Je suis heureux d’intervenir au nom de la DENA [l’ADEME en Allemagne, ndlr]. Les mutations éminentes dans le secteur de l’énergie sont profondes concernant l’Europe entière, et c’est donc une bonne chose que l’Allemagne et la France aient des échanges étroits sur ces questions. Avant de me pencher sur les réseaux de distribution en Allemagne, j’aimerais aborder brièvement le contexte dans lequel s’effectuent les changements. Nous, vous le savez bien, parlons en Allemagne de tournants énergétiques. Dans ce concept énergétique de 2010, le gouvernement fédéral a formulé des directives en vue d’une stratégie globale à long terme. Celles-ci contiennent en particulier les objectifs suivants jusqu’en 2050.
Premièrement, une réduction de 80 % des gaz à effet de serre. Deuxièmement, une diminution de 50 % de la consommation en énergie primaire. Et troisièmement, une augmentation de la part de la production d’électricité provenant d’énergies renouvelables qui devrait atteindre 80 % de la consommation brute en électricité. Et chez nous, ces objectifs sont très orthodoxes. C’est la Bible. Cela veut dire que l’on va les mettre en œuvre. A cela vient enfin s’ajouter l’objectif déjà connu de sortir du nucléaire d’ici à 2022. Concernant la réalisation de ces objectifs, l’Allemagne s’est concentrée depuis longtemps sur le développement des énergies renouvelables. On a remarqué toutefois qu’il y a également une grande nécessité à agir dans d’autres secteurs, et notamment l’intégration des énergies renouvelables dans le système énergique.
Il en est de même pour l’augmentation de l’efficacité énergétique qui doit encore s’accroître. Et chez nous, nous assistons à un véritable changement de paradigme. Jusqu’ici, la production s’orientait vers la consommation. Avec les énergies renouvelables, en particulier le vent et le soleil, les règles du jeu ont changé. L’électricité éolienne et l’énergie solaire ont leur propre rythme de consommation et les systèmes doivent s’y adapter. Nous avons de plus en plus une puissance installée, élevée avec de faibles heures de service, une forte fluctuation de la production. De plus en plus souvent, il est produit plus de courant qu’il n’en est consommé. Et la production est de plus en plus décentralisée. En l’an 2000, quelques milliers de centrales électriques fournissaient environ 90 % de l’alimentation en courant électrique.
En 2024, quelques millions d’installations fourniront environ 50 % de l’alimentation en courant électrique. Et de même, les sites de production décentralisée ne sont plus situés à proximité des centres de consommation, à savoir dans le sud et l’ouest de l’Allemagne, mais là où il y a du vent, par exemple dans le nord et dans l’est. Bref, le besoin en flexibilité augmente à tous les niveaux du système énergétique. Une mesure importante permettant d’augmenter la flexibilité et, entre autres, le développement des réseaux. Le changement de paradigme du tournant énergétique se fait ressentir de manière toute particulière dans les réseaux de distribution. Traditionnellement, les réseaux de distribution étaient conçus de manière telle que le courant était distribué à partir des niveaux de réseaux supérieurs constitués de grandes centrales pour être acheminés vers les réseaux sous-jacents. Depuis le développement des énergies renouvelables, les réseaux de distribution ne servent toutefois plus seulement à acheminer le courant jusque chez les consommateurs.
Leur rôle est également d’intégrer le courant provenant des installations à énergie renouvelable quasi exclusivement, puisque 97 % des installations à énergie renouvelable sont raccordées aux réseaux de distribution. De plus, le courant produit essentiellement par des petites et grandes installations photovoltaïques, éoliennes, au niveau basse, moyenne et haute tension, dépassera de plus en plus souvent la demande locale en courant électrique. Le sens d’acheminement du courant est ainsi inversé. Le courant excédentaire doit être pris en charge par les niveaux de réseaux supérieurs. A l’avenir, la conception des réseaux sera donc définie de plus en plus par le renvoi de courant produit dans les sites décentralisés.
Regardons de plus près la structure des réseaux de distribution en Allemagne. Nous avons plus de 800 entreprises qui gèrent les réseaux de distribution, et ce n’est pas forcément un tout. Une grande partie de ces entreprises sont les « Stadtwerke », les services municipaux d’électricité avec des réseaux limités au niveau régional. Une petite partie est constituée par des gestionnaires de réseaux de distribution suprarégionaux qui couvrent de grandes régions rurales. Du fait de ces nombreux acteurs, les formes de planification et de gestion des réseaux de distribution sont d’une grande diversité. Le vecteur principal de la mutation et du développement de l’éolien et des centrales photovoltaïques. On les trouve surtout dans les régions rurales.
Dans les villes, il y a tout au plus de petites installations photovoltaïques dont la plus grande partie du courant produit peut être toutefois consommée au niveau local. La plus grande nécessité d’agir se situe donc au niveau des réseaux de distribution dans les régions rurales et non pas au niveau des réseaux urbains des services municipaux d’électricité. En 2013, 80 % du rendement des installations à énergie renouvelable étaient raccordés à seulement 20 % des gestionnaires de réseaux de distribution suprarégionaux. Ces gestionnaires de réseaux de distribution suprarégionaux sont souvent des filiales issues des grands distributeurs d’énergie tels que RWE, E.ON ou EnBW.
Quels sont donc les défis auxquels seront confrontés les gestionnaires de réseaux de distribution jusqu’en 2030 ? Ceci fait l’objet de l’examen de la DENA en 2012 dans le cadre d’une étude. Deux scénarios ont été calculés, l’un avec une part de 62 % d’énergie renouvelable jusqu’en 2030 et l’autre avec une part de 82 %. Il en résulte qu’en Allemagne les réseaux de distribution doivent être renforcés par 135 000 à 193 000 kilomètres de lignes au total. Les investissements sont alors de 27 milliards à 42 milliards d’euros. Comparé à l’infrastructure de réseaux existante, le besoin de développement le plus important est situé au niveau de la haute et moyenne tension. L’extension nécessaire de réseau est ici de l’ordre de 20 à 80 %. Concernant la basse tension, elle est seulement de 5 %. Ceci est dû au fait que le courant alimenté au niveau de la haute et moyenne tension ne provient pas seulement des énergies renouvelables, mais est concentré et excédentaire lorsque ce courant ne peut pas être consommé localement.
C’est au niveau de la haute tension que les coûts sont les plus élevés, la technique d’exploitation y étant très chère. Il est possible de réduire les besoins en extension. Ces possibilités sont en particulier des moyens d’exploitation innovants tel que par exemple les transformateurs de réseaux locaux régulateurs permettant une meilleure utilisation de la bande de tension admissible ou l’adaptation des directives techniques tel que par exemple les fluctuations de tension admissible ou encore la régulation des points de production des installations à énergie renouvelable. Certaines mesures sont toutefois liées à des coûts élevés et, contrairement à d’autres secteurs, la réduction de la demande de courant ne contribue pas à une diminution du besoin en extension des réseaux de distribution. Bien au contraire, lorsque la consommation locale de courant provenant d’installations à énergie renouvelable diminue, il faut acheminer davantage de courant vers les niveaux supérieurs.
Un aspect important vient s’ajouter aux chiffres proprement dit. Les missions et compétences des réseaux de distribution vont se simplifier. Il s’agit d’une part de raccorder les installations à énergie renouvelable, de les intégrer, et si besoin de les piloter. D’autre part, les réseaux de distribution devront de plus en plus fournir des prestations de systèmes pour la sécurité des réseaux, entre autres pour maintenir la fréquence à l’aide d’énergie de régulation, par exemple pour le maintien de la tension au moyen d’une puissance de court-circuit ou d’une puissance réactive. Les besoins en information, en coordination et en pilotage augmentent. Ainsi à tous les niveaux de réseaux, les gestionnaires de réseaux vont devoir s’y préparer. Tels sont les résultats de l’étude DENA.
Vu le grand nombre de gestionnaires, il est difficile de saisir l’Etat actuel. De manière générale, les travaux de mise à niveau sont relativement faciles à réaliser. Pour ce qui est de la construction d’une nouvelle ligne, il y a toutefois un regard et un besoin de rattrapage tout comme pour les réseaux de transport. Les processus de planification sont en mutation aussi. Jusqu’à présent, les gestionnaires de réseaux de distribution planifiaient eux-mêmes l’extension de leur réseau. Dans le cadre de la planification fédérale du réseau de transport, ils doivent travailler aujourd’hui déjà avec les gestionnaires du réseau de transport. Un amendement de la loi sur l’économie énergétique prévoit en outre qu’à l’avenir les gestionnaires de réseau de distribution ayant un besoin d’extension élevé au niveau de la haute tension doivent faire des demandes pour leur planification.
L’Agence fédérale de régulation des réseaux en Allemagne, la Bundesnetzagentur, travaille à définir qui fait partie de ces gestionnaires de réseaux de distribution. Les coûts que les gestionnaires de réseaux peuvent faire valoir sont réglés par la loi à travers la directive sur les régulations incitatives. Les gestionnaires de réseaux de distribution qui ont un besoin d’extension et donc un besoin en investissement élevé ne réalisent toutefois pas le rendement prévu dans les conditions cadres actuelles. Ce qui résulte également de l’étude de DENA sur les réseaux de distribution, la directive est actuellement en voie d’amendement en vue d’améliorer les conditions cadres. Il est conseillé aux gestionnaires de réseaux de distribution qui ont un besoin d’extension élevé, c’est-à-dire les gestionnaires de réseaux de distribution suprarégionaux, de demander des autorisations pour des budgets d’investissement plus élevés pour leur permettre d’améliorer leur rendement. Et, de manière générale, il convient d’observer plus exactement le comportement en matière d’investissement pour identifier les dérives.
En résumé, je retiendrai les points suivants. Le développement des énergies renouvelables nécessite également le développement des réseaux de distribution. Les missions de compétences des gestionnaires des réseaux de distribution vont ainsi être simplifiées. Chez nous, en Allemagne, ce sont en particulier les gestionnaires de réseaux de distribution suprarégionaux qui sont les acteurs décisifs pour l’intégration des réseaux d’énergie renouvelable. Les incitations économiques doivent être améliorées pour que leurs investissements soient profitables. Le gouvernement fédéral a pris des mesures visant à adapter les conditions cadres en matière d’économie énergétique, et à coordonner la planification de l’extension.
Ulrich Benterbusch
Ancien Président de la DENA,
actuellement Directeur de BMWI