J ’ai vécu toute mon enfance à Sevran, bien connu depuis une période récente parce qu’appartenant au célèbre département francilien numéroté 93. Petite fille je trouvais ces lieux très calmes, un peu de poésie venait du canal de l’Ourcq où les chemins de halage existaient et par forte chaleur on s’y baignait. Je crois que ce calme n’était qu’apparent, car mes parents me protégeaient des soubresauts de la grande histoire française qui se déclara de nouveau en 1939 et où je ne vis au début que la joie de vacances avancées!! Inconscience de l’enfance, car dieu sait si la France était agitée par des mouvements divers en cette période. Mais l’agitation par définition est un mouvement en tous sens qui n’est pas obligatoirement efficace, ce qui fut le cas puisque nous fûmes envahis pendant de longues années et sauvés grâce nos alliés.
Cette période de guerre fut terrible pour beaucoup de nos compatriotes et même pour la petite jeune fille que j’étais, car on manquait de beaucoup de choses dans le domaine alimentaire et également vestimentaire. Je me souviens que lors d’un hiver très froid de cette période de guerre où on n’avait pas les moyens de se chauffer correctement, on voyait sur la fenêtre de la salle de bains de mes parents de véritables stalagmites de glace sur les vitres que nous transformions, avec ma sœur, en jolis dessins grâce à nos doigts un peu plus chauds que les vitres. On avait également pour marcher des galoches en bois, qui résonnant fortement sur les trottoirs, ne nous réchauffaient pas pour autant les pieds ce qui aboutissait à avoir de douloureuses engelures. À cette époque, il y eut aussi de l’agitation secrète sous le nom de résistance, mais cette agitation avait un but noble : nous libérer du joug de l’ennemi. Puis ce fut la Libération et la création de la Communauté européenne. Les Français globalement ont été heureux de reconstruire leur pays dans l’espérance totale que l’ère des guerres était finie, au moins pour l’Europe, car nous raisonnions égoïstement pour les grands pays occidentaux. Il y avait bien ce mur qui nous séparait d’un ancien ami : la Russie, et derrière lequel se passaient certaines choses entourées de mystère, jusqu’au moment où des intellectuels russes réussirent à faire traverser le mur à leurs écrits, démontrant que derrière ce mur la joie de vivre n’était pas présente.
Le retour de l’agitation intérieure
À l’échelle de la chercheuse scientifique que j’étais devenue, j’ai senti réapparaître peu à peu l’agitation intérieure dans notre pays, qui eut son apogée en 1968 où l’agitation devint désordre pré-révolutionnaire. Cette agitation qui fut accompagnée de violence, sans jamais de perte de vie fut à l’origine d’un bouleversement sociétal important, dont nous continuons à découvrir les conséquences dans les domaines les plus divers comme le nouvel équilibre autour de la structure familiale modifiée par la montée en puissance du féminisme et l’acceptation de l’homosexualité. La question qui se pose est : est-ce que cette agitation s’est calmée ? Bien sûr que non, elle a repris même vigoureusement, avec l’apparition spontanée des gilets jaunes qui dura toute l’année 2019. Et depuis le début de décembre 2019 jusqu’au début de 2020, avec les grèves affrontant syndicalistes et les forces de l’ordre de la République dans les manifestations. Au-delà, on peut dire que l’agitation a pris le chemin de la violence dans les villes où le nombre d’agités très divers, des jeunes aux seniors, dans l’universalité de leurs actions se sont additionnés d’un nombre non négligeable de personnes qui n’ont qu’un seul but : transformer cette agitation intrinsèque en véritable guérilla urbaine ou même plus large.
Pourquoi notre peuple, et donc nous-mêmes qui en faisons partie sommes toujours tentés par des modifications non pacifiques de notre société? Nous avons, je crois, un énorme orgueil venu de notre passé, et nous avons le sang chaud de notre origine latine! Je comprends mieux ainsi, dans cette analyse grossière de notre caractère national qui n’a pas évolué durant ma longue vie, que les Anglais ne nous aiment guère et soient globalement favorable au Brexit! Et pourtant, si je poursuis mon analyse, les Anglo-saxons sont aussi terriblement orgueilleux, donc ce n’est pas la seule raison. Une enquête génétique approfondie pourrait peut-être répondre à ma question, mais le brassage ethnique qui s’amplifie par l’intensité des migrations dans notre monde globalisé n’aboutira jamais à un résultat valable et inattaquable! Donc pour conclure, notre Histoire grande et petite démontre qu’à toute époque l’agitation nous habite, nous les Français, avec des influences mondiales comme la révolution de 1789 ; de cette période sanglante nous avons gardé un goût profond pour du mouvement, quelquefois stérile ou quelquefois utile. Quant à moi, j’aimerais que nous continuions à nous agiter, non pour briser du matériel urbain ou brûler des voitures qui sont le symbole pour ces casseurs de notre civilisation actuelle qu’ils exècrent, mais pour des causes valables comme la lutte contre le réchauffement climatique ou l’augmentation de l’équité entre nous.
Alors, cette agitation qui est en train de déborder largement nos ex-frontières et presque notre planète dans son entièreté aura toute sa valeur. Mais, pour ce faire, est-il utile de transformer notre agitation en vraie violence, aussi bien dans les gestes que dans les esprits? Je ne crois pas, car la violence engendre par retour la violence de l’adversaire et il faut un long cycle de temps pour aboutir aux résultats espérés et à l’oubli pardonné. Rappelons-nous le rôle essentiel de leaders non violents aussi bien aux Indes, en Afrique du Sud et aux États-Unis. Vous allez me dire que ces victoires anti-ségrégations raciales peuvent renaître de leurs cendres. Mais, ce qui est gagné, c’est que maintenant la notion de race s’efface au moins en surface du langage culturel mondial, alors que l’agitation violente n’arrivait à rien depuis plusieurs centaines d’années. Donc l’agitation sans violence oui mais ne jamais perdre de vue, pour nos leaders qui jouent un rôle, pas toujours généreux en notre France, que notre penchant pour l’agitation dégénère le plus souvent en violence. Et si on essayait la non-violence absolue pour changer un peu afin de lancer une non-violence à la française pour une fois ou pour toujours ! Un rêve?
Monique Adolphe, Membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie