Jean-Pierre Hansen, Jacques Percebois
Préface de Marcel Boiteux
Avant-propos de Jean Tirole, prix Nobel d’économie
De Boeck
827 pages, 133 tableaux ,310 graphiques, 25 encadrés à vocation mathématique.
Une bibliographie exceptionnelle. Il s’agit d’une « somme » qu’il sera difficile de résumer en quelques pages !
La rencontre de la théorie économique et de la réalité
Jacques Percebois et Jean-Pierre Hansen ont réussi à concilier la théorie économique et la réalité, ce qui fait la richesse de cet ouvrage. Ecrit de manière pédagogique et issu de l’expérience de l’enseignement et de la pratique. Jean -Pierre Hansen est ingénieur et économiste. Pendant près de vingt ans, il a dirigé Electrabel, l’une des principales compagnies d’électricité européennes. Membre de l’Académie royale de Belgique, il préside le Comité de politique et de prospective énergétique du groupe ENGIE. Et enseigne l’économie à l’UC de Louvain.
Jacques Percebois est professeur émérite de l’université de Montpellier, ou il a créé un Master Economie et Droit de l’Energie. Il a fondé et anime le CREDEN. Doyen honoraire de la faculté d’Economie, il enseigne à l’Ecole des Mines de Paris et à l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles. Il est membre de la CNE2 et administrateur indépendant de GRTgaz. Auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles scientifiques, il a reçu le 2006 Outstanding Contribution to the Profession Award décerné par l’International Association of Energy Economists.
Comme vous le savez, il intervient assidûment à Passages/ADAPes.
La préface de Marcel Boiteux introduit brillamment la rencontre de la théorie économique et de l’expérience de la gestion d’une grande entreprise. Il démontre que son action à la direction d’EDF a « toujours fait référence à l’optimum théorique qui sous-tend les jugements de la vie économique réelle ».
Considérant que le marché devait jouer un rôle central, il a démontré que les firmes astreintes à l’équilibre budgétaire ne vendaient pas au coût marginal et qu’il s’agissait de trouver une règle de tarification qui mène à un optimum de Pareto (d’après lequel toute décision qui accroît la satisfaction d’au moins un individu sans diminuer celle d’un autre est une mesure de l’intérêt général), intérêt général auquel doit répondre, s’astreindre une entreprise nationalisée. Pour Marcel Boiteux, ce qui fait la richesse de cet ouvrage, c’est l’étendue et la diversité de ses approches, le constant dialogue entre les modèles et la réalité.
Dans le même esprit, Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, écrit dans son avant-propos : « Bâtissant sur leur longue expérience du secteur et une fine connaissance de ses enjeux, Jean-Pierre Hansen et Jacques Percebois apportent au lecteur une grille d’analyse de l’évolution et du devenir de ce secteur complexe. Ils ont opportunément choisi de présenter ses activités industrielles et leurs évolutions à l’aide des outils de l’analyse économique. »
Quels sont ces outils ?
La macroéconomie de l’énergie.
Les déterminants microéconomiques de l’offre et de la demande d’énergie.
Le chapitre premier est consacré à la macroéconomie de l’énergie ; il traite du poids de l’énergie dans l’économie en établissant le lien entre la consommation d’énergie per capita et le PIB par tête à l’aide de coupes instantanées et de séries temporelles. Ce lien est positif avec une élasticité énergie/PIB plus ou moins égale à 1.
Cependant, depuis les chocs pétroliers de 1973/74 et 1979/80, l’intensité énergétique des pays développés a tendance à décroître sous l’impact notamment des politiques de maîtrise de la demande d’énergie contribuant à une relative déconnection entre croissance économique et croissance de la consommation d’énergie.
Le choc que constitue la forte hausse des prix du pétrole entre 1973 et 1974 va contraindre à réviser les modèles explicatifs en introduisant l’élasticité par rapport au prix. A titre d’exemple, l’élasticité de la demande de pétrole mondiale est négative.
En mésoéconomie, la dépendance des différents secteurs ou branches au besoin d’énergie est analysée à l’aide du modèle d’input-output de Leontief. A l’aide de ce modèle, une prévision de la demande d’énergie est peu convaincante pour de nombreuses raisons (progrès technique anticipé, évolution des structures économiques, survenance de chocs énergétique…).
Ce premier chapitre analyse les outils dont dispose la puissance publique pour infléchir les choix énergétique d’un pays. Au niveau macroéconomique, c’est l’Etat régalien qui intervient pour promouvoir certaines activités collectivement bénéfiques : développement des énergies renouvelables, taxe sur le CO2…
Le chapitre 2 traite du fonctionnement des marchés selon diverses configurations de l’offre et de la demande.
Le recours au marché ne va pas de soi. L’idéal serait – en théorie – ce que les économistes appellent le marché avec concurrence parfaite (avec l’hypothèse irréaliste de nombre infini de producteurs et de consommateurs…).
Cette forme de marché maximise les transactions au prix d’équilibre et maximise par là même à long terme la satisfaction des consommateurs ; ce qui est regrettable, c’est qu’il n’existe pas sauf… peut-être en Bourse ! A l’opposé, le monopole simple dégage un superprofit, une rente lorsqu’il y a égalité de la recette et du coût marginal. Les auteurs insistent sur le concept de rente (rente de rareté, celle de Ricardo, rente du fait de la rareté physique de nombreuses sources d’énergie. Le monopoleur vend trop cher et restreint l’offre. Il est malthusien. Il appelle l’action publique, c’est-à-dire un minimum de régulation. Cependant, tout prélèvement de ces rentes par la puissance publique peut conduire à l’impossibilité d’assurer la continuité de l’investissement optimal. Sont abordés à ce niveau les grands principes de la régulation des marchés selon divers cadres institutionnels.
Entre ces deux formes de marchés, il y a l’oligopole sous des représentations théoriques diverses (Cournot, Stackelberg, Bertrand…).
Le chapitre 3 est centré sur le pétrole. Il étudie le concept de réserve et le rôle du progrès technique dans l’évolution des réserves prouvées. Les théories économiques aident à comprendre le fonctionnement des marchés internationaux et la formation des prix du pétrole. Le marché est plutôt oligopolistique (cartels) générateur de rentes. L’histoire du pétrole, c’est d’abord celle d’une lutte contre la baisse des prix résultant d’une baisse de la demande.
Peut-on anticiper le prix du pétrole ? Les tentatives de l’OPEP ont le plus souvent échoué. Une attention particulière est portée à la dimension historique, l’histoire des chocs pétroliers notamment et les controverses nées avec la thèse du « peak oil ». Ce chapitre insiste sur la multiplicité des déterminants du prix du pétrole, les raisons de la volatilité des prix et les techniques de couverture qui permettent de lutter contre cette volatilité (produits financiers dérivés).
Le chapitre 4 est consacré au gaz naturel ; il étudie la formation des prix du gaz sur les marchés américain et européen, le premier étant plutôt de type concurrentiel et le second caractérisé par un oligopole bilatéral. En Europe, le prix du gaz est le plus souvent contractuellement indexé au prix des produits pétroliers. L’accès aux réseaux de transport et de distribution est abordé. Une place importante est consacrée au processus de libéralisation de l’industrie gazière européenne : ouverture à la concurrence en amont et en aval de la chaîne, régulation de l’accès aux réseaux de transport et de distribution. Est abordée à cette occasion la stratégie de la Russie face au gaz non conventionnel américain : quel est son prix limite, jusqu’où la Russie est prête à baisser ses prix de vente pour empêcher l’entrée en Europe du gaz américain ?
Le chapitre 5 est centré sur l’électricité. Les différents segments de l’industrie électrique sont analysés : la production, le transport, la distribution… Une réflexion sur la place respective du marché et celle de la régulation est proposée.
Le marché de l’électricité est caractérisé par le fait qu’il n’existe pas de prix d’équilibre, s’il existe, ce prix peut être très différent du coût marginal ; ou encore, il peut être négatif. La « rente nucléaire » varie en fonction du prix de gros de l’électricité. Elle peut même devenir négative si les prix de marché chutent comme c’était le cas en 2013/2014.
Le chapitre 6 est consacré à l’énergie nucléaire. Il analyse la structure des coûts à la sortie de la centrale, la gestion des déchets, l’assurabilité des risques, l’effet d’une rente de rareté dans un marché européen dérégulé. En ce qui concerne la non-stockabilité du système électrique, on appréciera la comparaison entre l’électricité et la réservation de chambres d’hôtel ou des sièges d’avion avec le risque à certains moments d’avoir des prix négatifs.
Le chapitre 7 porte sur le charbon qui demeure la première source d’énergie pour produire de l’électricité à l’échelle mondiale mais ses effets négatifs sur l’environnement (rejet de CO2) posent des questions que le progrès technique devrait pouvoir résoudre, en partie du moins.
Le chapitre 8 est consacré aux diverses énergies renouvelables, l’éolien, le solaire et la biomasse.
Une attention particulière est apportée à l’analyse des divers mécanismes de promotion de ces énergies : aides publiques, prix garantis, certificat vert, quotas… La priorité donnée à l’électricité renouvelable intermittente en Europe a conduit à pénaliser les centrales au gaz naturel dans un contexte où la demande d’électricité est atone du fait de la crise économique. Le bas prix du charbon américain sur le marché européen et le niveau trop bas du prix de la tonne de CO2 ont accentué ce phénomène et conduit à donner la priorité aux centrales à charbon polluantes en lieu et place des centrales à gaz naturel, nettement moins émettrices de CO2.
Le chapitre 9 est centré sur une question transversale, commune à toutes les énergies : l’environnement. Il rappelle la donnée de base de l’effet de serre, les initiatives politiques pour limiter le réchauffement climatique, les grandes étapes des négociations internationales. Une attention particulière est portée au système européen des permis de CO2 négociables. Ce chapitre analyse les mérites comparés des divers outils dont dispose la puissance publique : les normes, la taxation et le système de marché.
Le chapitre 10 présente un ensemble d’exercices et d’études de cas très concrets sur la tarification de l’électricité, la modélisation d’un équilibre de marché, des projets d’exploitation-production dans le pétrole et le gaz naturel, des choix d’investissement dans le thermique classique ou de l’éolien ou le fonctionnement d’un marché de permis.
Jean-Jack Moreau
Professeur des Universités