Le métro, un lieu sociétal
Le métro, quelle superbe invention d’un temps donné, en notre France ! Dans mon enfance, il y avait des poinçonneurs qui faisaient un trou dans notre ticket tout neuf, acheté au guichet où siégeait le vendeur. Il y avait des tickets jaunes qui étaient valables dans les secondes de la même couleur de l’essentiel des rames du métro et des tickets verts, tickets de première (un seul wagon par rame) plus chers et réservés aux plus riches ou à ceux qui s’en offraient exceptionnellement pour être au calme pendant le trajet, car ils s’étaient fait beaux ou belles pour une sortie exceptionnelle. Bien entendu, vous avez deviné que les secondes étaient archipleines et que les premières, avec des sièges rembourrés alors que ceux des secondes étaient en bois dur, présentaient rarement une forte occupation.
En arrivant sur le quai, il y avait un barrage constitué par une porte super lourde et hermétique qui se fermait un petit temps avant l’arrivée du métro, empêchant ainsi les pressés de courir vers le quai et de provoquer des incidents ou accidents. Derrière la porte s’agglutinaient en râlant mes compatriotes bien entendu pressés ! Il est remarquable que si beaucoup de choses ont changé pour le voyageur utilisant le métro (en particulier cette différence ostensible en fonction de ses finances, qui existe encore dans tous les trains), cette spécificité bien française de rouspéter est au-delà du temps. Quoique, en y réfléchissant, cette qualité latine est moins perceptible dans le métro d’aujourd’hui où je trouve les usagers actuels assez semblables à un troupeau sans berger, résignés à attendre.
Puis à cette époque nous rentrions sur le quai en vérifiant bien la ligne que nous voulions prendre et là, les éventuels contrôles n’étaient pas terminés. Un homme dans un très beau costume (pour la petite jeune fille que j’étais), chef de la station, résidait dans un lieu exigu qui lui était personnel et strictement interdit aux voyageurs, lieu en forme de conque au milieu exact du quai. Ce chef en sortait pendant l’attente de la prochaine rame, regardant avec attention les nouveaux arrivants et avec un grand discernement (que nous souhaiterions à tous ceux qui parcourent aujourd’hui nos nombreuses lignes surchargées en vue de nous protéger d’un éventuel attaquant djihadiste), et arrivait discrètement vers x ou y en qui il avait décelé un certain je ne sais quel trouble, leur demandait leur ticket pour voir si le petit trou était bien là et tout seul. En effet, une des arnaques de l’époque était de réutiliser un vieux ticket que le poinçonneur dans sa précipitation et la répétition épuisante de ses gestes n’avait pas remarqué, ou tout simplement un ticket usagé perdu dans les poches. Donc le chef de la station sentait la gêne de celui ou celle qui avait triché, et avec un grand sourire hypocrite nous demandait à voir notre titre de transport.
La honte me saisit encore en me rappelant ma seule tricherie métropolitaine de ma longue vie ! Un jour, en compagnie de mes parents et de ma petite sœur, pour une raison de très jeune ado en recherche d’une expérience illicite (cela existait déjà et existera toujours, je crois), et sans prévenir ma famille, j’utilisai un ticket déjà poinçonné. Le chef de la station s’approcha de notre petit groupe et demanda à voir nos tickets. Immédiatement, je devins rouge tomate en lui montrant mon ticket. « Mademoiselle, c’est un vieux ticket que vous avez utilisé ; Madame, Monsieur, s’adressant à mes parents, votre fille, je suppose, a triché, je dois dresser un procès-verbal et vous faire payer l’amende correspondante. » Mes parents stupéfaits, car l’honnêteté était le fer de lance de la famille, ont été touchés de sidération. J’étais moi-même, comme je viens de le dire, dans un état intérieur disloqué par ce que j’avais fait. Mais je ne sais pas par quelle force intérieure ou quelle diablerie féminine, je réussis à convaincre le chef de mon erreur involontaire et nous avons pris la rame suivante lavés de tout soupçon. 70 ans plus tard, le temps n’a pas effacé ce souvenir et j’en demande pardon à mes parents, décédés depuis longtemps, car en effet j’étais très consciente d’avoir triché ! Pourquoi cette anecdote ? Parce qu’elle reflète un peu la société d’alors où les braves gens avaient conservé une grande idée de ce qui est légitime ou non et où on ne se pardonnait aucun manquement aux règles de la vie en société. Autre point à souligner, c’est le nombre d’employés vivant dans nos catacombes modernes pour y faire régner l’ordre et la paix. Je n’irais pas jusqu’à dire à notre futur président ou présidente que c’est un moyen de diminuer le chômage en augmentant de manière continue et non aléatoire, comme c’est le cas maintenant, le nombre d’employés chargés du contrôle, mais je soulignerais que le métro était à cette époque humanisé par ces hommes et femmes faisant consciencieusement leur métier et si les vols à la tire existaient déjà aux heures de pointe ,à ma connaissance, on ne parlait pas de viol sur les quais et on ne voyait pas chaque jour et à n’importe quelle heure les tricheurs passant en dessous ou pour les plus jeunes au-dessus des systèmes sophistiqués d’entrée, transformant ainsi le métro en une salle gratuite de sport, sous l’œil indifférent des Parisiens et même du seul et unique employé de la station destiné uniquement à donner des renseignements et nullement à vendre des billets, ce qui le déconnecte, inconsciemment, de l’équilibre économique de la RATP !
Par Monique Adolphe,
Directeur honoraire de l’EPHE, membre de l’Académie nationale de médecine
Chronique sur le « temps signifiant » à retrouver chaque trimestre dans la revue Passages.