L’Océan Planétaire et ses confidences
Comme je l’ai dit précédemment à propos de la mer, quand j’étais enfant les océans représentaient un infini, ou un fini dont les limites dépassaient l’imagination. Seuls quelques aventuriers utilisaient des bateaux plus ou moins aménagés pour vivre un moment sur cette immensité salée. Certains très riches avaient des yachts de luxe avec tout un équipage pour les transporter d’une île à une autre ou faisaient la traversée Paris-New York sur les premiers paquebots capables de le réaliser en une ou plusieurs semaines.
L’océan appartenait aux pécheurs partis pour plusieurs mois dans des conditions rudes en mer d’Islande par exemple. Le transport maritime de gros conteneurs était inexistant ; il en était de même des courses en solitaire. Mais l’océan était déjà l’océan avec ses humeurs partagées entre le calme plat et les énormes tempêtes dont les vagues déferlaient sur les chalutiers ou tout autre bateau.
Cet Océan je l’ai aimé aussi bien sur les côtes de plusieurs continents et de nombreuses îles où lors de quelques traversées, je lui parlais comme à un ami et je recevais ses confidences ; il avouait qu’il pouvait être gentil ou méchant vis-à-vis de tous ces minuscules humains qui en période de tempête se contentaient de le narguer en s’approchant très près de ses bords. Il me disait: « Moi Océan, je me fâche pour cette audace à mon égard et j’en emporte quelques-uns au fond de mes abîmes. J’avoue que je continue encore ce jeu dans ce 21e siècle. Mais en saison douce je ronronne aux pieds des enfants qui chatouille mes vagues et j’avoue que je continue encore ; bien que certains mois de l’année dans plusieurs endroits ils sont si nombreux que le chatouillis devient frottement rude et cela me fatigue. Tout serait donc comme avant, si l’ensemble des humains de la planète n’avait pas fortement augmenté en nombre et polluait à qui mieux mieux aussi bien mes côtes que mes grands fonds. Je déplore beaucoup de changements qui me rendent acariâtre.
D’abord mes hôtes favoris, les poissons, diminuent car les hommes en mangent plus que la reproduction naturelle est capable de remplacer et de plus se querellent pour en pécher le plus possible ; je sais qu’il existe une organisation internationale qui tente de réguler ce problème avec plusieurs systèmes comme les eaux territoriales et les quota mais, en dépit des contrôles, ces règlements ne sont pas toujours suivis et cela provoque des batailles entre tous les pécheurs et je n’aime pas être à l’origine de différends humains car moi Océan j’aime équitablement tous les habitants de toutes les terres.
De plus si les poissons et autres bestioles vivant en mon sein diminuent, les déchets humains, hélas, les ont remplacés en particulier par des tonnes de plastique qui tournent en boule dans une de mes zones très agitées entre les deux grands continents : l’Eurasie et les Amériques ; les humains envisagent de s’en débarrasser mais je ne sais ce qu’ils attendent car cette masse me prend un espace de plus en plus grand, de la taille d’un grand pays comme la France. J’essaie bien de réduire ces plastiques en minuscules fragments, mais ce n’est pas une bonne solution car ces petites particules sont avalées par mes poissons, eux-mêmes par les humains et les offices internationaux disent que ce sont de véritables polluants pour l’humanité, alors que faire ? Je crois que les hommes disent « qui pollue, paye » ce n’est donc pas à moi de m’en occuper, c’est à eux !
Mais il y a pire dans la pollution de mon eau , ce sont tous ces innombrables bateaux qui me grattent le dos, de cela j’en ai l’habitude, mais maintenant n’utilisant plus la force de mon ami le vent pour se déplacer ils utilisent l’énergie des dérivés du pétrole qu’ils rejettent non loin de mes côtes, volontairement ou à la suite d’un accident, en créant des masses flottantes qui tuent inexorablement mes poissons, mes algues et même les oiseaux migrateurs qui volent au-dessus de ma surface, car quand ces derniers se posent sur moi ils sont aussitôt recouverts de ce liquide gluant dit mazout et meurent de ne plus pouvoir s’envoler. Certains humains regroupés en association écologique les capturent avec douceur et les débarrassent de cette noirceur puante pour rendre à leurs ailes leur couleur et fonction initiale. Ces Humains-là se donnent beaucoup de mal pour réduire tout ce gâchis fait par d’autres humains qui ne réfléchissent pas beaucoup, ou veulent, comme d’habitude, gagner un peu plus d’argent. Je connais la puissance de l’argent qui existe depuis un temps infini, puisque dans mes fonds il y a de nombreux bateaux endormis, et les hommes s’y intéressent surtout quand ils apprennent d’après de vieux grimoires que tel bateau avait les cales emplies d’or !
Alors je deviens acariâtre ; pour le moment je me contente d’augmenter le nombre et la force de mes tempêtes ce qui me permet de grignoter un peu de la terre indispensable aux terriens car ils ne peuvent pas vivre en mon sein avec leur ridicule poumon capable seulement de respirer l’atmosphère. Mais ce grignotage va obliger certains à s’exiler loin de mes bords et la migration dont les plus riches se plaignent sans arrêt va augmenter ; avec mon ami le vent on a commencé de prévoir d’accroitre ses cyclones et tous les deux on a déjà réalisé un Tsunami hyper puissant qui a voulu être une alerte pour qu’enfin les hommes deviennent raisonnables et arrêtent d’être des prédateurs pour leur planète qui est aussi la mienne. Ils ne songent qu’à augmenter leurs échanges lucratifs en utilisant beaucoup ma surface à l’aide de paquebots gigantesques portant soit du fret dans des conteneurs (que je récupère de temps en temps, ce qui n’arrange pas mes fonds) ou des voyageurs dans des vraies villes où ceux-ci retrouvent tout ce qui les intéresse sur la terre ferme, c’est-à-dire restaurants, bars, cinéma, musique, danse et même de l’eau emprisonné dans ce qu’ils appellent une piscine et où ils nagent. Je me demande à quoi je sers ! Peu me regardent, m’admirent, rêvent en voyant ma beauté. J’ai peur là aussi de me fâcher terriblement un jour !
Enfin jusqu’il y a peu de temps ma température était variée mais constante avec des zones hyper froides et d’autres chaudes ; il y avait des grands courants qui créaient des zones douces ou fraîches que les hommes connaissaient bien et s’y étaient adaptés. Mais maintenant mes extrémités se réchauffent très vite de leur faute et cela me gêne beaucoup car la diversité de mes animaux et de mes plantes se modifie et je suis très anxieux des conséquences que cela aura pour moi et aussi pour eux. Ils commencent à s’en inquiéter vraiment, mais là aussi l’ensemble des dirigeants de la planète ne sont pas tous d’accord et je me demande si je ne vais pas être obligé d’inventer avec mon ami le vent quelques catastrophes afin que les humains se dépêchent d’oublier leurs échanges commerciaux, leurs revenus financiers et acquièrent de nouveau cette sagesse qui leur a permis au cours des millénaires d’évoluer mais pas de modifier gravement notre planète.
Monique Adolphe
C’est à ce moment que les confidences de l’Océan se sont arrêtées, je ne sais si j’ai rêvé ; mais si c’est le cas ce rêve est, hélas, bien proche de la réalité d’aujourd’hui.