Concilier les défis de la mobilité et ceux de la transition écologique, c’est clairement le défi auquel se trouve confrontée Elisabeth Borne, nouvelle ministre de la transition écologique et solidaire mais qui conserve sa responsabilité de ministre des transports. C’est aussi le problème de chacun, qui doit vaquer à ses occupations mais aussi assouvir son désir de rencontres et de découverte de nouveaux espaces, tout en préservant le climat et l’environnement. C’était l’ambition du Forum franco-allemand 2019 de Strasbourg d’identifier quelques pistes pour promouvoir un monde apaisé, soucieux de son futur, mais assurant, avec un maximum de confort et de sécurité, la satisfaction des besoins d’échange et de déplacement qui sont consubstantiels à l’être humain.
Un effet rebond
Pendant des décennies, le secteur des transports a été le mauvais élève de la classe : il est le seul, en France comme ailleurs, dont les consommations et les émissions de CO2 n’ont pas diminué par rapport à 1990. Non pas que le progrès technique n’ait joué son rôle : nos voitures consomment beaucoup moins de carburant qu’elles n’en consommaient il y a 30 ans[1]. Mais l’effet « rebond » est venu compenser ces effets bénéfiques et, en France, les émissions de CO2 du secteur des transports sont ainsi supérieures en 2017 à ce qu’elles étaient en 1990[2]. L’explosion du trafic aérien est un exemple patent de l’augmentation de la consommation que peut induire le progrès technique et économique.
De plus, le débat ne pose plus aujourd’hui en termes de pourcentage annuel d’économies d’énergie, l’urgence climatique impose des solutions de rupture et l’éradication aussi rapide que possible des combustibles fossiles de l’économie et de la vie quotidienne, pour atteindre au plus tôt la neutralité carbone. Car n’oublions pas que le CO2 s’accumule dans l’atmosphère, de façon quasiment irréversible, pour des centaines voire des milliers d’années, entraînant des dérèglements climatiques dont on commence à réaliser l’ampleur qu’ils vont revêtir.
Les véhicules électriques
Que cela plaise ou non, le chauffage au gaz ou les voitures à essence doivent entrer dans les abécédaires de l’histoire. Dans le domaine des transports, les progrès réalisés au cours des dix dernières années sur la filière électrique, offrent une fenêtre d’opportunité qu’on espérait voir venir depuis des décennies. Les véhicules électriques circulent à présent sur nos routes, des modèles de plus en plus nombreux sont proposés aux usagers, les prix les rendent abordables et les performances en sont acceptables. Du côté de la filière électrique hydrogène, le développement est moins avancé mais le marché s’ouvre du côté des transports professionnels lorsque notamment la quantité de batteries à embarquer devient prohibitive.
Tout n’est pas parfait : des progrès sont encore attendus sur les batteries et les infrastructures de recharge notamment. Mais il faut avant tout que les usagers s’approprient les solutions électriques pour la mobilité comme ils l’ont fait en leur temps pour l’éclairage, l’équipement domestique du foyer ou pour le chauffage. Il faut faire comprendre au public que l’électricité est aujourd’hui le moyen le plus efficace pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles et pour réduire les pollutions de toute nature qui affectent nos villes.
Le pari n’est pas gagné car les mouvements écologiques conservateurs s’obstinent à vouer aux gémonies l’énergie nucléaire et à vouloir faire croire que la solution aux problèmes de l’environnement passe par la sortie du nucléaire. Ce faisant, leur combat rétrograde tend à discréditer dans l’esprit des Français l’usage de l’électricité, qu’ils assimilent au nucléaire, alors que l’énergie électrique est aujourd’hui le meilleur moyen de promouvoir les énergies renouvelables (éolien ou solaire) et de s’exonérer de la dépendance aux énergies fossiles.
Il faut apporter des réponses construites, compréhensibles par nos concitoyens, aux questions légitimes qu’ils se posent sur les nouvelles dépendances à des matériaux rares, sur la pollution que pourraient induire les batteries, sur les conditions dans lesquelles il convient de les produire et de les recycler. Il faut aussi assurer la survie de l’industrie automobile, française comme allemande, dans cette transition schumpetérienne et convaincre nos concitoyens, après l’épisode des Gilets jaunes, qu’un futur existe et que la transition écologique ne se résume pas une taxe sur le CO2 qui serait la gabelle des temps modernes.
Les responsables politiques doivent faire corps avec ceux de la technique et de l’économie : leur parole est aujourd’hui systématiquement mise en cause par les « experts indépendants » de tout poil qui ne doivent leur indépendance qu’à leur incompétence. Ce dénigrement de la parole publique et des sachants est observé en France comme en Allemagne ; le Forum de Strasbourg peut devenir un lieu d’expression auquel le public pourra accorder sa confiance.
Mais si le Forum a clairement montré que la question de la réappropriation de l’énergie électrique par le public se posait en Allemagne comme en France, il en ressort également qu’il excède le cadre du citoyen. Il ne s’agit pas de remplacer pièce pour pièce les voitures à essence par des voitures électriques. La mobilité électrique amène à repenser l’intégration des nouvelles mobilités, sous toutes leurs formes (on le voit avec la problématique des trottinettes), dans leur environnement, qu’il s’agisse des réseaux électriques, des bâtiments, des quartiers, et de la ville dans son ensemble.
L’avènement de la mobilité électrique se fait de façon concomitante à la révolution du numérique. Du recours coordonné à ces deux approches, peuvent résulter de nouvelles avenues de progrès. Le numérique permet de réaliser des véhicules plus fiables, plus sûrs et d’organiser et de piloter les trafics. Mais il permet aussi de développer les mobilités virtuelles du télétravail, de la télémédecine, de la télémaintenance, de la téléadministration… et c’est grâce au numérique que peuvent se développer l’autopartage et le covoiturage.
Vers le véhicule autonome
Tout doucement nous glissons ainsi vers le grand défi de la décennie qui vient, celui du véhicule autonome. Peut-on imaginer que nous entrions dans un monde de vehicle as a service, dans lequel un véhicule ne serait plus 95 % de son temps en stationnement mais serait, comme les avions, en utilisation quasi permanente ? L’enjeu en est considérable. Le véhicule électrique n’apporte pas en lui-même de solution au problème de l’encombrement de l’espace qui conditionne l’avenir de nos villes. Le vélo électrique, la trottinette et autres engins apportent un début de solution sous réserve que la cohabitation avec les piétons et les autres utilisateurs de la voirie puisse être organisée et réglementée, comme la nouvelle loi d’organisation de la mobilité (la loi LOM) est censée le permettre. Mais c’est bien le véhicule autonome qui constituerait la disruption nécessaire. Certains doutent de sa faisabilité. D’autres, toujours plus nombreux, y travaillent et font état de progrès importants. Réjouissons-vous de vivre cette période de transition exceptionnelle où le progrès technique peut, à nouveau, être source de progrès social et de mieux-vivre.
Jean-Pierre Hauet, Président du comité scientifique d’Équilibre des Énergies
[1] 7,50 l/100 km en 1995 pour les véhicules essence neufs et 5,10 l/100 km en 2018 (chiffres ADEME).
[2] 123,4 Mt de CO2 en 2017 contre 117,1 Mt en 1990.