Qu’est-ce qu’un déchet radioactif ? Un déchet radioactif est une substance radioactive pour laquelle aucune utilisation n’est envisagée ou prévue.
D’où proviennent les déchets radioactifs ? Cinq secteurs économiques : du secteur électronucléaire (centrales électriques, cycle du combustible), du secteur de la recherche (CEA par exemple), du secteur de la défense (dissuasion), du secteur industriel non électronucléaire (sources scellées), du secteur médical (activités thérapeutiques)
Classification des déchets : elle repose sur deux paramètres importants, le niveau d’activité (très faible, faible, moyenne ou haute) qui correspond au nombre de désintégrations par unité de temps, la période radioactive (au bout de 10 périodes, le niveau de radioactivité est divisé par 1 000). On distingue les éléments à vie courte et les éléments à vie longue (> 31 ans). Ces 2 critères permettent de classer les déchets en 6 principales catégories :
HA : déchets issus du traitement des combustibles usés conditionnés en colis de verre.
MAVL : déchets d’exploitation (gaines de combustibles, équipements…) conditionnés en colis cimentés, en fûts métalliques.
FAVL : principalement des déchets graphites venant du démantèlement des réacteurs de la filière UNGG.
FMA-VC : déchets d’exploitation, de maintenance, de démantèlement d’installations.
TFA : déchets d’exploitation, de maintenance, de démantèlement d’installations.
VTC : déchets du secteur médical (< 100 jours).
1 kg/an/habitant : c’est la masse de déchets radioactifs générés par l’industrie nucléaire en France, à comparer aux 7 700 kg/an/habitant pour les déchets industriels et ménagers
90 % en volume des déchets nucléaires produits en France disposent déjà d’une solution définitive de gestion ; ils sont gérés industriellement par l’Andra et disposent de centres dédiés de stockage dans lesquels ils sont isolés de l’homme et de l’environnement : les déchets de très faibles activités (TFA – 27 %) sont stockés sur le site de Morvilliers, les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC- 63 %) sont stockés en surface sur le centre de l’Aube (données 2010 extrapolables à 2020 et 2030).
Les déchets de faible activité et à vie longue (FA-VL), représentent 7 % en volume mais seulement 0,01 % de la radioactivité totale. Ce sont principalement des déchets graphite des anciens réacteurs de la filière UNGG et des déchets radifères.
Les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) représentent 3 % du volume de la totalité des déchets nucléaires et 4 % de la radioactivité totale.
Les déchets de haute activité (HA) ne représentent que 0,2 % du volume total, mais 96 % de la radioactivité totale : c’est 10 grammes par an et par habitant, les volumes sont donc très faibles mais ces déchets ne disposent pas aujourd’hui d’une solution définitive de stockage.
Ils sont aujourd’hui entreposés dans des installations industrielles exploitées par les producteurs de déchets dans l’attente d’un exutoire définitif.
Le tableau 1 ci-après donne la répartition à fin 2010 du volume et de la radioactivité, par catégorie de déchets radioactifs produits en France (Source Andra – inventaire 2012)
Catégorie des déchets | Pourcentage volume total | Pourcentage radioactivité totale |
TFA | 27 % | < 0,01% |
FMA-VC | 63 % | 0,02% |
FA-VL | 7 % | 0,01% |
MA-VL | 3 % | 4 % |
HA1 | 0,2 % | 96 % |
Tableau 1 : Répartition des déchets en volume et radioactivité
Nb : les ¾ des déchets radioactifs produits en France sont issus des trois organismes CEA, AREVA et EDF
Pour résumer : des volumes faibles, des solutions sûres, qu’elles soient définitives ou transitoires
Pour mémoire : les DSFI (Déchets sans filières immédiates) représentent d’infimes quantités (< à 0,01 %) et de la R&D est menée pour trouver des traitements pour rejoindre les filières existantes.
Exemple : stabilisation ou séparation du mercure dans des déchets mercuriels, stabilisation de déchets amiantés, passivation de déchets contenant des métaux réactifs, pour que ces déchets soient ensuite conformes aux spécifications d’acceptation dans les stockages existants (Cires et CSA).
Une gouvernance très encadrée
Le dispositif français repose sur trois outils essentiels, complémentaires entre eux : un corpus législatif et règlementaire dédié, le Plan national de gestion des déchets et matières radioactifs (PNGMDR) et une agence spécialisée pour la gestion des déchets radioactifs, l’Andra.
Le cadre législatif et règlementaire :
La loi du 31 décembre 1991 avait défini le programme sur 15 ans, jusqu’en 2006, des recherches à mener en parallèle sur trois axes (i/ l’entreposage de longue durée, ii/ le stockage en formation géologique profonde et iii/ la séparation-transmutation).
La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire qui a créé l’Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante. Cette loi comporte également des dispositions relatives à l’information du public dans le domaine de la sûreté nucléaire.
La loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, qui définit la politique nationale pour la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Cette loi introduit dans le cadre législatif de nouvelles dispositions relatives, en particulier, à l’élaboration d’un Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et la définition plus précise des missions de l’Andra.
Le PNGMDR
Le PNGMDR créé par la loi du 28 juin est un outil structurant et stratégique. Il vise principalement à dresser un bilan régulier de la politique de gestion des substances radioactives (déchets radioactifs et matières radioactives), à évaluer les besoins nouveaux et à déterminer les objectifs à atteindre à l’avenir, notamment en termes d’études et de recherches, ou les besoins prévisibles en installation d’entreposage ou de stockage (PNGMDR 2013-2015, planning prévisionnel de remplissage du CIRES, CSA – Etudes relatives à la mise en œuvre de filières de valorisation pour préserver la ressource que constitue les stockages).
L’Andra
En France, le code de l’environnement dispose que l’Andra, EPIC, est chargée des opérations de gestion à long terme des déchets radioactifs, et notamment, de l’inventaire des matières et déchets radioactifs présents sur le territoire national, de la réalisation des recherches et études sur le stockage en couche géologique profonde.
Ces trois composantes fondamentales constituent la pierre angulaire du dispositif français de gestion des déchets radioactifs. Elles sont complétées par des obligations de contrôles et de transparence. Outre les ministères de tutelle (Environnement, Santé, Défense), au premier rang desquels le MEDDE, le suivi est assuré par des autorités ou des commissions indépendantes :
ASN : Autorité de sûreté nucléaire fixe les objectifs de sûreté et vérifie leur respect. En particulier elle élabore la réglementation relative à la gestion des déchets radioactifs, assure le contrôle des INB à l’origine des déchets.
OPECST : Office parlementaire d’évaluation des choix scientifique et technique, rôle décisif dans l’élaboration des lois de 1991 et 2006, qui évalue entre autre le rapport triennal du PNGMDR pour le compte du parlement.
La CNE : Commission nationale d’évaluation créée par la loi de 1991, elle est chargée d’évaluer annuellement l’état d’avancement des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs.
Pour résumer : un domaine très encadré sur les plans législatifs et règlementaires, suivi et contrôlé.
Les déchets au CEA en quelques données
Le CEA, comme les autres acteurs du nucléaire, doit disposer de solutions de prises en charge pour l’ensemble de ses déchets radioactifs anciens, présents ou à venir.
Le CEA évacue ses déchets au fur et à mesure de leur génération en utilisant les filières existantes (déchets incinérables à Centraco, déchets solides en stockage : des TFA au CIRES et des FMAVC au CSA).
Le CEA dispose d’installations spécifiques de traitement et de conditionnement des déchets liquides ou solides, avant leur expédition vers les sites de stockage de l’Andra ou vers leur entreposage temporaire en attente de la mise en place d’un exutoire définitif.
Les déchets produits par le CEA, qu’ils soient sous forme solide ou liquide, peuvent être classés selon deux grandes catégories :
Les déchets de R&D couvrant la réalisation des programmes de recherche du CEA qui nécessitent l’exploitation d’installations nucléaires et la manipulation de matières radioactives et, des programmes d’assainissement et de démantèlement d’installations en fin d’exploitation du CEA qui conduisent également à la production de déchets radioactifs (déchets de procédés ou de déconstruction).
Les déchets historiques, entreposés majoritairement sur les sites de Cadarache et de Marcoule. Ils font l’objet de reprises progressives visant à constituer des colis compatibles avec les possibilités d’entreposage puis de stockage. Le CEA mène un programme ambitieux de Reprise et conditionnement de déchets anciens (RCD) qui soit n’avaient pas été conditionnés (déchets entreposés dans des fosses, boues entreposées dans des cuves, etc.), soit dont le conditionnement est complété (Fûts d’enrobés bitumineux repris, sur-colisés en conteneurs inox et transférés en entreposage).
Un point particulier : en ce qui concerne la reprise des déchets historiques, l’article 7 de la loi du 28 juin 2006 précise que les propriétaires de déchets MAVL, produits avant 2015, doivent être conditionnés avant 2030.
Le conditionnement des déchets est à la base de la stratégie du CEA. Cette action correspond à l’ensemble des opérations destinées à mettre les déchets radioactifs, solides ou liquides, sous une forme compatible de leur transport, leur entreposage ou leur stockage dans des conditions optimales de sûreté.
Pour conditionner des déchets radioactifs en colis de déchets, différentes opérations élémentaires sont nécessaires :
La caractérisation des déchets avec la détermination de leur composition chimique, radiologique et de leurs propriétés physico-chimiques qui détermine leur orientation vers la filière de gestion adéquate ;
Le traitement, par leur tri, leur réduction de volume et leur incorporation dans une matrice pour « bloquer » le déchet. Par exemple, les déchets moyennement ou faiblement radioactifs sont conditionnés dans des matrices à base de ciment, de résine ou de bitume.
La mise en place dans une enveloppe ou conteneur pour former le colis de déchets dont les caractéristiques sont définies dans le cadre d’agréments délivrés par l’Andra.
Le contrôle de la conformité des colis constitués au regard des spécifications définies par l’Andra et approuvées par l’ASN. La conformité aux agréments délivrés par l’Andra nécessite une traçabilité complète et robuste des caractéristiques des déchets et du colis produit. Par ailleurs, ces agréments garantissent pour les colis MAVL la prise en compte de ces colis dans le projet de stockage profond. Ces déchets sont traités et conditionnés dans des installations dédiées et spécifiques tant pour les effluents liquides que pour les déchets solides. Par exemple les déchets MAVL produits par le CEA sont traités au sein d’une installation nucléaire située sur le Centre CEA de Cadarache.
Les déchets TFA (entre 12 000 et 15 000 m3 par an) et FMAVC (de 3 000 à 5 000 m3 par an) produits par les activités du CEA sont expédiés, après conditionnement, vers les centres de stockage de l’Andra respectivement le CIRES et le CSA.
En ce qui concerne les déchets MAVL le CEA dispose d’installations d’entreposage pour ses colis de déchets dans l’attente de la mise en service par l’Andra de CIGEO pour leur évacuation.
Ces différents entreposages sont complémentaires pour couvrir les besoins du CEA et modulaires pour être aisément extensibles (CEDRA à Cadarache, installations EIP à Marcoule pour les fûts bitumes). Ils permettent l’entreposage en toute sûreté et sur plusieurs décennies de déchets MAVL (FI et MI) conditionnés ou préconditionnés en attendant la définition par l’Andra des conditionnements définitifs compatibles avec les futurs stockages.
En complément des installations existantes, l’installation DIADEM en cours de construction à Marcoule, permettra l’entreposage de déchets de moyenne activité hautement irradiants, issus des opérations d’assainissement et de démantèlement, ne pouvant être entreposés à CEDRA.
Les grandes filières de traitement
Il existe plusieurs procédés de traitement de déchets actuellement mis en œuvre : la découpe, la décontamination, le compactage, l’incinération, la fusion et l’évaporation avec un objectif de réduire les volumes de déchets et de les valoriser lorsque cela est possible. Par exemple, la société SOCODEI valorise les déchets métalliques traités sur son unité de fusion. En effet ces déchets constituent, quand leur nature leur permet, une matière première réutilisable en produits manufacturés répondant à des besoins des exploitants de l’industrie nucléaire. SOCODEI propose aussi la filière d’incinération que le CEA utilise notamment pour le traitement de ces déchets putrescibles ou certains effluents non acceptables à l’Andra en l’état.
Et pour le futur ?
Au-delà de la R&D et de l’ingénierie qui peuvent contribuer à améliorer la gestion des déchets (conditionnement, traitement, compaction, stockage), la question se pose : pourrait-on produire moins de déchets radioactifs ?
De nombreux développements sont engagés dans le domaine de la R&D pour minimiser la quantité ou l’activité des déchets en particulier dans le domaine de l’assainissement et du démantèlement qui représente un enjeu fort du fait du volume de déchets générés par cette activité.
A ce titre, le CEA mène des actions de R&D suivant différents axes par exemple sur :
L’évaluation de l’état radiologique des installations et des sols avant engagement des opérations d’A&D afin de mieux maîtriser l’état initial et ainsi mieux cibler les zones à assainir.
La décontamination des structures (gels, mousses, Aspilasers, ultrasons,…) et de sols (mousses de flottation, fluides supercritiques,…) afin d’identifier des techniques moins génératrices de volume de déchets.
Le traitement des déchets et des effluents (nouveaux absorbants, filtration…) afin de disposer de procédés plus efficaces.
L’autre axe de réduction des quantités de déchets radioactifs et de leurs durées de vie concerne les perspectives offertes par les réacteurs à neutrons rapide de 4e génération. Les études menées, par le CEA sur le démonstrateur technologique de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, ASTRID, vont dans ce sens. Ces études sont menées conformément à la loi du 28 juin 2006 sur la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, qui confie au CEA le développement de ce démonstrateur.
Ces études sont aussi menées dans un cadre plus général sur les réacteurs de quatrième génération, au regard des grands objectifs qui lui sont assignés : durabilité, compétitivité économique, sûreté et fiabilité renforcées, résistance à la prolifération.
Pourquoi un système à neutrons rapides ?
Un réacteur à neutrons rapides permet :
– de brûler tout type de plutonium produit par les réacteurs à eau ou par eux-mêmes ;
– de brûler tout type d’uranium (dans les systèmes actuels, seul l’isotope minoritaire (235U) est utilisé, soit 0,7 % de l’uranium naturel), y compris l’uranium appauvri et celui de retraitement issu du combustible usé sorti des centrales actuelles. Avec l’uranium appauvri alors présent sur le territoire français et le plutonium issu du combustible MOX usé des centrales actuelles, on pourrait fonctionner pendant plusieurs milliers d’années en se passant totalement d’uranium naturel ;
– de transmuter les actinides mineurs, qui sont les principaux contributeurs de l’émission de chaleur des colis vitrifiés et de la radiotoxicité résiduelle à moyen et long terme des déchets ultimes.
Enfin, à plus long terme, l’avancée du projet de réacteur à fusion nucléaire ITER permettra de réduire très significativement la quantité et la durée de vie des déchets radioactifs produits.
Conclusion
La gestion des déchets radioactifs est une préoccupation constante et ancienne de l’industrie nucléaire. Elle fait l’objet d’un encadrement législatif et règlementaire rigoureux des pouvoirs publics et des autorités de contrôle, y compris d’une sécurisation financière de cette gestion sur le long terme.
Eric Kraus
*Communication faite par Eric Kraus, Directeur adjoint assainissement et démantèlement nucléaire, CEA, lors du Séminaire Passages/ADAPes : « Nucléaire, environnement et déchets », Paris, 26 janvier 2016.
Eric Kraus