C’était attendu mais le président Donald Trump l’a confirmé le 1er juin 2017, les États-Unis se retirent de l’accord de Paris sur le climat, estimant que celui-ci est trop désavantageux pour eux. Donald Trump a précisé que les États-Unis cessaient immédiatement la mise en application du texte et se retiraient du Fonds vert de l’ONU qui aide les pays en développement vers la transition énergétique. Il s’est dit prêt à négocier un nouvel accord à condition que ce dernier protège les États-Unis et les contribuables.
Cette décision est évidemment un acte politique destiné à montrer à ceux qui l’ont élu la fidélité du président à ses engagements. Il s’inscrit dans la continuité du décret présidentiel du 28 mars 2017 qui a ordonné la révision de la plupart des grands textes pris à l’initiative du président Obama, visant à assurer la protection de l’environnement et à contenir le changement climatique, mais qui, selon Donald Trump, portent atteinte à l’indépendance énergétique et à la croissance économique des États-Unis.
Le présent article vise à analyser quelques-unes des conséquences que peut avoir une telle décision sur un plan interne aux États-Unis et sur le plan international.
Sur le plan interne aux États-Unis
Donald Trump ne croit pas au changement climatique d’origine anthropique et par conséquent considère que les engagements pris dans l’accord de Paris sont inutiles, dispendieux et portent atteinte à l’économie nationale. Il souhaite redonner de la liberté aux productions nationales de charbon et d’hydrocarbures et veut que leur utilisation ne soit plus restreinte par des réglementations telles que le Clean Power Plan – promulgué en application de la section 111(d) du Clean Air Act et qui vise notamment à restreindre les émissions des centrales électriques existantes – ou la Carbon Pollution Standards Rule – applicable aux centrales nouvelles, promulguée en application de la section 111(b) du Clean Air Act. L’Environmental Protection Agency (EPA) a donc, suite au décret du 28 mars 2017, instruction de reconsidérer ces règlements, de même que le ministère de l’Intérieur et les autres agences fédérales sont tenues de revoir des textes très importants relatifs à la limitation des émissions de méthane, à la fracturation hydraulique, à l’exploitation du charbon dans les terres fédérales, à la prise en compte obligatoire du changement climatique dans les études d’impact environnemental et au coût social du carbone.
L’annonce du retrait de l’accord de Paris sert de fond à la grande opération de lessivage des textes lancée par ce décret du 28 mars mais ne porte pas d’effet en elle-même. Cette refonte de textes essentiels sera longue et durera sans doute plusieurs années : leur promulgation a entraîné des recours devant les tribunaux (le Clean Power Plan et la Carbon Pollution Standards Rule font toujours l’objet d’appels devant la cour d’appel des États-Unis pour le circuit du district de Columbia), leur refonte ou leur abrogation feront à coup sûr l’objet de procédures symétriques.
On notera que Donald Trump ne s’est pas hasardé à mettre en cause le Clean Air Act qui est l’une des plus puissantes lois fédérales aux États-Unis, datant de 1963. Or, dans un arrêt célèbre de 2007, la Cour suprême des États-Unis a décidé (5 contre 4) que l’EPA (Environmental Protection Agency) se devait de réglementer les émissions de gaz à effet de serre si celles-ci pouvaient nuisibles au bien-être ou à la santé, décision suivie par l’Endangerment Finding de l’EPA de 2009 (confirmé par la Cour suprême en 2011) concluant que les gaz à effet de serre étaient des « air pollutants » au sens du Clean Air Act. Et donc, même si l’EPA sur ordre du président, parvient à abroger le Clean Power Plan et la Carbon Pollution Standards Rule, il faudra que l’EPA légifère à nouveau, d’une façon ou d’une autre, pour encadrer les émissions de gaz à effet de serre.
Sur un plan juridique, la route sera donc difficile pour Donald Trump mais elle l’est aussi sur le plan économique. Car le soutien apporté au charbon risque d’être un cautère sur une jambe de bois. L’industrie charbonnière est très menacée par l’industrie gazière qui a fantastiquement bénéficié de l’essor du gaz de schiste et fait plonger les cours du charbon. Par ailleurs, dans de nombreux états, le développement de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire vient, comme en Europe, perturber fortement l’équilibre économique des énergies conventionnelles.
Sur le plan politique, l’accueil réservé aux États-Unis sur les décisions du président est plus que mitigé. De nombreuses organisations non gouvernementales, des maires de grandes villes, des gouverneurs de grands États (New York, Californie, Washington), des responsables de grandes entreprises (ExxonMobil, Apple, Tesla…) ont pris clairement position contre la décision de Donald Trump.
Au final, il est probable que cette décision conduira à un certain relâchement de la part des États-Unis qui ne s’estimeront plus liés par leur engagement volontaire, pris dans le cadre de l’accord de Paris, de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 26 à 28 % en 2025 par rapport à 2005. Mais sur cet objectif, 10 % de réduction étaient acquis en 2015. La technologie et l’économie américaines ne vont pas s’arrêter de progresser du fait de la décision de Donald Trump ; la plupart des acteurs économiques considèrent que la décarbonation de la société est maintenant engagée partout et de façon irréversible et que l’impact de la décision du président Trump aura, aux États-Unis, un effet regrettable mais limité.
Sur le plan international
On se souvient de l’incidence très importante qu’avait eue la décision du Sénat américain confirmée par George Bush de ne pas ratifier le protocole de Kyoto signé en 1997. À l’époque, les États-Unis étaient encore les premiers émetteurs mondiaux et cette décision obéra grandement l’avenir du protocole qui ne dut son salut qu’à la ratification tardive de la Russie.
On pourrait donc a priori craindre qu’il en aille de même de l’accord de Paris, suite au revirement américain. Toutefois le contexte est très différent :
– L’accord de Paris a été ratifié par 195 nations et les États-Unis viennent aujourd’hui rejoindre le Nicaragua et la Syrie, seuls pays non-signataires à ce jour ;
– Les États-Unis ne peuvent pas, d’un point de vue formel, dénoncer l’accord sans respecter son article 28. Cet article prévoit qu’un retrait ne peut être notifié par écrit moins de trois ans après sa date d’entrée en vigueur, c’est-à-dire avant le 4 novembre 2019, et sa prise d’effet ne pourra intervenir qu’au bout d’un an, c’est-à-dire au plus tôt à compter du 4 novembre 2020 ;
– Les États-Unis pourraient opter pour procédure plus expéditive en se retirant, moyennant un préavis d’un an, de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 mais un tel retrait nécessiterait un aval du Congrès et constituerait, dans l’escale anti-climatique, le franchissement d’une étape supplémentaire qui semble faire hésiter le président Trump ;
– Les États-Unis ne sont plus, et de loin, les principaux émetteurs de CO2 de la planète, la Chine ayant émis en 2015, 5 485 Mt de CO2 contre 9 153 Mt pour la Chine, 3 489 pour l’Europe et 2 218 pour l’Inde. Or les grands pays émetteurs, et la Chine en particulier, ont fait connaître leur attachement à l’accord de Paris.
Le risque de dislocation de l’accord de Paris est donc limité même si le soutien apporté par la Chine et par l’Inde s’explique davantage par les questions de pollution atmosphérique liées à l’utilisation du carbone que par des raisons directement liées au changement climatique. Il est probable en outre que le soutien apporté par ces deux pays se traduira, sous une forme ou sous une autre, par des demandes de compensation commerciale.
La question du financement est beaucoup plus embarrassante. Il faut en effet rappeler que lors de la conférence de Cancun en 2010, a été décidée la création, sous l’égide des Nations unies, d’un Fonds vert, le Green Climate Fund devant être porté à 100 Md USD par an d’ici à 2020 et étant destiné à financer les travaux d’adaptation au changement climatique dans les pays en développement. Ce Fonds vert fonctionne de façon brinquebalante et sa dotation ne dépasse pas, au total et non par an, 60 Md USD en 2017, financés de façon modeste par les États-Unis, le président Obama ayant transféré in extremis avant la conférence de Paris 500 M USD sur les 3 Md USD qui étaient annoncés.
Qui plus est, l’accord de Paris prévoit que ce Fonds vert soit prolongé jusqu’en 2025 et que son montant soit accru au-delà des 100 Md USD actés à Cancun. De plus, à la conférence de Bonn de 2017, les parties ont accepté de prendre en considération, à hauteur de 50 Md USD par an à compter de 2020, les pertes et dommages d’origine climatique subis par les pays en développement du fait des événements climatiques. Le gap est considérable entre les engagements pris par les pays développés et les réalisations effectives. Le retrait des États-Unis ne fera qu’accentuer de déséquilibre et constitue une véritable préoccupation.
La position des États-Unis est une opportunité pour l’Europe et pour la France en particulier de faire entendre à nouveau leurs voix. Il est dommage que la Russie, par la voix du président Poutine, n’ait pas fait connaître une position plus nette, se bornant à faire acte de compréhension vis-à-vis des États-Unis. C’eût été l’un des moyens de resserrer l’axe Europe-Russie, mis à mal sur d’autres théâtres, et de peser davantage sur la scène internationale. Mais il est possible que cette situation vienne à évoluer.
Bien entendu, il faut que cette parole soit crédible. S’agissant de notre pays, après qu’ont été cueillis les low-hanging fruit, il semble que la progression vers une société décarbonée se soit singulièrement ralentie. Il appartient aux nouvelles équipes qui se mettent en place de redonner à la réduction des émissions de CO2 la priorité qu’elle appelle, notamment dans les secteurs clés du bâtiment et des transports.
Jean-Pierre Hauet