Au sujet de la comparaison des modèles d’énergie avec l’Allemagne, la Belgique et la France, je pense qu’on a beaucoup de leçons à tirer d’une démarche au fond très simple qui est de comprendre ce qui se passe, ce qui est en œuvre, forces et faiblesses. Nous imaginons que décentraliser, c’est tip top. Non, parce qu’on a l’habitude d’analyser les défauts d’un système très centralisé. D’avoir les regards comparatifs permet de nourrir la réflexion et peut-être d’arriver vers une forme de pragmatisme dans les solutions proposées. Aussi, je me contenterai de témoigner de ma place qui est une place d’élue, à la fois locale et nationale. Et peut-être moins que des solutions techniques, parce qu’il y a trop de compétences pour que je me risque à faire cet exercice, je voudrais poser quelques éléments d’analyse tels qu’ils apparaissent soit à l’élu, soit à la population. D’abord, un premier constat. Je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. Une analyse parue dans Le Parisien sur les prix de l’électricité en France, sur les dix dernières années, montre qu’ils ont augmenté très significativement plus vite que l’inflation. Nous vivons donc ce paradoxe où les achats en gros n’ont jamais été aussi compétitifs avec des prix qui baissent à certains moments, qui sont nuls ou très légèrement négatifs. Et les prix pour le consommateur, c’est comme l’impôt, ils continuent à augmenter. Je me permets de faire ces références à ce que vit la population, parce que tout investissement ou toute stratégie globale ne fera sens que si elle est perçue comme pertinente pour la population.
En tant qu’ingénieur, deuxième réflexion, je suis fascinée par ces réseaux intelligents. Je trouve ça génial qu’on sache qui produit et à quel instant. Je me sèche les cheveux, on va le savoir en « big data ». On va peut-être me dire de sécher moins vite ou moins chaud. Plus sérieusement, je trouve que c’est un immense progrès que de comprendre la dynamique de la consommation à travers certains éléments, mais on sent bien qu’il va falloir discriminer ce « big data ». Il va falloir savoir ce qu’on y cherche, et ne pas seulement se réjouir d’un rapport entre les données qu’on a aujourd’hui et les données qu’on aura demain. Et, bien sûr, ces réseaux intelligents sont indispensables si on veut pouvoir gérer ce double sens réseau alimenté, réseau de distribution, plus classique. Cela renvoie aussi à la question des capacités de stockage que Michel Derdevet a traitée dans son rapport.
J’ai un vieux souvenir d’ingénieur, au sujet du rendement de Carnot pour ne pas perdre les deux tiers quand on stocke. Sujet de recherche tout à fait prioritaire, mais sujet central quand on cherche à gérer cet écart entre la production de demain, c’est-à-dire massivement ENR, et la production qu’on maîtrisait plus facilement des centrales avec une source d’énergie et une production prévisible, voire modulable, quand on parle des centrales thermiques classiques, mais terriblement polluantes. Je fais référence aux centrales à charbon ou aux centrales à fioul. Troisième réflexion, que nous ne regardons pas trop en face, le prix des énergies renouvelables. J’ai été très frappée, il y a quelques années, où se sont développés tous les champs de cellules photovoltaïques par les niveaux des prix qu’il fallait garantir pour que ces investissements aient lieu.
On était entre 5 et 10 fois le prix au même moment d’une production nucléaire. Si, comme le prévoit la réglementation européenne, enfin les directives européennes, nous serons en 2030 à 30 % d’énergie renouvelable. Le fait que ces 30 % soient à un prix supérieur aura un impact énorme sur le prix moyen de l’énergie, entre 50 et 100 % de plus a priori. Après, tout est une question de régulation. On a quand même un prix d’achat qui lui-même est fortement augmenté. Quel effet cela aura pour le prix final sur le consommateur, mon consommateur du début qui s’inquiète de voir qu’il y a un tas de choses qui se font, mais le résultat est toujours que lui a l’impression de payer plus. Enfin, je voudrais vous faire part d’un paradoxe, compte tenu de l’intermittence du soleil et du vent, pour faire court, on est en fait amené à surinvestir.
Il ne suffit plus d’investir 100 % pour avoir une production sécurisée de 100, mais on est bien obligé d’investir plus. Je ne sais pas si c’est 150, 180 ou 200 %. Nos concitoyens le vivent d’ailleurs dans leurs immeubles écolos. On leur propose de mettre des cellules photovoltaïques sur le toit, mais ils sont bien obligés d’installer quand même une pompe à chaleur ou un autre mode de chauffage pour sécuriser la chaleur. Moi, je vis à Strasbourg, vous comprenez que c’est absolument central pour sécuriser la température dans l’appartement en période où il n’y a pas trop de soleil justement. Je ne sais pas si ces chiffrages ont été faits, mais il y a une forme de surinvestissement. C’est coûteux au-delà du coût de l’investissement dans les énergies renouvelables, parce qu’on est obligé de superposer en tout ou partie les outils de production d’énergie.
Il est très utile de prendre en compte les réalités telles qu’elles sont vécues à un niveau local et régional. D’abord, parce qu’on peut innover. On peut innover de manière assez franche en prenant des risques, parce que l’échelle reste raisonnable. Peut-être aussi parce que proche des populations et des acteurs économiques, on peut encourager les évolutions de comportements. A cet égard, je voudrais vous faire part d’un autre paradoxe. Il y a maintenant des immeubles très économes en énergie à basse consommation à Strasbourg, peut-être bientôt même à énergie positive. On va voir si ça marche. L’usage par les premiers occupants est assez éloigné de la théorie telle qu’elle est présentée. Il y a bien sûr le nécessaire accompagnement des occupants, mais au-delà de ça, il y a des habitudes, des habitudes de confort, des habitudes d’aération, des habitudes de vie et je pense qu’on a encore une courbe d’apprentissage sur cette thématique. Nous allons vraisemblablement vers des épisodes de canicule et on va être très surpris, parce qu’on va découvrir que ces immeubles ont aussi la caractéristique de stocker à l’entrée comme à la sortie. Ce sont des stockeurs de chaleur et si on ne gère pas bien la fermeture des volets et l’aération, la canicule va être prolongée dans ces immeubles. Quelques illustrations concrètes d’un nécessaire pragmatisme, mais aussi d’une information des populations et d’une information qui doit être consistante, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas varier au cours du temps. Remarque complémentaire, je voudrais évoquer un sujet qui m’est cher, ce sont les transports. Nous parlons beaucoup de transports propres.
Donc, peut-être un peu facilement, on converge vers l’idée du véhicule électrique. Vous avez proposé des autoroutes électriques. On voit combien la manière de charger son véhicule est importante. Sinon, c’est toute la question de la puissance qui est préemptée sur le réseau. Comment réguler ce nouvel appel ? Il y a la place pour des véhicules électriques. Ils remplissent certaines fonctions et permettent de ne pas contribuer à la pollution de l’air, notamment en milieu dense. Je me permets de souligner que ce n’est pas mal d’avoir une approche plus multisolutions et j’ai fait un petit rapport avec Denis Baupin sur le véhicule écolo. On peut changer de mode de carburant. On peut penser aux véhicules gaz qui ont aussi des qualités en termes de pollution. On peut penser aux véhicules à hydrogène.
On peut aussi réfléchir sur le poids du véhicule, parce que la pollution, c’est directement en fonction du poids. Si je voyage dans une petite voiture, une petite Fiat, je pollue la moitié ou le quart d’un gros 4X4. On peut aussi penser aux autres formes de détention des véhicules qui génèrent d’autres comportements. Le moindre usage du véhicule, c’est le covoiturage, c’est l’autopartage. Bref, je m’éloigne un peu du sujet principal. Mais en tout cas, s’agissant des transports, le train, dont j’espère qu’il reprendra sa courbe de développement ascendante rapidement, est gros consommateur d’électricité. Et puis, les véhicules électriques qui ne manqueront pas quand même d’être une part plus importante. Donc, enjeu là aussi de l’alimentation et des comportements. Créons tout de suite les bons comportements, c’est-à-dire dissuadons le chargement minute et encourageons le chargement avec peut-être même une option : je charge quand le réseau me fait payer moins cher.
Enfin, je voudrais dire combien à nouveau cette rencontre est intéressante, parce que c’est vraiment la dimension européenne qui est attendue par nos concitoyens. C’est quand même un terrible paradoxe. Vous avez rappelé qu’il y avait la CECA à l’origine de l’Union européenne. C’était stratégique. Et nos concitoyens ne comprennent pas bien qu’il n’y ait pas une stratégie totalement coordonnée sur les grands contrats de sécurisation avec nos voisins russes, avec nos voisins maghrébins. Ils ne comprennent pas qu’il n’y ait pas une stratégie coordonnée comme on a pu la faire dans d’autres secteurs. Et même si nos mix énergétiques, nos habitudes, nos organisations d’entreprises ou institutionnelles sont très différentes, il apparaît là un fort besoin de coordination. Je voudrais citer mon dernier paradoxe : qu’attendent nos concitoyens d’une stratégie européenne alors que la consommation d’électricité est l’indicateur le plus proche des gens fragiles ? Vous savez que le non-paiement de la facture d’électricité est un indicateur avancé des grandes difficultés d’une famille. C’est la première chose qu’on ne paye pas quand on commence à s’enferrer. Donc, de cette réalité-là très humaine jusqu’à une stratégie globale, je crois que ce colloque ouvre un grand chantier.
Fabienne Keller, Sénatrice du Bas-Rhin