Débat à propos du livre « Les musulmans au défi de Daech » par Mahmoud Hussein, dans les locaux de la revue Passages. Questions de la salle à Jeanne Perrin.
Pourquoi le Coran est-il dit par Mahomet « le Dernier Livre Saint » ? S’agit-il, en expliquant que le Coran se contredit, de remettre la croyance en question ?
J.P : Parce qu’il voyait déjà des successeurs possibles reprendre sa parole en l’améliorant à leur façon ! Ce qui n’a rien empêché. Écritures et réécritures (on a commencé sur des petites peaux de bête) souffrent de ce que l’arabe ne s’est pas tout de suite écrit de la manière que nous connaissons. Donc beaucoup de faux sens à cause des signes, de la syntaxe (les cas sont difficiles à repérer) ! Nous nous adressons à des musulmans sécularisés, ayant une certaine autonomie par rapport à la volonté divine. Il y a encore un verrou à faire sauter : le Coran n’es pas incréé, il n’est pas Dieu lui-même (utiliser le Coran ne résout pas les problèmes, a déjà dit un neveu du Prophète). Mais les jeunes sont ouverts…
Peut-il y avoir, comme pour les juifs, des écrits différents de la Torah ou du Talmud, donc une sorte de mise à jour du Coran ? Vous avez travaillé dans ce sens sans être une autorité religieuse : écrivez-vous en arabe, êtes-vous lu en Égypte ? Avez-vous été menacé pour votre indépendance ?
Notre travail est d’aider à bien comprendre l’islam, donc notre livre de 1 200 pages seulement fait la somme, que nous avons voulue très objective, de l’essentiel en rassemblant les idées : le Coran, en effet, classe les sourates de la plus longue à la plus courte (pourquoi ?) et énonce des préceptes contradictoires ou confus. Dieu seul comprend ! En ânonner à l’école n’arrange rien et décourage de nos jours la foi et la pratique, ce que nous ne souhaitons surtout pas !
Oui, nous avons écrit en arabe (puis traduit en français) et après une longue période de refus, nous sommes lus, surtout en Égypte où se réveillent les consciences depuis 2011. La liberté d’expression n’est pas totale, mais le gouvernement a besoin de notre pensée (dans la période moghole, la tradition que je dirais « démocratique » était de questionner librement l’imam). Surtout, notre livre fait aimer le Prophète, c’est un homme bon ! Nous avons aussi publié Ce que le Coran ne dit pas et Penser le Coran pour que les musulmans ne pensent plus que le Coran est tombé tout prêt d’un seul coup.
Chez les chrétiens, il y a une hiérarchie et le Fils est soumis au Père. Un des traits de l’islam est la fraternité. Cela explique-t-il une absence de hiérarchie dans la religion ?
Certes, il n’y a pas ce type de clergé. C’est pourquoi la France demande à tort la création d’une autorité des musulmans vivant en France. La soumission est à Dieu seul. Mais il y a des muftis à peu près dans chaque pays, pas au niveau mondial.
Les atrocités de Daech choquent-elles le monde musulman ? Donc secoueraient-elles le tabou ?
Il y a plusieurs réponses possibles :
La décapitation au sabre n’est peut-être pas plus « immorale » que les bombardements. Du reste Daech a cessé ces méthodes spectaculaires.
Certains pensent que ces atrocités ne sont pas vraies, comme certains qu’on n’a pas marché sur la Lune !
Les sunnites sympathisent avec Daech pour lutter contre l’ingérence étrangère. Qui a donné naissance à Daech. Et il y a tellement de schismes (le Prophète l’avait prédit avant sa mort) qu’il est difficile d’affirmer que les choses pourraient s’arranger. Surtout que notre époque déstabilisée entraîne à chercher des certitudes, un soutien dans la foi mais pas forcément de la bonne façon.
Emile H. Malet : Retenons de notre rencontre la nécessité de douter et d’adapter les textes au monde d’aujourd’hui avec son héritage philosophique et psychanalytique… Merci pour cet appel à la sagesse.
Jeanne Perrin