Le marché intérieur de l’énergie est en construction depuis plus de vingt ans : les différents paquets législatifs successifs depuis 1996 ont progressivement converti la multitude de systèmes énergétiques nationaux (pour la production, le transport, la distribution et la fourniture d’énergie) vers un marché unique européen de l’énergie.
Les résultats sont probants et positifs pour la France : le système est optimisé (la France a pu exporter de l’énergie 95 % du temps en 2017 mais, en même temps, a pu importer jusqu’à 15 % de sa consommation nationale à des moments clefs), les flux aussi (grâce au couplage des marchés), le développement des infrastructures également (grâce à la procédure de projets d’intérêts communs – PIC). Le consommateur est le bénéficiaire de ce système : les offres sont diverses (39 fournisseurs en France), les prix bénéficient de la concurrence, la qualité de service est améliorée grâce au suivi par les régulateurs, la transition énergétique est engagée. La sécurité d’approvisionnement générale en Europe a été améliorée : les exemples récents d’accidents (explosion à Baumgarten en Autriche en décembre 2017) ou d’incidents (baisse de fréquence sur le réseau suite à une erreur entre l’Allemagne et l’Autriche en janvier 2019) ont été gérés par le système sans rupture d’approvisionnement.
Les enjeux de demain de l’Europe de l’énergie
Le système européen doit continuer à s’adapter pour répondre à la révolution de la transition énergétique : la flexibilité du système était jusqu’ici assurée au niveau de la production électrique (avec des centrales qui pouvaient être appelées ou interrompues en fonction des besoins), alors que la consommation était essentiellement invariante et non-flexible. À l’avenir, la flexibilité des moyens de production sera complétée par la flexibilisation du réseau et de la demande ainsi que par des nouvelles capacités de stockage.
Gouvernance générale
La méthode européenne actuellement trop focalisée sur une harmonisation technique des échanges aux frontières doit évoluer car les problématiques changent (congestions internes, mix énergétiques non coordonnés). Une meilleure coordination des politiques énergétiques est nécessaire pour éviter des coûts de réseau inutiles ou des surcapacités structurelles.
Infrastructures
Les besoins en réseaux vont aller croissant (avec le développement des ENR) mais leur taux d’utilisation va baisser (avec l’autoconsommation, la décentralisation de la production). Il est donc important d’améliorer la coordination des investissements de production et de réseaux de transport voire de distribution.
La planification des nouvelles infrastructures européennes doit faire l’objet d’une approche collaborative entre les régulateurs et les ENTSO à l’occasion notamment de l’élaboration des scénarios de long terme. L’accessibilité et l’intelligibilité des méthodes de modélisation des systèmes en seraient améliorées et doit se focaliser sur la construction du marché intérieur.
Une approche pragmatique de sélection des PIC permettant de prendre la décision d’investissement après une évaluation de la pertinence du projet par les régulateurs est nécessaire pour éviter des projets inutiles pour la collectivité. La décision de partage des coûts pour ces projets devrait également intégrer une évaluation des subventions possibles.
Électricité
La mise en œuvre des nouvelles règles d’usage des interconnexions électriques issues du paquet « une Energie propre pour tous les Européens » appelle à une certaine vigilance : il est nécessaire de veiller à ce que la capacité additionnelle dégagée par l’interconnexion apporte plus de valeur que les coûts générés pour garantir cette capacité à la frontière. Il est également fondamental que chaque pays assume les développements nécessaires de son réseau national pour une utilisation optimale des interconnexions.
Gaz
Le gaz « vert » doit être favorisé comme outil au service de la transition énergétique (pour les véhicules lourds ou le passage de la pointe électrique). Il est par ailleurs important de songer à rééquilibrer les rapports de force sur les marchés du gaz, où les producteurs extra-européens ont gagné en puissance (gas release).
Il faut également repenser les systèmes électrique et gazier avec une meilleure coordination entre les deux secteurs énergétiques pour faciliter une approche globale de la transition énergétique.
Innovation
L’innovation doit être stimulée pour répondre aux enjeux énergétiques de demain. De nouvelles flexibilités majoritairement décentralisées doivent être développées (stockage, effacement, batteries de véhicules électriques) et leur usage optimisé notamment grâce à une amélioration de la coordination entre GRT et GRD.
Le consommateur doit pouvoir devenir consomm’acteur, c’est-à-dire prendre le contrôle de son approvisionnement énergétique et de sa consommation grâce aux innovations technologiques.
Le régulateur devrait pouvoir expérimenter (bac à sable réglementaire) des solutions sur les nouveaux sujets complexes.
Le rôle des régulateurs pour préparer l’avenir
Les régulateurs européens se sont entendus sur une stratégie axée autour de 3 idées principales :
1/ La digitalisation dans l’intérêt du consommateur tout en le protégeant
2/ La décarbonation du secteur de l’énergie au moindre coût
3/ La régulation dynamique
La CRE a participé à la définition de cette stratégie. Elle a également engagé un travail de réflexion large sur l’avenir de l’Union de l’énergie qui a donné lieu à un colloque le 15 février 2019 en présence de la Commission européenne. Ont été traités le futur paquet « gaz », le règlement infrastructures et la mise en œuvre du CEP. Le travail d’exploration se poursuit avec l’ambition d’aboutir à des positions prêtes pour les prochains Parlementaires européens et le Commissaire européen à l’énergie.
Plus que jamais l’avenir de l’Europe se construit en Europe.
Michael Mastier, Directeur des affaires européennes, internationales et de la coopération – CRE