Deux ouvrages, écrits respectivement par la nièce du Président Donald Trump et par John Bolton, son ancien conseiller, malmènent le président américain, qui s’est présenté entouré de sa famille à la Convention républicaine d’avant-élection du 4 novembre pour conjurer un naufrage politique.
Qui emportera la course présidentielle le 4 novembre 2020, Donald Trump, le candidat sortant ou Joe Biden, le candidat choisi par le parti démocrate? En pleine campagne électorale, et afin de «mettre en garde l’Amérique», Mary L. Trump, la nièce de Donald Trump sort un livre intitulé «Trop et jamais assez. Comment ma famille a créé un monstre». L’ouvrage, sorti aux États-Unis en juillet dernier, paraît en France en octobre, chez l’éditeur Albin Michel. Un autre livre explosif par John Bolton, l’ex-conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, «La pièce où cela s’est passé : mémoires de la Maison-Blanche», a été publié en juin dernier et sera traduit courant octobre.
Ensemble, les deux témoignages démolissent Trump de l’intérieur. Mary Trump balaie avec un revers de main l’idée que son oncle s’est construit lui-même par la force de son caractère et par son intelligence. Elle démontre que c’était Fred Trump, son grand-père, et le père de Donald qui ont bâti un empire immobilier. Au fil des années, il a transmis des milliers de dollars à Donald, son fils préféré, pour lui permettre d’investir dans de nouveaux projets. Mary Trump détaille les nombreuses faillites de son oncle et le fait qu’il n’a jamais pâti de ses échecs. John Bolton, pour sa part, revient sur les 453 jours qu’il a passés au service du Président Trump à la Maison Blanche. Avec la précision d’un preneur de notes, Bolton montre l’incongruité de la politique de son patron, le chaos qu’il a instauré pendant ses quatre ans au pouvoir et son goût pour les leaders autoritaires.
La force de l’ouvrage de Mary Trump, psychologue de profession, est dans les souvenirs de sa famille et dans son regard de clinicienne. Elle raconte son histoire familiale de manière distancée, privilégiant les événements et leur impact plutôt que les émotions. Le livre commence par la visite aux urgences en pleine nuit de Mary Trump, la femme de Fred Trump, la mère de Donald, suite aux complications engendrées après la naissance de Robert, le petit dernier. Fred Trump, déjà un homme puissant, a des connexions à l’Hôpital Jamaica, au cœur du Queens, et il arrive à obtenir les meilleurs médecins pour sa femme. Mary survit, mais passe les prochains six mois à l’hôpital en développant une forme sévère d’ostéopathie et souffre de fêlures spontanées à ses os.
Le résultat, déduit Mary la nièce, c’est que les cinq enfants : Maryanne, l’aînée, Freddy, Donald, Elizabeth et Robert, n’ont pratiquement pas de parents. Comme leur mère est absente, émotionnellement et physiquement, du fait de ses blessures, leur père devient le seul parent par défaut. Fred Trump n’a pas le temps de s’occuper de ses jeunes enfants et consacre ses journées à Trump Management, comme si ses enfants pouvaient s’occuper d’eux-mêmes. Mary Trump note que son grand-père se concentrait sur ce qui comptait pour lui : son business qui grandissait rapidement et le développement de Shore Haven et Beach Haven, deux projets résidentiels massifs à Brooklyn.
Les enfants de Fred et Mary apprennent à ne dépendre sur personne et même la solidarité entre eux est limitée. Ils sont éduqués dans des écoles privées et participent aux colonies d’été, mais tous les membres de la famille, «sont l’objet d’une combinaison étrange de privilèges et manque de soins. Il y avait une incertitude créée intentionnellement que tout cela (la fortune) allait durer», écrit Mary Trump. Chez les Trump, il est interdit d’échouer. Et c’est le drame de Freddy, le père de la jeune Mary et le fils aîné de la famille. Il porte le prénom du père et il est censé prendre sa suite à la tête de l’entreprise familiale mais il n’a pas le goût pour les affaires. Fred Trump attend de son fils qu’il soit un « killer», quelqu’un qui assume son rôle comme manager et brise les obstacles. Freddy s’éloigne du carcan familial et devient pilote pour la TWA, ce que Donald ne comprend pas, «Quelle différence avec un chauffeur de bus?», s’exclame-t-il. Donald observe le père qui humilie son fils aîné et ajuste son comportement pour être tout le contraire de Freddy et gagner la confiance du père. D’après Mary, son oncle c’est un génie de l’autopromotion et un menteur sans vergogne – pour arriver à une chose qui lui a toujours échappé : un niveau de célébrité qui soit égal à son égo et satisfasse son ambition, ce que l’argent n’a jamais pu faire.
Menaces sur l’Amérique
John Bolton offre une autre vision de Trump dans son livre, à peine plus flatteuse. Dès les premières pages de son opus de 500 pages, il cite Hobbes sur l’existence humaine, «solitaire, pauvre, méchante, grossière et courte» pour décrire la vie des technocrates à la Maison-Blanche. Bolton, qui a servi les trois dernières administrations républicaines, se décrit comme «très engagé» et prêt « d’y aller encore», en accompagnant la victoire inattendue de Trump en 2016. Pour l’ancien conseiller, de nouvelles menaces et opportunités pour les États-Unis se présentaient après huit années de présidence de Barack Obama. Il y avait beaucoup à réparer, d’après lui, notamment en ce qui concerne la sécurité des États-Unis dans un monde tumultueux : la Russie et la Chine à un niveau stratégique; l’Iran, la Corée de Nord et d’autres états voyous (rogue states) aspirants à l’arme nucléaire; le tourbillon du Proche[1]Orient (Syrie, Liban, Irak et Yémen) et la menace du terrorisme radical islamiste; l’Afghanistan et les menaces dans l’hémisphère occidental, comme Cuba, le Venezuela et le Nicaragua.
Dans son livre, Bolton revient sur la stratégie de Trump, ses motivations, ses faiblesses et ses processus de pensée. Dans le chapitre intitulé «Tonnerre de Chine», Bolton détaille les raisons pour lesquelles la Chine doit être considérée comme une menace pour les États-Unis et le monde. Pour lui, Trump incarne l’inquiétude grandissante des États-Unis vis-à-vis de la Chine, considérant qu’une puissance politico-militaire repose sur une économie forte. Plus l’économie est forte, plus forte est la capacité d’un pays à soutenir des budgets militaires et de renseignement afin de protéger les intérêts de l’Amérique et concurrencer les puissances hégémoniques rivales.
Malgré la clairvoyance de Trump sur la Chine perçue comme une menace, Bolton soutient que l’administration de la Maison-Blanche n’a pas su élaborer une stratégie. Trop souvent, écrit-il, l’administration s’est enfoncée dans un trou noir de bisbilles commerciales avec la Chine. En réalité, la stratégie de Trump consisterait à «réunir des armées petites de gens dans le Bureau ovale ou dans la Roosevelt room pour débattre des questions complexes et controversées». Souvent, d’après Bolton, émergeait une conclusion un jour et une autre conclusion le lendemain, mais jamais n’apparaissait de véritable politique.
Une autre critique épinglée par Bolton, les tweets imprévisibles et déstabilisateurs de Trump, particulièrement au sujet de «la relation personnelle avec le Président Xi (Jin Ping)». Non sans aigreur, l’ancien conseiller soutient que pour Xi Jin Ping, les relations personnelles ne l’ont jamais empêché de faire primer les intérêts chinois. Il en serait de même avec Poutine.
Ces deux ouvrages feront du mal à Trump, cherchant à l’affaiblir, qui (Mary) sur le plan familial et intime et Bolton d’un point de vue politique et stratégique. Reste à savoir si Donald Trump trouvera les ressources pour contrecarrer ce portrait décapant. Pour le moment sa gestion de la crise sanitaire et l’affaiblissement économique ne plaident pas pour, mais l’actuel président, aidé de sa famille appelée à la rescousse, cherche à montrer un côté compassionnel, unificateur et proche du peuple américain. « Seul rempart pour préserver l’unité nationale», selon sa femme Mélania au cours de son intervention à la Convention républicaine de Charlotte.
Sonya Ciesnik