Lorsqu’Emile H. Malet nous a rendu visite il y a un an pour lancer ce projet porté par le comité Freud et la revue Passages, nous l’avons accueilli, lui et sa proposition, avec enthousiasme. Car il est assez rare de voir d’éminents membres du monde de la psychanalyse française s’aventurer ainsi, se projeter loin de leurs bases, à la rencontre de réalités historiques et culturelles autres, mais aussi, et c’est très important, à la rencontre d’autres disciplines (en l’occurrence la sociologie, l’islamologie, le cinéma, et la littérature…).
La présence de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (l’IRMC), que dirige Mme Karima Direche, aux côtés du Comité Freud, celle – côté tunisien – de l’Association de formation à la psychanalyse et d’échanges cliniques de Mme Nedra Bensmail, ainsi que celle de l’Association tunisienne pour le développement de la psychanalyse ont permis de former un groupe de travail ouvert et décloisonné. L’Institut français de Tunisie, qui œuvre tout au long de l’année dans ce que nous nommons « le débat d’idées », a pour sa part milité pour une approche la plus inclusive possible, c’est aujourd’hui chose faite et je m’en réjouis.
L’apport du penseur Freud à l’histoire de la pensée universelle est immense, bien au-delà de la discipline qu’il fonda, et de la découverte fondamentale qu’il fit. C’est un Freud résolument humaniste et progressiste – que défend ce collectif – qui sera mis à contribution au cours de ces deux journées, dans ce dialogue de Tunis. Il y a lieu de penser en effet que l’apport singulier de la psychanalyse dans l’espace social et culturel tunisien, et plus largement dans les sociétés du Maghreb, est encore largement à venir et c’est à quoi les associations tunisiennes ici présentes s’emploient quotidiennement, auprès des populations les plus démunies. Ce coup de projecteur sur leur action pionnière en Tunisie est évidemment un objectif important de ce colloque.
Il faut néanmoins rappeler ici le travail pionnier de Franz Fanon, qui a vécu en Tunisie entre 1957 et 1961, où il a rédigé deux de ses ouvrages majeurs, et qui a aidé à travers ses travaux à « résister à l’air du temps présent » dans tous les champs du politique, du culturel et du devenir individuel. Notre ami Esssedik Jeddi nous le rappellera d’ailleurs sans aucun doute au cours de ces deux journées.
Depuis cinq ans, ce pays est devenu un point focal dans la région des grandes questions, des grandes tensions devrai-je dire, qui agitent le monde contemporain : un carrefour, un espace d’échanges privilégié, pacifié et démocratique, entre des sensibilités diverses voire divergentes, un espace où a toujours été maintenu le dialogue collectif, le sens du compromis, où le spectre de la guerre de tous contre tous a toujours su être évité – et je salue la participation aux débats d’un membre du Quartet, Prix noble de la paix, qui se joindra à nous. L’enjeu est donc crucial pour la région, et au-delà, de voir ce pays transformer l’essai, consolider l’avenir qu’il s’est ouvert il y a encore si peu de temps. En replaçant la réalité psychique au cœur de ces questionnements, ce débat que j’ai le plaisir d’ouvrir ce matin se veut donc concerné par ces enjeux, loin de toute polémique facile, de tout raccourci.
S’il est vrai que de la friction jaillit la lumière, nous attendons bien entendu de ces échanges qu’ils soient vigoureux et critiques, et qu’ils apportent, humblement, un éclairage nouveau sur les questions qu’il se propose d’aborder : « l’éducation et la transmission », les « identités » – au pluriel – dans toutes leurs dimensions (pensons par exemple aux remous provoqués encore tout récemment dans la société tunisienne par la question de l’homosexualité).
Je tiens donc à saluer et à remercier de leur présence toutes celles et toutes ceux qui ont fait le déplacement à Tunis pour se joindre à cette conversation qui s’annonce passionnante.
Je vous souhaite donc la bienvenue à l’Institut français de Tunisie, et de très fructueux échanges, dont on me dit qu’ils pourraient faire l’objet d’une publication à venir, ce qui permettrait de partager plus largement encore ces débats avec le plus grand nombre.
Par François Gouyette (y)
Ambassadeur de France en Tunisie*
*François Gouyette est depuis septembre 2016 Ambassadeur de France en Arabie saoudite.