Les déchets radioactifs sont issus principalement de la production d’énergie nucléaire mais aussi de la Défense nationale, de l’industrie, des secteurs de la santé et de la recherche. La grande majorité d’entre eux bénéficie de solutions déjà opérationnelles : 90 % du volume total des déchets radioactifs produits chaque année en France sont aujourd’hui stockés en surface dans les centres de stockage de l’Andra. En revanche, les déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL), qui concentrent plus de 99 % de toute la radioactivité des déchets français, ne peuvent pas être stockés en surface ou à faible profondeur compte tenu des risques qu’ils présentent sur le long terme ; ces déchets resteront très dangereux plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’années.
Après 25 ans de recherche, notamment dans le Laboratoire souterrain de l’Andra[1] implanté à Bure sur les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, un dossier de faisabilité produit par l’Andra en 2005 et évalué internationalement et un débat public, le Parlement a retenu en 2006 la mise en œuvre d’un stockage géologique profond réversible, comme solution de référence pour assurer la gestion sûre à long terme des déchets radioactifs HA et MA-VL. Le stockage profond permet en effet de protéger l’homme et l’environnement du danger que présentent ces déchets radioactifs, et de limiter les charges pesant sur les générations futures, car il est conçu pour ne pas nécessiter d’action humaine après son exploitation et sa fermeture définitive. Sa sûreté est étudiée sur de très grandes échelles de temps, jusqu’au million d’années. De plus l’exigence de réversibilité posée par le Parlement donnera la possibilité aux générations suivantes de ne pas être enfermées dans nos choix : si elles le souhaitent, elles pourront plus facilement réorienter le stockage, le faire évoluer, voire récupérer les déchets qui y auront été stockés. C’est dans ce cadre de la loi du 28 juin 2006 que l’Andra conduit sa mission de concevoir et d’implanter Cigéo, centre industriel de stockage géologique à côté de son Laboratoire souterrain, en Meuse/Haute-Marne
La problématique de la gestion à long terme des déchets HA et MA-VL
Les déchets HA et MA-VL représentent un volume limité (de l’ordre de 3 % du volume des déchets radioactifs existants) mais concentrent la plus grande part de la radioactivité des déchets radioactifs (plus de 99 %). Ces déchets proviennent principalement du secteur de l’industrie électronucléaire (traitement du combustible usé) et des activités de recherche associées et, dans une moindre part, des activités menées par le CEA liées à la force de dissuasion et à la propulsion navale nucléaire.
Les déchets MA-VL contiennent des quantités importantes de radionucléides à période radioactive longue et leur niveau de radioactivité se situe en général entre 1 million et 1 milliard de becquerels[2] par gramme[3]. Les déchets HA présentent un niveau de radioactivité de plusieurs milliards à plusieurs dizaines de milliards de becquerels par gramme et dégagent de la chaleur (ils sont dits déchets « thermiques »). Si la radioactivité décroît progressivement au cours du temps, certains radionucléides contenus ont néanmoins des périodes très longues (neptunium 237 : 2 millions d’années par exemple). Pour protéger durablement l’homme et l’environnement de ces déchets, il faut les confiner de manière performante jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années.
Si l’on considère l’ensemble des déchets déjà produits en France, ceux qui sont à produire par les installations nucléaires existantes et ceux qui seront produits par les installations nucléaires en cours de construction (EPR de Flamanville, ITER, réacteur expérimental Jules Horowitz), ils représentent un volume total de l’ordre de 10 000 m3 pour les déchets HA et 75 000 m3 pour les MA-VL. 60 % de ces déchets MA-VL et 30 % de ces déchets HA sont déjà produits.
Ces déchets sont aujourd’hui gérés en toute sûreté dans des bâtiments d’entreposage sur des sites où ces déchets ont été produits. C’est un mode de gestion que nous savons néanmoins temporaire. En effet, les installations d’entreposage sont conçues pour durer quelques dizaines d’années. Au terme de la durée de vie de ces installations, les déchets doivent en être retirés et entreposés dans de nouvelles installations. Ainsi le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) procède actuellement au retrait de déchets anciens qui avaient été placés il y a plusieurs dizaines d’années dans de premières installations d’entreposage, les contrôle, les reconditionne lorsque cela est nécessaire puis les place dans des installations d’entreposage neuves, conçues à nouveau pour une cinquantaine d’années. Les études et recherches menées sur l’amélioration des installations d’entreposage ont montré qu’il serait possible de porter la durée de vie de telles installations d’une cinquantaine à une centaine d’années.
Le stockage géologique, lui, vise à apporter à terme une solution à caractère définitif : il s’agit de pérenniser le confinement des déchets sans imposer aux générations successives de devoir gérer les déchets anciens en les reprenant périodiquement pour les placer dans de nouvelles installations.
Face à la grande dangerosité des déchets HA et MA-VL et à leur durée de vie très longue, le Parlement a donc fait le choix d’engager la construction d’un stockage géologique comme une réponse de notre génération à une responsabilité éthique vis-à-vis des générations futures : les générations qui bénéficient des avantages liés à l’industrie nucléaire se sont ainsi donné l’obligation de mettre en œuvre une solution de gestion définitive des déchets correspondants, qui permettra d’assurer durablement la protection des hommes et de l’environnement du danger qu’ils présentent. En d’autres termes, plutôt que de ne léguer à nos successeurs que les déchets de notre industrie, il s’agit de leur léguer aussi une solution de gestion définitive et sûre de ces déchets qui permettra de limiter la charge qu’ils auront à supporter.
La profondeur de stockage, la conception des « alvéoles » de stockage et leur implantation dans une couche argileuse imperméable et dans un environnement géologique stable permettent d’isoler les déchets vis-à-vis des activités humaines et des événements naturels de surface (comme l’érosion) et de confiner la radioactivité qu’ils contiennent, sur de très longues échelles de temps. Une fois l’installation remplie de déchets et refermée, celle-ci ne nécessitera plus d’actions humaines pour garantir et pérenniser sa sûreté.
Au fil du temps, malgré la protection assurée par l’argile, les colis de déchets et les ouvrages souterrains de Cigéo se dégraderont au contact de l’eau contenue dans la roche L’argile prendra alors le relai pour retenir les radionucléides et freiner leur déplacement, permettant ainsi de confiner la radioactivité suffisamment longtemps pour que son impact reste inférieur à celui de la radioactivité naturelle.
Cigéo, une installation industrielle
Cigéo comprend divers types d’installations nécessaires au stockage des déchets :
– en surface, des installations pour la réception des colis des déchets expédiés depuis les sites d’entreposage, leur contrôle et leur préparation pour le stockage ;
– d’autres installations en surface en support aux travaux souterrains ;
– en souterrain, des alvéoles de stockage des différents types de colis de déchets, creusés au cœur de l’argile, ainsi que leurs galeries d’accès et des puits verticaux et des descenderies inclinées assurant la liaison avec les installations de surface.
Les alvéoles de stockage sont creusés et remplis de déchets au fur et à mesure de l’exploitation, selon une conception modulaire et progressive. Au terme de la centaine d’années d’exploitation, ils occuperont en souterrain une emprise d’environ 15 km².
Les colis de déchets seront acheminés en souterrain au moyen d’un funiculaire. Ils seront ensuite placés dans les alvéoles de stockage au moyen de dispositifs robotisés. Les alvéoles de stockage de déchets MA-VL seront des tunnels horizontaux de quelques centaines de mètres de longueur et d’une dizaine de mètres de diamètre. Les déchets HA seront stockés dans des alvéoles d’une centaine de mètres de longueur et d’environ 70 cm de diamètre revêtus d’un chemisage métallique.
La conception de Cigéo
La première originalité du Projet Cigéo est de viser à confiner les déchets sur de très grandes échelles de temps, sans action humaine. Ce confinement repose en premier lieu sur la sélection et la connaissance scientifique d’une couche argileuse d’accueil : sa stabilité géologique (depuis 130 millions d’années pour le Callovo-Oxfordien), bien supérieure à la durée sur laquelle le confinement demande à être démontré (de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d’années), sa continuité, notamment l’absence de failles, sa très faible perméabilité, ses caractéristiques chimiques. La sûreté à long terme de Cigéo repose aussi sur la conception des ouvrages de stockage : leur implantation au sein de l’argile de manière à en tirer le meilleur parti, la limitation des perturbations induites dans l’argile par les travaux et par les déchets, l’utilisation de matériaux limitant la dégradation des déchets et la possible migration des radionucléides, etc. D’une manière générale, les meilleures techniques disponibles en matière d’ingénierie sont utilisées.
Pour évaluer les performances de confinement de Cigéo et leur évolution sur une très grande durée, l’Andra a acquis au cours des vingt dernières années un large faisceau de connaissances scientifiques, issues d’observations géologiques, d’observations du vieillissement de matériaux analogues naturels ou archéologiques, d’études des différents phénomènes intervenant au cours du temps, d’expérimentations en laboratoire et in situ, de modélisations et de simulations.
En plus du confinement à long terme, le Projet Cigéo présente une autre originalité, celle de faire coexister des travaux souterrains et des activités nucléaires pendant la période d’exploitation. Le maintien de conditions de sécurité satisfaisantes pour les opérateurs et l’environnement durant cette période constitue un enjeu d’ingénierie important, par exemple vis-à-vis des risques d’incendie ou de la présence de gaz dangereux.
Pour mener les études et recherches, l’Andra mobilise la communauté scientifique dans de nombreuses disciplines (sciences de la terre, des matériaux, de l’environnement, de l’instrumentation…). L’Andra dispose par ailleurs, en propre, du Laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne, situé à 500 mètres de profondeur dans la couche argileuse du Callovo-Oxfordien, de moyens de calculs numériques et d’un Observatoire pérenne de l’environnement, outils scientifiques conçus pour répondre aux besoins spécifiques de Cigéo en matière de recherche. Les études menées depuis plus de 20 ans sont évaluées régulièrement par la Commission nationale d’évaluation (CNE), qui en rend compte au gouvernement et au Parlement, et par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Depuis quelques années, l’Andra s’est alloué les services de maîtrises d’œuvre qui contribuent dans leurs différents domaines de compétence à la conception du Projet Cigéo.
Le travail actuel de conception vise à aboutir au dépôt d’une demande d’autorisation de création à l’horizon 2018.
Au-delà, et sous réserve de son autorisation par décret (après instruction de la demande par l’ASN et enquête publique), il est envisagé d’articuler le Projet Cigéo autour des phases suivantes :
La construction initiale de Cigéo pendant laquelle une première partie (ou « tranche ») de l’installation est réalisée (bâtiments de surface, premiers ouvrages souterrains).
Une phase industrielle pilote comprenant des essais en conditions réelles, d’abord avec des colis de déchets factices puis avec des colis de déchets réels (après autorisation de mise en service provisoire). Cette phase a été intégrée au démarrage de l’installation à l’issue du débat public sur le Projet Cigéo, qui a été mené en 2013 par la Commission nationale du débat public.
L’exploitation courante par tranches successives pendant une centaine d’années (réception/stockage de colis et travaux d’extension en souterrain).
La fermeture définitive de Cigéo à l’issue de l’exploitation, que seule une loi peut autoriser.
La surveillance après fermeture et le maintien de la mémoire de l’installation.
Les étapes de développement à venir sur le Projet Cigéo consistent notamment à produire et à tester des éléments (conteneurs, équipements d’exploitation, scellements) en vraie grandeur et dans les conditions réelles, en se rapprochant de façon progressive de la conception prévue pour les ouvrages du stockage en termes de taille, de matériaux utilisés, de méthode de réalisation et d’implantation et de conditions opérationnelles de fonctionnement. Ce travail a commencé au Laboratoire souterrain. Il se poursuivra au cours de la phase industrielle pilote. Cette phase fera l’objet d’un bilan, qui devra démontrer que Cigéo est capable de prendre en charge des déchets radioactifs tout en répondant aux exigences de sûreté et de réversibilité. Ce n’est qu’alors que l’exploitation courante de Cigéo pourra commencer.
Faut-il réaliser Cigéo maintenant ?
Aujourd’hui, le niveau atteint par les connaissances scientifiques, la technologie et les moyens financiers permettent de poursuivre le développement et de planifier la mise en œuvre de Cigéo. Le parc électronucléaire est encore en fonctionnement et continuera à moyen terme à contribuer au financement des futures tranches d’investissements de Cigéo. A l’inverse, sur une perspective temporelle plus longue, le maintien des compétences technologiques nécessaires à la réalisation d’une telle installation nucléaire pourrait-il être garanti, en particulier si les savoir-faire en la matière venaient à diminuer à la suite de changements de politique énergétique ?
La poursuite du processus visant, sous réserve d’autorisation, à rendre disponible une installation de stockage profond n’est-elle pas, pour notre génération, une exigence éthique ? C’est notre génération et la précédente qui ont construit le parc électronucléaire et qui en ont retiré les bénéfices en termes de développement et de mode de vie. N’est-ce pas à ces générations, plutôt qu’aux générations futures, d’investir dans une solution définitive de gestion des déchets ainsi produits ?
A la demande du Parlement, d’autres voies de gestion à long terme des déchets HA et MA-VL ont été étudiées. Au stade actuel des connaissances, aucune ne constitue en elle-même une solution définitive (voir encadré). Cependant le principe de modestie nous interdit d’exclure l’éventualité que, à l’échelle de quelques générations, la poursuite de telles recherches n’aboutisse à une solution qui soit alors jugée préférable au stockage géologique. En partant de ce principe, la question de reporter l’engagement du Projet Cigéo a été posée par certains.
L’exigence de réversibilité permet à la fois de concilier l’exigence éthique d’agir dès aujourd’hui pour diminuer la charge transmise aux générations futures, et celle de ne pas enfermer celles-ci dans nos propres choix. Il s’agit alors de mettre en place des outils adaptés de gouvernance et de conduite du projet. Cette question fera l’objet d’un article dédié dans le prochain numéro de Passages.
Le financement du projet
Dans une logique de responsabilité, le financement des études, de la construction, de l’exploitation et de la fermeture de Cigéo sont assurés dès aujourd’hui par les générations actuelles pour ne pas le reporter sur les générations futures. Cela est fait par des provisions, régulièrement actualisées, par
EDF, le CEA et par Areva, les trois producteurs de déchets concernés, respectivement financeurs à hauteur de 78 %, 17 % et 5 %.
Quelles que soient les incertitudes qui peuvent rester à ce stade du projet, le coût reste donc tout à fait supportable pour le système électrique et le consommateur. La Cour des comptes a ainsi estimé que le coût du stockage représentait de l’ordre de 1 à 2 % du coût total de production d’électricité sur l’ensemble de la durée de fonctionnement d’un réacteur, et les producteurs de déchets ont d’ores et déjà mis en place des provisions dans leurs comptes.
Et ailleurs ?
Les pays utilisant l’énergie électronucléaire retiennent le stockage géologique comme solution de gestion définitive et sûre à long terme de leurs déchets les plus radioactifs. De nombreux pays ont d’ores et déjà engagé des études sur ce sujet. Outre la France, c’est le cas par exemple des Etats-Unis, de la Finlande, de la Suède, du Canada, de la Chine, de la Belgique, de la Suisse, de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou encore du Japon.
En 2011, la directive européenne 2011/70/EURATOM du 19 juillet 2011, établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs, a par ailleurs rappelé que le stockage géologique constitue actuellement la solution la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la gestion des combustibles usés et déchets de haute activité[4].
Les autres options étudiées
Des recherches sur d’autres options de gestion ont été engagées en parallèle de celles sur le stockage profond.
La séparation et la transmutation des radionucléides, étudiée par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), visent à réduire la quantité et la nocivité des déchets radioactifs. Les résultats ont montré que la séparation/transmutation ne supprime pas la nécessité d’un stockage profond : elle n’est possible que pour les déchets à produire dans le futur et ne serait applicable qu’à certains radionucléides (ceux de la famille de l’uranium, appelés actinides mineurs). Par ailleurs, les installations nucléaires nécessaires à la mise en œuvre d’une telle technique produiraient des déchets d’exploitation qui nécessiteraient aussi d’être stockés en profondeur pour des raisons de sureté.
Les études sur l’entreposage de longue durée, également menées par le CEA, avaient pour objectif d’étudier des concepts d’installations d’entreposage, en surface ou à faible profondeur, conçues pour des durées longues. Le CEA a conclu que les concepts d’installations étudiés présentaient une robustesse particulière aux aléas externes, techniques ou sociétaux. Cependant ils impliquent de maintenir un contrôle de la part de la société et une nécessité de reprise des déchets à terme par les générations futures.
*Document rédigé par Jean-Michel Hoorelbeke, Directeur adjoint Sûreté environnement et stratégie filières, ANDRA
Jean-Michel Hoorelbeke
[1] Etablissement public chargé de la gestion à long terme des déchets radioactifs en France : www.andra.fr
[2] Le becquerel (Bq) mesure le niveau de radioactivité (appelé activité) c’est-à-dire le nombre de désintégrations par seconde : 1 Bq = 1 désintégration par seconde.
[3] Par comparaison, les déchets de très faible activité, TFA (30 % du volume) ont un niveau de radioactivité qui est en général inférieur à 100 becquerels par gramme, les déchets de faible et moyenne activité à vie courte, FMA-VC (60% du volume) ont un niveau de radioactivité qui se situe en général entre quelques centaines de becquerels à un million de becquerels par gramme.
[4] Pour les pays qui, comme la France, procèdent au traitement de ces combustibles usés.