L’énergie a été un facteur important pour créer une solidarité des pays du pourtour du Bassin méditerranéen. Ainsi les exportations de pétrole et de gaz d’Algérie, de Libye et d’Égypte ont contribué à structurer les relations entre les deux rives de la mer Méditerranée. Cependant les évolutions des marchés conduisent à relativiser aujourd’hui cette dimension.
Ces trois pays bénéficient de ressources importantes de pétrole et de gaz. Leur valorisation, en partie par des entreprises européennes, a contribué à l’approvisionnement énergétique de l’Europe.
L’Algérie est le 18e pays producteur de pétrole, le 10e producteur de gaz et le 6e exportateur de gaz. Il a joué un rôle pionnier dans l’exportation de GNL : en 1964 il a mis en production la première usine de liquéfaction au monde à Arzew. Il est significatif que cette usine a été construite par Technip. Le GNL était destiné à l’origine à la France et la Grande-Bretagne. Aujourd’hui les usines de Skikda et d’Arzew approvisionnent le marché européen via la France et la Belgique. L’Algérie a ensuite développé un réseau de gazoducs vers l’Europe : le Medgaz de Beni Saf à Almería en Espagne (2011, 8 Gm3) et le Magreb-Europe via le Maroc. Il a développé aussi un réseau de gazoduc vers l’Italie : Galsi via la Sardaigne et TransMed via la Tunisie et la Sicile (30 Gm3).
La Lybie dispose de ressources pétrolières considérables, les plus importantes d’Afrique. Ce pays était un des plus grands producteurs de l’OPEP en 1973. C’est le 2e producteur d’Afrique et 8 % de sa production est destinée à l’Europe. Ce pays exporte aussi du gaz vers l’Italie via le gazoduc Greenstream (2004, 11 Gm3)
L’Égypte est le 2e producteur de gaz d’Afrique et le 5e producteur de pétrole. Sa production de gaz est exportée en partie sous forme de GNL vers l’Europe. Ainsi, depuis 50 ans, des relations étroites se sont nouées entre les deux rives de la Méditerranée
Cependant depuis quelques années les conditions économiques et géopolitiques ont considérablement évolué. Les capacités exportatrices de ces trois pays se sont réduites de façon importante suite à une baisse de la production et à une augmentation de la consommation intérieure.
La production de pétrole algérienne a baissé de 20 % entre 2005 et 2015 alors que la consommation intérieure augmentait de 70 %. Il en résulte une baisse de 50 % des exportations. La baisse de production de gaz est plus faible (- 6 %), mais la consommation a augmenté de 68 %.
Il en est de même pour l’Égypte dont la production de gaz baisse alors que la consommation intérieure augmente de 9 %/an. D’exportateur, l’Égypte est devenu un pays importateur net de gaz.
Quant à la Libye sa production d’hydrocarbure est très fortement impactée par l’instabilité politique du pays. Alors qu’avant les révolutions arabes de 2011 la production atteignait 2 Mb/j, elle fluctue maintenant de 0,2 à 1,5 Mb/j en fonction de l’évolution des conflits entre les diverses factions armées.
En parallèle les marchés de l’énergie se sont mondialisés et cette dimension régionale perd progressivement de son importance. La consommation de pétrole de l’Europe stagne. La consommation de gaz a baissé d’environ 30 % entre 2010 et 2014 par suite de la concurrence du charbon et des renouvelables pour la production d’électricité. Les pays européens ont aussi largement diversifié leurs approvisionnements pétroliers et gaziers et les fournitures d’Afrique du Nord ne représentent plus qu’une faible part des approvisionnements européens. C’est en particulier pour le gaz que les productions d’Afrique du Nord sont concurrencées par la Russie et demain le seront par les exportations de GNL américaines.
Le seul élément positif ces dernières années est la découverte récente de ressources d’hydrocarbures dans le bassin du Levant qui pourrait ouvrir des perspectives intéressantes de coopération. Le bassin du Levant ressemble à la mer du Nord au plan géologique. Il est à peu près aussi étendu et est bordé par sept pays. Mais il s’agit pour l’essentiel de gaz dont la valorisation est beaucoup plus difficile que pour le pétrole. Par ailleurs leur mise en valeur se heurte à des problèmes géopolitiques évidents compte tenu des conflits dans cette région depuis près d’un siècle. Les frontières maritimes ne sont pas encore toutes délimitées : c’est le cas en particulier pour Israël, Gaza et le Liban. Dans ces conditions la valorisation des ressources de ce bassin prendra du temps.
La Méditerranée est aussi une zone de transit énergétique. Jusqu’à présent les pays du sud de la Méditerranée contribuaient à l’approvisionnement de l’Europe. Ces flux se réduisent pour les raisons expliquées auparavant. Aujourd’hui ils sont remplacés par des flux est-ouest à partir des ressources de Russie et de mer Caspienne. C’est le cas du terminal pétrolier de Ceyhan en Turquie ou du gazoduc Trans Adriatic Pipeline. Ces transits ne contribuent pas, à l’évidence, au développement d’une coopération entre les deux rives de la Méditerranée
Olivier Appert,
président, Conseil Français de l’Énergie