Intervention au FMDD 2017
Deux « Conventions des parties » sur le climat se sont enchaînées dans deux des pays méditerranéens, la France et le Maroc. Les deux rencontres ont été particulièrement stratégiques, la COP21 a permis de signer un accord historique à Paris, ratifié depuis en moins d’un an, tout en définissant un nouveau mode d’action avec les acteurs non étatiques ; la COP22 de Marrakech a mis l’accent sur l’adaptation et sur l’Afrique, en intégrant pleinement les objectifs de développement durable (ODD). La priorité est maintenant à l’accélération des agendas internationaux, au renforcement des acteurs des territoires, de l’économie et de la recherche et à la mobilisation directe des citoyens. Les engagements chiffrés des pays pris à Paris ne nous mettent pas sur la trajectoire d’une limitation à deux degrés du réchauffement global mais à plus de trois degrés, bien au-delà de la limite nécessaire à la préservation des conditions de vie.
Cette question de la priorisation opérationnelle a été particulièrement à l’agenda de la deuxième MedCOP Climat, celle de juillet 2016 à Tanger, au nord du Maroc. Le Forum méditerranéen s’inscrit dans le prolongement de la MedCOP21 de Marseille, il a réuni plus de 3 000 participants, 340 intervenants… 200 réseaux et acteurs majeurs de 25 pays ont contribué directement à la rédaction d’un Agenda méditerranéen des solutions… mettant l’énergie et l’eau au centre des préoccupations.
Cinq leviers sont communs à presque toutes les démarches. Le premier est la question du financement, donc du modèle économique pour assurer un bon retour sur investissement. La vraie difficulté est de rendre bancable les plus petits dossiers, des indicateurs simples restent à définir.
La deuxième est dans les compétences, le renforcement de capacité face à des transitions profondes des technologies et à la numérisation. Il s’agit aussi d’être capable d’attirer les talents sur toutes les solutions en faveur du maintien des équilibres climatiques et de l’adaptation nécessaire.
La troisième est dans la capacité d’innovation dans tous les domaines. Pour cela la coopération avec les chercheurs dans des agendas rapides est une priorité, ainsi que la capacité des chercheurs à croiser sciences dures et sciences humaines, et à monter des partenariats à l’échelle méditerranéenne au service des technologies.
La quatrième est culturelle. Changer les comportements demande une bonne compréhension des habitudes, des envies, et une compétence en communication/mobilisation. C’est aussi l’importance des régions et des grandes villes, de la capacité des élus à parler directement à chacun pour expliquer, justifier et souvent construire les projets de vie territoriaux post-carbone.
La cinquième est dans la donnée. Chaque action demande la compilation d’informations en grands nombres, et de la capacité à la traiter au service de l’efficacité d’action.
Pour illustrer et bien comprendre ces enjeux, il est intéressant de considérer les technologies de rupture. Une ressource particulièrement mérite que l’on s’y intéresse, c’est l’hydrogène pour la mobilité. Une des catastrophes écologiques du pourtour méditerranéen, surtout au sud et à l’est est le « deux roues thermique ». Scooter, mobylettes et autres polluent et émettent beaucoup de carbone. Bien sûr les moteurs électriques apportent une solution intéressante mais il y a un « fil à la patte », sans parler des risques et du coût du recyclage, il faut de vraies infrastructures urbaines de prises électriques ou de station de distribution haute pression pour faire le plein des véhicules actuels (avec un coût très élevé, environ 1,5 million d’euros en France chaque pompe à hydrogène et des inquiétudes sur la sécurisation).
Une entreprise européenne a imaginé que l’on pouvait stocker de l’hydrogène sans pression. La technologie Stor-H d’Aaqius existe maintenant avec une matrice complexe multimatériaux. Et tout cela tient dans une cartouche de la taille d’une bouteille de soda qui peut se recharger des centaines de fois avec de l’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables. Cela veut dire donc que l’on peut éviter l’infrastructure et même que l’on peut impliquer tout un réseau de distribution, comme les petits magasins, concourant ainsi au développement économique local. Et puisque le raisonnement a été porté à l’échelon territorial, le projet a permis d’imaginer un outil efficace de véhicules en partage, en particulier en free floating. Et puisqu’on pense vraiment territoire, des petites unités vont pouvoir se créer pour remplir les cartouches à partir d’énergies renouvelables comme le solaire, l’hydro et l’éolien ou même la biomasse. Ce qui est d’autant plus intéressant que la cartouche peut servir de complément d’énergie pour la maison ou d’autres véhicules, du type logistique urbaine du dernier kilomètre. C’est un nouveau standard d’énergie pour booster la croissance des pays et permettre facilement aux populations l’accès à l’énergie.
L’histoire est intéressante par sa vision systémique et globale, sa capacité à impliquer tous les acteurs du territoire, le potentiel de création d’emplois, un partenariat original entre petites entreprises et grands industriels, un service amélioré pour les usagers et bien sûr une diminution drastique de l’empreinte environnementale et des émissions polluantes à fort impact sanitaire, en fait une solution à déploiement rapide. Ce projet se décline actuellement au Maroc, en France et en Chine. Mais bien évidemment, ce succès repose sur la clé majeure qui permet la mise en œuvre de solutions à l’échelle du territoire, une réelle démarche multi-acteur qui a pour ambition d’intérêt général le zéro carbone, et pour méthode de vrais partenariats publics privés, gagnant-gagnant.
La France vient d’attribuer à cette technologie son label « Territoires hydrogènes » pour un déploiement national et le Maroc étudie la possibilité de son déploiement dans plusieurs régions.
Le climat en Méditerranée, c’est aussi toute la place à l’imagination, au renforcement de partenariats, au renforcement de compétences… Il faut attirer les talents et les mettre au service de la recherche de solutions environnementales et faire que l’argent disponible sur les grandes infrastructures puisse aussi se rendre disponible pour des projets plus locaux… C’est dans l’approche localisée, multi-acteur et innovante, et dans la liberté de remise en cause totale des politiques énergétiques d’hier.
Gilles Berhault
Délégué général du think-do tank ACIDD, pilote du programme « Lost in transitions ? » et consultant
Porte-parole et coordinateur de la MedCOP Climat (présidence marocaine)
Président du Club France Développement durable