Le 13e Forum mondial du développement durable, ayant pour thème : « La lutte contre le réchauffement climatique, facteur de division ou force motrice d’un nouvel ordre mondial ? », s’est déroulé le lundi 16 mars 2015, en partenariat avec France-Amériques, dans les locaux de France-Amériques à Paris 75008. Une assistance nombreuse, des intervenants de qualité, une préparation à la COP21… Ce colloque, dont nous publions quelques-unes des interventions, a tenu ses promesses scientifiques et politiques en plaçant le climat comme élément moteur de l’ordre mondial
Chine, Etats-Unis, Europe, PVD… agir ensemble contre le réchauffement climatique
Par Claude Liévens
L’année 2015 a été cruciale dans la lutte contre le changement climatique et, grâce au travail des diplomates, la conférence de Paris (COP21), qui s’est tenue en décembre, aura permis de conclure un nouvel accord international, effaçant ainsi le souvenir de l’échec de Copenhague.
Mais la démarche est très complexe. D’une part, il faut bien reconnaître que le réchauffement climatique pourrait favoriser certains pays, comme la Russie ou le Canada, et certaines activités, comme le transport maritime. D’autre part, il s’agit d’un problème mondial alors que les solutions sont locales et soumises à des contraintes géographiques, démographiques, historiques, sociales, politiques très différentes d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre. C’est pourquoi la préparation de l’accord s’est appuyé sur des contributions de chaque Etat, avec l’espoir de stimuler ainsi l’ambition et le réalisme des acteurs nationaux ou régionaux auxquels il appartiendra ensuite de mettre en œuvre les décisions prises.
Le positionnement des Etats-Unis et de la Chine
L’ensemble Etats-Unis + Chine représente 35 % du PIB mondial et 45 % des émissions de CO2. A ce titre et compte tenu de leur puissance économique, ces pays ont une responsabilité majeure, tant dans l’évolution de la problématique du climat que dans l’adoption et la mise en œuvre de solutions. Dans cet esprit, les Présidents Barack Obama et Xi Jinping ont annoncé conjointement le 12 novembre 2014 leurs objectifs en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES).
La Chine vise une décroissance à partir de 2030 et si possible avant. Cet engagement a été salué comme historique. Pourtant, depuis plus de vingt ans, la Chine a pris conscience de l’incompatibilité du modèle traditionnel de croissance économique avec la protection de la nature, de l’environnement et des écosystèmes. Elle considère qu’on ne peut plus continuer à privilégier un développement générateur de pollution ; le développement durable est devenu pour elle une mission urgente et elle a pris des mesures importantes. Ainsi :
– elle s’est fixé comme objectif de réduire l’intensité carbone de son économie (rapport émission de GES / PIB) dans une proportion de 40 à 45 % entre 2005 et 2020 ; aujourd’hui, elle a déjà réduit ses émissions de CO2 de près de 30 % ;
– de 1990 à 2010, selon les statistiques de la Banque mondiale, elle a réalisé 58 % des économies mondiales liées à l’amélioration de l’efficacité énergétique.
Depuis de nombreuses années, elle investit dans la quasi-totalité des domaines liés à la décarbonation de la société :
– l’électricité nucléaire : 21 réacteurs sont opérationnels et 28 en construction, dont deux EPR ;
– les éoliennes, qui fournissent 2,4 % de la consommation électrique nationale ;
– le photovoltaïque : deuxième rang derrière l’Allemagne ;
– le solaire thermique : les deux tiers de la production mondiale ;
– le captage de CO2 dans les centrales électriques à charbon ;
– les ampoules à basse consommation : promotion subventionnée par l’Etat ;
– les voitures électriques : objectif de 5 millions de véhicules à l’horizon 2020, subventions aux constructeurs, réalisation d’infrastructures, primes à l’achat…
Cependant, la Chine est encore un pays en développement et la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique demeure pour elle un défi difficile qui ne peut être relevé du jour au lendemain. Ainsi, le charbon occupe une place majeure dans son mix énergétique, surtout pour la production d’électricité, et son objectif d’amener à plus de 20 % en 2030 la part des combustibles non fossiles dans la consommation d’énergie primaire est très ambitieux.
Les Etats-Unis, pour leur part, ont annoncé une réduction de 26 à 28 % de leurs émissions de GES entre 2005 et 2025. Cet engagement repose sur des mesures très concrètes rassemblées dans le Climate Action Plan de l’administration Obama. On peut noter aussi les points suivants :
– l’agence américaine pour la protection de l’environnement a défini des règles qui interdisent notamment la construction de centrales thermiques au charbon qui ne disposeraient pas d’un dispositif de capture et de séquestration du CO2 ; ce n’est pas une mesure négligeable dans un pays où près de 40 % de l’électricité est produite à partir du charbon ;
– en ce qui concerne le méthane, dont l’effet de serre est 25 fois plus puissant que celui du CO2, une stratégie visant à réduire ses émissions de 40 à 45 % d’ici à 2020 a été définie en concertation avec l’industrie pétrochimique ;
– un effort important est mené dans le domaine des transports ; des nouvelles règles sont mises en place pour doubler l’efficacité énergétique des automobiles américaines et les rapprocher ainsi des standards européens.
Mais il ne faut pas oublier qu’aux Etats-Unis beaucoup de politiques sont décidées au niveau des Etats ; plusieurs d’entre eux se sont fixé pour 2020 des objectifs ambitieux en matière d’énergies renouvelables : 33 % pour le Texas, 30 % pour l’Etat de New York, 25 % pour le Minnesota…
Le Climate Action Plan est considéré comme très ambitieux par de nombreux observateurs et l’opposition américaine le juge irréaliste et très néfaste pour l’emploi. Mais l’année choisie comme référence (2005) est celle où les émissions ont été les plus élevées. Par rapport à une autre référence fréquemment retenue (1990), la réduction visée serait de 13,8 %, soit 0,43 % par an. Or le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirme dans son 5e rapport que, pour maintenir la hausse des températures sous le seuil de 2°, nos émissions de GES doivent être réduites de 10 % par décennie. Cela paraît donc incompatible avec les positions des Etats-Unis et a fortiori de la Chine.
Bien avant 2014, un partenariat de haut niveau associait déjà les Etats-Unis et la Chine dans le développement des EcoCités. Etant donné que l’importance des villes ne fera que croître dans les prochaines décennies, il s’agit d’une expérience très intéressante. Nous devons en effet dépasser la conception purement immobilière de l’urbanisme et privilégier les capacités à vivre ensemble dans une ville solidaire et partagée visant la sobriété énergétique et marquée par ses spécificités culturelles, économiques et climatiques. Les acquis technologiques sont suffisants pour cela, mais la coopération internationale est essentielle pour profiter au mieux de l’expérience que chacun a pu acquérir compte tenu de son parc immobilier et de ses particularismes.
Le positionnement de l’Union européenne
L’Union européenne (UE) représente 23 % du PIB mondial et seulement 11 % des émissions de CO2. Ces excellents chiffres résultent du fait que, grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables, plus de la moitié de la production d’électricité n’émet pas de CO2. Notre paquet Energie-Climat 2030 (réduction de 40 % des émissions de GES par rapport à 1990, 27 % d’énergies renouvelables, efficacité énergétique améliorée d’au moins 27 %) est cohérent avec les objectifs du GIEC et peut paraître raisonnablement ambitieux.
Mais plusieurs observations limitent cette vision optimiste :
– les bons résultats de l’UE sont fortement liés, d’une part, à l’absence de croissance économique et, d’autre part, à la délocalisation, notamment vers l’Asie, de nombreuses activités industrielles et des émissions correspondantes ;
– l’UE ne se trouve pas en position de force dans les négociations internationales car il lui est impossible aujourd’hui de s’exprimer d’une seule voix prenant en compte les intérêts communs des Etats membres :
– des recherches et des développements voisins par leurs objectifs sont menés simultanément dans différents pays, indépendamment les uns des autres, conduisant à un énorme gaspillage de ressources. Pour porter remède à cette situation, l’UE pourrait développer des coopérations dans deux domaines. D’une part, les réseaux, car ils sont au cœur de l’intégration des énergies renouvelables et de la sécurité d’approvisionnement. D’autre part, la R&D, dans toutes les technologies clés de la lutte contre le réchauffement climatique, avec l’ambition d’en faire le catalyseur de l’innovation européenne ;
– concernant le coût de la transition énergétique, Manuel Baroso avait fait état d’une estimation de 1 100 milliards d’euros (500 pour la partie production, 400 pour les réseaux de transport électriques et gaziers et 200 pour les réseaux de distribution). Même si on ne retient pas des chiffres aussi élevés, ce coût est considérable et dépasse les capacités de financement des instances européennes et des Etats. Une importante participation d’investisseurs privés sera donc indispensable et c’est sans doute là que réside la difficulté majeure de la transition énergétique sur notre continent.
Compte tenu de ces problèmes de financement, la transition énergétique européenne prendra beaucoup de temps ; si on veut vraiment décarboner l’économie, il faudra donc laisser une part importante au nucléaire pendant une durée suffisante. C’est là que l’influence des antinucléaires extrémistes peut s’avérer désastreuse. On l’a vu en Allemagne où la décision prise en 2011 d’accélérer la sortie du nucléaire a conduit les grandes compagnies électriques du pays à revenir au charbon, ce qui constitue la pire solution au plan du réchauffement climatique. En France, le dénigrement systématique du nucléaire a engendré des atermoiements et des incertitudes ; les entreprises du secteur, qui constituaient un remarquable fleuron industriel, commencent aujourd’hui à connaître des difficultés, laissant craindre de très graves conséquences en matière financière et sur l’emploi.
Le positionnement des pays en développement et des pays pauvres
La distinction binaire entre pays riches et pays pauvres, telle qu’elle apparaît dans les annexes du Protocole de Kyoto de 1992, est inadaptée. Les pays qui ne sont pas visés par l’annexe 1 représentent aujourd’hui 60 % des émissions mondiales et en 2020 le total des émissions cumulées des pays en développement dépassera celui des pays développés. Il est donc impossible de maîtriser le réchauffement climatique sans leur contribution active. Mais l’énergie, c’est un besoin vital et un facteur de développement et de croissance.
Pour les pays émergents, la priorité, c’est le développement ; ils ont cependant conscience qu’il faut éviter certaines erreurs et tirer le meilleur parti du progrès technologique. C’est le cas du Brésil qui a obtenu des évolutions remarquables par rapport à 1990 : amélioration de 70 % de son efficacité énergétique et réduction de 40 % de ses émissions de GES. Parmi les pays engagés dans la transition énergétique, on peut aussi citer le Costa-Rica qui vise 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2020.
Mais rappelons-nous qu’il y a encore dans le monde 1,2 milliard de personnes qui n’ont pas accès à l’énergie et 2,8 milliards qui utilisent le bois ou la biomasse pour cuisiner et pour se chauffer. Pour ces populations, les centrales à charbon de faible performance énergétique resteront encore une solution économique, nécessaire au plan social. C’est une des raisons pour lesquelles un effort particulier s’impose pour faire progresser les technologies de captage et séquestration du carbone et pour les mettre à la disposition des pays concernés.
Le souci de justice se manifeste de plus en plus dans les négociations. Les pays en développement sont très attachés au respect du principe des responsabilités communes mais différenciées. La plupart d’entre eux demandent que les accords ne se limitent pas à des exigences de réduction d’émissions, mais qu’ils portent aussi sur l’adaptation, sur le financement, sur le transfert de technologie et sur la formation.
Des grandes ambitieuses
La mondialisation entraîne partout un accroissement de la concentration des richesses, renforçant les égoïsmes et les injustices. Mais, dans cette grisaille, la limitation et la maîtrise du réchauffement climatique nous mobilisent pour assurer une vie digne à nos descendants. Voici enfin un domaine où la solidarité peut et doit s’exprimer. Pour mobiliser tous les acteurs de cet effort de solidarité, il convient d’associer largement la société civile (ONG, universités, secteur privé, associations, organisations syndicales…) à la préparation et à l’exécution des accords successifs, tout en affirmant la primauté des responsables politiques (car c’est leur rôle inaliénable et l’occasion de les réhabiliter aux yeux des opinions publiques).
La baisse actuelle des prix du pétrole permet aux pays consommateurs de réaliser des bénéfices importants qui n’avaient pas été prévus. Ainsi, la diminution ou la suppression de certaines aides ou subventions réduit la charge des Etats. Loin de conduire à un relâchement des efforts, cette opportunité doit être saisie afin de dégager des moyens de financement supplémentaires pour lutter contre le réchauffement climatique.
Il nous faut avancer vers le démarrage d’une nouvelle économie, une économie du troisième millénaire, décarbonée, écologique, porteuse de nouvelles technologies. Cette économie permettra à la fois de relancer la croissance dans les pays anciens et de franchir un nouveau stade d’évolution dans les pays émergents. L’intérêt commun est évident.
Claude Liévens