Ecrire pour un Maître et un ami, au jour de sa mort, tel est le projet qui dans cet ouvrage se fait réalité. Le Maître est René Girard, philosophe français de renom, exilé à Sandford avec son épouse Martha, après les affres de la dernière guerre qu’il traverse jeune homme. Œuvre de renom, tendue entre la violence et la Résurrection, et l’invention d’un concept, la violence mimétique : l’homme désire ce que l’autre possède et ainsi se créent des trios où un sujet est transformé en objet que se déchirent deux autres sujets. Reconnaître ce trio est du point de vue de Girard une avancée qui fait participer chacun quand il le peut aux progrès de la civilisation quand elle se départit de la violence sinon produite. « C’est toujours moi qui entre le premier dans la rivalité. Toute subjectivité doit s’accuser elle-même. L’offrande va plus vite que le meurtre. »[1]
René Girard plaça l’imitation, la mimésis, à l’origine de toutes les fondations… unique cause de la fragmentation et de la recomposition[2], source de violence qui se résout par le sacré dans le mécanisme qui l’a fait connaître de « la victime émissaire » dont la figure essentielle pour lui reste le Christ, dont la passion suscite « sa conversion ».
Le hasard veut que René Girard meure le 4 novembre 2015. Benoît Chantre part à ses obsèques avec son épouse et Jean-Pierre Dupuy. Le 9 novembre, sous un soleil splendide, il part en promenade le long du Pacifique comme il aimait le faire avec René Girard. Martha leur téléphone : un carnage est en train de se perpétrer à Paris. Ils rentrent précipitamment et la télévision le leur renvoie en boucle. René Girard n’est plus là pour interpréter cet événement et Benoît Chantre se sert de la théorie de René Girard pour avancer lui-même, nous montrant par la même les effets d’une belle identification à l’ami aimé. Qu’il décrit comme « un être de passion, qui désire plus vite que l’être de vanité…qui doit toujours s’assurer de l’existence d’un tiers désir »[3]et qui reste d’une grande simplicité.
Dans le va-et-vient des souvenirs et du récit de la cérémonie religieuse de l’enterrement de René Girard, Benoît Chantre fait une belle analyse du « suicide de Don Juan » : « En réalité tous imitent secrètement le monstre qui les fascine. Tous essaient de chanter aussi bien que lui, de lui voler son être. »[4] Avant d’aller vers sa mort pour n’en revenir jamais.
Benoît Chantre
Grasset
Marielle David
[1] Benoît Chantre, Les derniers jours de René Girard, Grasset Paris 2016 p. 97
[2] Op.cit., p. 80.
[3] Op. cit., p. 105.
[4] Op. cit., p.109.