Celle qui tenait dans le casting de Sarkozy président le rôle de l’harangueuse, Nadine Morano, fait donc le buzz à la télé par des propos sur les races. Il est évident, même pour le profane que je suis, que le coup est préparé, qu’il ne concerne aucunement la validité de ces références biologiques mais vise Sarkozy qu’il s’agit d’embarrasser et il s’en faut de peu que Patrick Buisson ne doit pas être très loin derrière. Si notre ex-président est en effet contraint de faire le grand écart entre l’UDI dont l’appui est indispensable pour l’élection de 2017 et une partie de son parti qu’un peu de racisme n’effraie pas, le voilà en posture de devoir lever un de ses pieds, ce qui n’est guère favorable à l’équilibre.
Or que va faire Nicolas, un politicien averti pourtant ? Il va se précipiter dans le marécage qu’on lui a ménagé, qui n’a d’intérêt que parce que l’opinion publique s’intéresse moins au programme auquel elle ne croit plus qu’à ce qui, d’une personnalité, peut se révéler fangeux, et s’en va barboter dans la vase au nom de la blancheur, non pas de sa race, mais de son idéal.
Comment une telle erreur est-elle possible, sinon à penser que son nouveau conseil en communication est encore moins « bon » que Buisson, le funeste ?
On ne mesure pas assez ce que la démocratie perd avec des représentants qui sont passés de la pertinence du discours à la fallace de l’image, à cause de ce progrès technique appelé télévision et dont le truc pour retenir l’attention consiste en plans ultrarapides ne déposant dans la mémoire publique que le souvenir d’une petite phrase.
Politique-spectacle donc, et il paraîtra normal que Nadine Morano se soit produite dans une émission spécialisée en ce genre où l’œil bovin de l’opinion se laisse prendre par n’importe quel chiffon rouge dès lors qu’il est bien agité. Il fallait d’ailleurs voir à cette occasion comment les deux journalistes chargés de jouer le rôle de procureurs ont eux-mêmes accordé les oreilles et la queue à cette professionnelle de l’estocade.
On conviendra à ce propos que la popularité du populisme – la validation de réactions instinctives, immédiates au détriment de la discursivité complexe et lente du jugement – doit beaucoup à ce progrès technique que nous évoquions plus haut, la télé.
Dans ce contexte qu’aurait pu répondre Sarkozy s’il avait eu l’intelligence, sinon le courage, de me consulter ?
1) Faire un éclat peut attirer la lumière mais ne fait pas un programme, en particulier quand il s’agit de traiter du flux des immigrés : le pays et eux-mêmes méritent mieux.
2) Ces immigrés ne relèvent pas d’une race mais d’une culture, religieuse en particulier. Et si des djihadistes se réclament de l’islam, la grande majorité des musulmans souhaite vivre pacifiquement.
3) Parler de races relève d’un point de vue vétérinaire. C’est à l’intérieur d’une espèce animale que se distinguent en effet des races caractérisées par des qualités différentes. La liberté propre à l’espèce humaine lui donne la faculté d’acquérir des qualités liées au talent et non à l’origine. Nadine Morano elle-même en est un exemple, même s’il est mal utilisé. Bref, elle est responsable de ce qu’elle dit, pas son ascendance.
4) Les derniers à décider en fonction du point de vue vétérinaire furent les nazis. Nadine Morano, elle, qui voulut-elle servir, sinon les thèses du parti d’extrême droite dont la vocation est de détruire le parti républicain ?
Ces remarques eussent eu moins le mérite de sortir du manichéisme primaire devenu spécifique d’une société moralement déboussolée et d’autant plus soupçonneuse et rigoriste qu’elle a perdu les fondations du bien et du mal. Et si le bien caractérise essentiellement aujourd’hui ce qui vous fait jouir, rien de tel que de viser ce qui est hors sa limite, c’est-à-dire le mal, pour réjouir la collectivité. À ce propos, sans doute encore une erreur de communication, comment DSK est-il parvenu à se faire jeter alors qu’il lui eut suffi d’assurer pleinement ses débordements pour faire honorer ses gauloiseries ? Sacré gaillard, mais il n’est pas certain que 2017 ne voit pas son retour.
Ce serait une occasion d’embarrasser Hollande cette fois, dont la récente sortie au Parlement européen réuni à Strasbourg mérite un mot de commentaire.
À Marine Montretout qui devant l’Europe rassemblée témoignait de l’irrespect avec lequel il convenait de traiter le Président de son pays, il a, improvisant, répondu fièrement tout en se tournant vers Farage – quelle habileté soudain ! on est confondu : « Si vous voulez sortir, sortez, et pour certains, avec la démocratie en même temps. »
Une première remarque s’impose : son phrasé public ordinaire, coupant les syntagmes aux endroits les plus improbables, était à l’occasion oublié et sa parole se retrouvait cadencée comme il est de coutume avec virgule, deux points, point virgule, etc. On peut croire que son articulation antérieure était l’effet d’un apprentissage. Un spécialiste en communication vraisemblablement à l’œuvre encore, destiné à le distinguer d’emblée du phrasé vulgaire. Le résultat était de donner à entendre une hésitation permanente et l’incertitude de la visée. Certains objecteront que cette interprétation est la bonne, démentie par ceux qui approchent le Président et savent que son objectif est parfaitement dessiné, avant tout se faire réélire.
Autre remarque : il faut avoir perdu le sens de la fonction présidentielle pour répondre aux insultes d’une eurodéputée (fut-ce en se tournant vers Farage) comme si l’on était soi-même de cette Assemblée.
Comment se fait-il aujourd’hui que, à droite comme à gauche, on ne sache plus ce qu’est l’extraterritorialité propre à toute autorité pour vouloir la mêler aux jeux de la foule ?
Gageons que la fameuse crise identitaire de la France et dont on nous rebat les oreilles commence par cette défection dans la représentation du pouvoir. Elle laisse alors automatiquement la place à une voix venue du peuple et prête à l’incarner pour le salut public, on en connaît les pénibles conséquences. Il y a certainement déjà eu des analystes pour retenir que c’est du peuple que vient régulièrement l’exigence d’un pouvoir fort, et ce parce que les maîtres ne tiennent plus leur place ni leur fonction.
Certes Marine Montretout s’est bien gardée de recruter des milices. Mais qui nous dit que demain et une fois au pouvoir, la sécurité, à cause de quelques provocations, n’exigera pas la constitution d’une garde nationale pour soi-disant « protéger » les personnes et les biens ? Je pressens le contentement de ceux dont le bon droit justifiera leur engagement pour défendre « l’ordre » et appliquer une justice immédiate et d’autant plus raisonnable qu’elle sera finalement appropriatrice.
C’est un classique de l’histoire.
Charles Melman