne bénéficient pas des avantages de vitesse auxquels les avaient habitués leurs véhicules traditionnels. C’est un vrai problème. Il faut à tout le moins sécuriser les utilisateurs en leur indiquant par un signal clair où ils peuvent se ravitailler ; tant que cet objectif ne sera pas atteint, on ne développera pas le marché de la voiture électrique au-delà de la pratique urbaine ou périurbaine. Dans le très urbain, il y a beaucoup de transports en commun, mais il y en a beaucoup moins dans la desserte des périphéries (et pas toujours aux heures où se pratiquent les liaisons domicile-travail). Il faut être volontariste dans le déploiement des réseaux correspondants et délivrer des signaux clairs quels que soient les états d’âme qu’on puisse éprouver sur la manière dont ces réseaux sont alimentés par la production elle-même. Il est essentiel de hiérarchiser les objectifs et, si l’on veut décarbonner les transports, il est nécessaire de promouvoir la voiture électrique, donc de donner confiance aux consommateurs-utilisateurs.
Dans le rapport qu’il a remis au président de la République, Michel Derdevet fait état des autoroutes vertes qui représenteraient un énorme investissement au niveau européen. Il est indispensable de passer par là si l’on veut que le véhicule électrique trouve véritablement sa place. Chez les clients potentiels, la confiance n’est pas encore au rendez-vous et le transport sur longue distance est sûrement le frein psychologique le plus important. Il est impérieux de traiter ce problème, en particulier si on veut limiter le nombre de ménages qui détiennent plus d’une voiture.
François Brottes
Ancien Président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.