Le livre d’Emile H. Malet est un acte de sagesse. Il enseigne l’équilibrisme. Freud et l’homme juif* interpelle les désordres de notre époque et leur apporte une réponse moderne, subtilement biblique. Héritier du Livre fondateur, l’auteur, « qui sait lire », selon la formule de Lacan définissant l’homme juif, nous apprend à relire et aussi à nous lire nous-mêmes, juifs, et non-juifs. Se déployant dans une recherche inédite sur Freud, sur la psychanalyse et sur le judaïsme, le signifiant juif, éclairé par Emile H. Malet, nous porte et nous signifie, nous tous ensemble, les humains, élus par le primat de l’Esprit, transmis au-delà de la religion et de la nation, en accord avec cette pensée de Freud qui s’ancrait dans la substance historique d’un judaïsme ouvert à l’universel.
Resituant Freud dans la lignée européenne des grands novateurs, Emile H. Malet met en lumière la vocation juive : le don. « Franz Kafka posa les fondements de la littérature moderne… Einstein… Gustave Mahler… Marx… Freud. » Ces êtres inspirés forment, rappelle Emile H. Malet, « la fascinante constellation intellectuelle qui a compté nombre de génies juifs de langue allemande ». Ce que Arthur Koestler commentait ainsi : « Les juifs sont comme les autres mais un peu plus. » et qu’Emile H. Malet explique plus rationnellement : « Ils ne répugnent ni à l’outrance, ni à l’excès, ni à l’audace intellectuelle, sans jamais cesser de s’intégrer de manière ordinaire. » Ce qui n’empêche pas Emile H. Malet de remarquer que Marx, l’un de ces génies de notre modernité, n’en est pas moins responsable d’avoir établi « des équivalences douteuses entre juifs et capitalisme et entre capitalisme et guerre ».
Mais qui est profondément Freud ? Qui est cet antique homme juif, en lui ? Emile H. Malet, à travers les pages de son livre, élucide l’identité d’un « essentiel » qui nourrit notre civilisation. « Il faut, écrit Emile H. Malet, classer le fondateur de la psychanalyse dans la catégorie des juifs d’affirmation de l’espérance, de l’éducation et de la transmission. Mais en demeurant en esprit européen, rationnel et laïc. Et un homme de paix résolument opposé à la guerre et cherchant à comprendre la raison pour laquelle les peuples se haïssent. » L’utilité précieuse de la psychanalyse découle de ce portrait de Freud.
Actualisant et politisant Freud, Emile H. Malet propose ainsi qu’« Israël puise à ce registre freudien dans sa recherche de dialogue avec ses voisins ». Pragmatique, il ajoute toutefois : « Sans être assuré du résultat. » Mais il insiste : « La sagacité politique est le meilleur antidote à la crispation identitaire et nationale, si on l’assortit d’un dialogue entre les populations. »
Orientant sa réflexion sur le conflit israélo-arabe, Emile H Malet continue : « Freud… à l’instar de… Einstein prôna une alliance de paix. » Emile H. Malet précise : « Le refus de tout penchant nationaliste ne permet pas pour autant de ranger Freud dans la lignée antisioniste d’Européens comme Edgar Morin, Stéphane Hessel qui firent du soutien aux Palestiniens et de leur hostilité à Israël leur viatique politique. » Ce que le texte d’Emile H. Malet met particulièrement en valeur, c’est la liberté d’esprit de Freud. « Freud, écrit Emile H. Malet, était instruit des liaisons incestueuses entre religions et nationalismes et des identités meurtrières qui en étaient issues. » En prolongeant l’enseignement de Freud, l’auteur de Freud et l’homme juif fait la synthèse des dangers des enracinements dévoyés, au présent comme dans le passé, et cite le déterminisme nationaliste et fondamentaliste des religions qu’il « retrouve aujourd’hui » à l’œuvre dans l’islam, au sein de l’« islam-jihadisme », également concernant le judaïsme, « dans les colonies israéliennes » de même, qu’hier, « il le fut pour la chrétienté durant les croisades ».
Crise de civilisation, faillite du logos due à l’affaiblissement narcissique et mercantile du phallus en rupture avec le Père et avec la transmission, la limite exprimée par la Loi est aujourd’hui perdue de vue. Aux dix commandements qui manquent au XXIe siècle s’est substituée une parole sans règles contre laquelle Emile H. Malet écrit en énergique défenseur de notre culture en péril, en lanceur d’alerte qui nous avertit du danger de trahir la mémoire, sous le prétexte de doter d’une nouvelle civilisation technologique notre avenir spirituellement fragilisé.
Fils spirituel de « la rectitude morale » de Freud, Emile H. Malet ainsi dénonce « l’illusion d’un homo economicus omnipotent, omniscient et omniprésent ». Un monde moderne aveuglé par le reniement et le pervertissement, dont la psychanalyse demeure l’antidote pacifiant et symbolique.
Chantal Chawaf
*A propos de Freud et l’homme juif, éditions Campagne Première.