Votre magasin de bricolage préféré vient d’ouvrir un Techshop et vous invite à devenir un maker en développant le coworking. Voilà donc de nouveaux anglicismes qui envahissent notre vie quotidienne. De quoi s’agit-il ?
Un TechShop (c’est en fait une marque commerciale) est un espace collaboratif ou chacun peut accéder à des machines et à des équipements professionnels, répartis dans différents ateliers : bois, métal, textile, électronique, impression 3D… Vous pouvez y bénéficier – dit la notice – du support d’accompagnateurs de projets, à l’expérience solide et à l’enthousiasme communicatif. Bref, c’est l’endroit où vous pouvez, dans une ambiance conviviale faire vos premiers pas de maker.
Mais qu’est-ce qu’un maker ? Un maker est au bricoleur ce que l’homme contemporain est à l’homme de Cro-Magnon : c’est quelqu’un qui va fabriquer lui-même des objets, matériels ou logiciels, en utilisant toutes les ressources que la technologie moderne met à sa disposition : outils lasers, impression 3D, conception et simulation numérique, etc. Mais il va le faire de façon collaborative, dans un espace ouvert, en bénéficiant d’outils modernes mais aussi du soutien d’instructeurs et de l’expérience partagée avec d’autres makers : artistes, entrepreneurs, enseignants, étudiants, etc.
De là est né le concept de « culture maker » qui met l’accent sur l’apprentissage par la pratique dans un cadre social. La culture maker se concentre ainsi sur un apprentissage informel, communautaire, collaboratif et partagé via un patrimoine informationnel commun, motivé par l’amusement et l’accomplissement personnel. Le bricoleur est un individu qui va généralement opérer seul alors que le maker chasse en meute. Les interactions communautaires et le partage de connaissances sont fondamentaux. L’atelier – j’aurais dû dire le workshop ou mieux le makerspace – est le temple où la communauté va se réunir pour échanger, faire progresser son savoir-faire et réaliser.
Pourquoi un tel engouement qui rejoint celui suscité par les fablabs promus initialement par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) pour développer de façon coopérative des logiciels qui sont ensuite distribués sous licence libre ?
Certes, de tout temps chacun a, avec ses moyens propres, cherché à compléter les fruits qu’il pouvait tirer de son travail en développant une activité spécifique dans laquelle il avait quelque talent : les ménagères faisaient du tricot, élevaient des poules ou cultivaient un potager ; les hommes refaisaient les peintures ou réparaient leur voiture. L’objectif premier était économique : améliorer l’ordinaire en se débrouillant tout seul ; subsidiairement l’activité pouvait être perçue comme un loisir. Mais la composante sociale était absente sauf à se rendre service entre voisins lorsque cela était nécessaire.
Avec le mouvement maker, on assiste à quelque chose qui va plus loin puisque les makers acceptent tout simplement d’aller au travail – adieu les 35 heures – dans un cadre qui n’est plus celui de l’entreprise mais qui y ressemble : un espace et des moyens partagés et des instructeurs qui servent de contremaîtres. Pourquoi un cadre souvent perçu comme une contrainte devient-il tout d’un coup une voie d’épanouissement ?
Il y a probablement plusieurs raisons. La première est le mouvement général que nous constatons en direction de la décentralisation et du « small is beautiful ». Les baisses de prix et la miniaturisation des outils, le développement fantastique des technologies numériques rendent possibles des fabrications, à présent matérielles aussi bien que logicielles, qui étaient l’apanage des grandes organisations fortement équipées en moyens humains et matériels. Alors pourquoi ne pas en profiter et faire soi-même au lieu de faire faire, alors que l’on a du temps libre et que les loisirs coûtent plus cher que le travail librement consenti et exonéré de charges sociales ?
Mais la culture maker va encore plus loin : elle est incontestablement imprégnée d’une saveur libertaire tendant à remettre en cause les structures en place, à se libérer des carcans et à aller vers un monde où les connaissances et les moyens sont partagés pour le plus grand bonheur de chacun. Ne voit-on pas ainsi se développer les productions autonomes d’électricité et des collectivités d’autoproducteurs qui, en utilisant les vertus de la blockchain, pensent pouvoir s’exonérer des grands opérateurs qui ont pourtant été à l’origine d’un fantastique progrès économique et social. Plus de liberté, plus de démocratie, halte aux rémunérations indues du grand capital, le contrôle retrouvé de ses ressources et de son talent… autant de slogans qui font florès.
Mais attention, le mouvement maker n’est qu’une instanciation particulière de la civilisation du numérique, celle qui a donné naissance à Uber ou à Airbnb. S’il n’y a pas d’actionnaires visibles dans les ateliers collaboratifs, il y en a dernière le rideau qui, en surfant sur les mouvements d’opinion et en mettant à la disposition des usagers des méthodes et des moyens, sont ceux qui en tirent le maximum de profit. Il faut aussi penser aux effets déstructurant de ces circuits courts : un maker ayant acquis une réelle expertise sera souvent tenté d’en faire commerce et d’en tirer profit, par exemple au travers d’allovoisins.com ou de leboncoin.fr. Il ira passer son temps libre dans un atelier collaboratif sans s’alarmer du fait que c’est son vrai travail qui assure sa couverture sociale et sa retraite. La plupart de ces activités rendues possibles par l’explosion des services numériques restent encore aujourd’hui les passagers clandestins des structures traditionnelles. C’est à la puissance publique de définir des règles qui, sans entraver le développement de nouvelles formes de travail, permettent de préserver les équilibres sociaux et de ne pas créer de nouvelles formes d’assujettissement.