L’année 2023 s’achève sur un bilan mitigé pour les entreprises françaises, en témoigne le taux de défaillance des sociétés qui a bondi chaque trimestre. Les causes sont connues, à commencer par les contraintes réglementaires trop nombreuses et les obstacles au financement. Face à ce constat, certains chefs d’entreprises cherchent des méthodes alternatives.
À en croire le ministère de l’Économie et des Finances, tout irait bien dans le meilleur des mondes pour les entreprises françaises. En particulier pour les PME et les ETI qui représentent le moteur de la machine France. Dans son projet de loi de Finances 2024, le gouvernement met d’ailleurs en exergue sa stratégie : « La maitrise de la dépense est clef. L’année qui vient doit être celle de la baisse du déficit. Les économies nous permettront de continuer la baisse des impôts sur les entreprises et de dégager des marges de manœuvre pour investir, créer de la croissance et préparer l’avenir de la France. » Certains y verront une variation sur le thème de la méthode Coué, car les faits contredisent le volontarisme affiché de Bercy : aujourd’hui, de très nombreuses entreprises – PME et ETI – sont en difficulté, avec des destructions d’emplois comme spectre nº1.
Des chiffres alarmants pour les PME-ETI
L’été 2023 a été meurtrier pour les entreprises françaises. Fin octobre, le cabinet d’études Altarès rendait public un rapport pour le moins catastrophiste. Selon les chiffres avancés, entre le 1er juillet et le 30 septembre 2023, 10 979 entreprises sont tombées en défaillance, soit une hausse de 23% par rapport à la même période en 2022. Un sombre bilan, très proche de celui de l’été 2018 qui avait été marqué par un mini-krach boursier. « Depuis début 2022, le nombre de défaillances bondissait en moyenne de 47% chaque trimestre, préciseThierry Millon, directeur des études Altares. Un taux aussi élevé sur une si longue période est inédit. […] Depuis le début de l’année 2023, sur 9 mois glissants, la France enregistre 41 000 défaillances, soit une moyenne de 4 550 défauts chaque mois. »
Cette tendance devrait ralentir, mais l’optimisme ne sera cependant pas au rendez-vous en 2024. Notamment pour les PME et les ETI, plus particulièrement touchées par cette crise structurelle, toujours selon Thierry Millon : « Très fragilisées dès 2022, les PME-ETI représentent désormais 8,2% des défauts. C’est 2% de plus qu’en été 2019 et c’est aussi le taux le plus élevé depuis la crise financière. Dans ces conditions, le nombre d’emplois menacés au 3e trimestre repasse la barre des 37000 pour la première fois depuis sept ans. » Hantise du gouvernement, la courbe du chômage pourrait donc repartir à la hausse.
Les obstacles structurels
Comment expliquer de tels chiffres ? Selon le MEDEF, le fléau nº1 serait l’excès de réglementations venues des bureaux de l’Union européenne à Bruxelles avec, depuis 2017, quelques 502 obligations et 3 670 pages de réglementations fixant le cadre opérationnel des entreprises. « On court tout droit à la catastrophe », dénonçait en avril dernier Geoffroy Roux de Bézieux, alors président du mouvement patronal. Un point de vue entendu par le Sénat qui travaille actuellement à faire cesser l’inflation des normes et obligations réglementaires. Au-delà de l’alerte du principal syndicat patronal, les sénateurs s’appuieraient sur une étude sans concession réalisée par le SDI (Syndicat des indépendants et TPE). D’après cette dernière, ces normes coûtent beaucoup de temps aux chefs d’entreprises, une denrée particulièrement rare pour ceux qui sont à la tête de structures modestes. Leurs structures associatives sont donc à la peine pour porter leurs préoccupations, comme la SDI ci-dessus, ou encore Middlenext, le Réseau Entreprendre, ou l’association Croissance Plus. Leurs constats sur les charges pesant sur leur fonctionnement ne sont pas d’ailleurs pas nouveaux. Dès 2015 Caroline Weber, la directrice générale de Middlenext, en stigmatisait le poids pour les entreprises cotées : « On assiste depuis une dizaine d’années à une hyper complexification : normes comptables, cinq directives européennes […], d’où une perte de sens et une inflation généralisée des coûts de cotation. » Depuis, rien n’a fondamentalement changé, la même association pointant notamment les embûches dressées par les normes IFRS ou encore les avis restrictifs de l’AMF.
Outre ces réglementations trop contraignantes, viennent ensuite pêle-mêle la concentration des pouvoirs dans les instances dirigeantes des entreprises, les dynasties familiales qui s’épuisent à la tête des entreprises, le manque de compétitivité à l’export, les problèmes de recrutement, les choix politiques ayant mené à la désindustrialisation du pays, le coût du travail… mais surtout, l’épineuse question du financement.
Ces dix dernières années, la difficulté de trouver des liquidités est devenue le cauchemar de bon nombre de chefs d’entreprises. Les observateurs financiers ont ainsi noté une très nette attrition sur les marchés mondiaux – France comprise – d’environ 20% depuis 2013. Cette contraction impacte toutes les entreprises, petites et grandes, mais surtout les ETI. Là aussi, le mini-krach boursier de 2018 et les contraintes très restrictives de l’AMF ont laissé des traces : depuis, PME et ETI ont le plus grand mal à accéder aux liquidités. « Cette attrition de longue durée entraîne un cercle vicieux qui se met en place sur la liquidité, explique Dominique Ceolin, PDG d’ABC Arbitrage et lui-même ancien président de Middlenext. Les investisseurs qui achètent veulent pouvoir ressortir un jour. S’il y a moins de liquidités, ils doutent de leur capacité de revente et auront donc tendance à être moins acheteurs. Et s’ils sont moins acheteurs, les entreprises trouveront moins facilement des financements en bourse. Les investisseurs auront donc moins d’offres et vont se désintéresser de ce segment. Tant que nous ne sortirons pas de ce cercle vicieux, cela aura un effet dégénératif. »
Les alternatives pour le financement des PME et ETI
Pour les chefs d’entreprises, les outils financiers restent nombreux mais souvent mal appréhendés, à cause de la frilosité des banques traditionnelles et des normes pléthoriques. À la recherche de fonds, les dirigeants sont d’abord confrontés à leurs partenaires traditionnels – les banquiers – qui accordent de moins en moins de crédits aux sociétés non financières. Ce ralentissement affecte en particulier les patrons en délicatesse avec leur cashflow. « Les entreprises en situation tendue doivent anticiper pour éviter de se retrouver dans l’urgence et dans une impasse avec leurs partenaires financiers », alerte Daniel Biarneix, président de l’AFTE (Association française des trésoriers d’entreprise). Mais quand les banques traditionnelles disent « stop », les chefs d’entreprises ont encore des solutions alternatives à leur disposition.
Pour mobiliser des fonds, les patrons de sociétés peuvent avoir recours, selon leur structure actionnariale, à la dette privée ou aux OCABSA (obligation convertible en action assorties bons de souscription d’actions). « Dans un cycle de hausse des taux d’intérêt et de l’inflation, la dette privée devient un mode de financement privilégié, avancent Marc Karako et Donia Ben Ouirane du cabinet de gestion Park Partners. Cette dette provient de fonds spécialisés, mais également d’investisseurs particuliers par l’intermédiaire des plateformes de financement participatif (crowdlending). La dette privée permet en effet d’obtenir des termes et conditions bien plus flexibles que celles des emprunts bancaires traditionnels. Ce type de dette, généralement sans garantie particulière et donc plus onéreuse que l’emprunt bancaire classique, est un bon compromis en cette période d’instabilité. » Chez ABC Arbitrage, Dominique Ceolin confirme : selon lui, la dette – cotée ou non – peut être une alternative intéressante pour trouver des financements : « Les brokers et les banques conseils peuvent aussi proposer des produits hybrides, entre actions et dette, pour aider les chefs d’entreprise dans leurs projets de développement. La bourse constitue une excellente boîte à outils. »
La flexibilité est aussi l’un des avantages des OCABSA, grâce à la réactivité des financeurs susceptibles de mobiliser les fonds nécessaires à la relance de telle ou telle entreprise. « Nous mettons à la disposition des entreprises les solutions de financement qu’elles ne trouvent pas ailleurs, affirme Hugo Pingray, cofondateur d’Alpha Blue Ocean (ABO), un family office leader européen sur ce segment de marché. Leur accès difficile aux capitaux est notamment lié au fait qu’il s’agit la plupart du temps de PME, qui ne font pas l’objet d’une cotation de leur risque crédit par les agences classiques de financement. Cette absence de rating, ajoutée aux critères prudentiels liés à Bâle 3 qui éliminent d’entrée certains secteurs d’activité, a pour conséquence que les banques refusent de les financer. » Grâce aux OCABSA, Alpha Blue Ocean a par exemple permis à Europlasma – un fleuron technologique tricolore au bord du gouffre – de se relancer industriellement, ou à Pharnext – une biotech en manque de liquidité – de poursuivre la mise au point d’un médicament révolutionnaire.
Les milliers d’entreprises en difficultés de financement en France ont donc des solutions, mais ces dernières doivent être structurées sur mesure et mises en place en appréhendant correctement les risques. Encore faut-il que le cadre normatif ne leur mette pas de bâtons dans les roues et que les chefs d’entreprises puissent avoir y accès. Avec à la clé – et ça, le gouvernement le garde forcément en tête – la préservation de l’emploi dans les territoires et la poursuite de la politique d’innovation si chère au locataire de l’Élysée.