La définition du mot « désir » (le sens qui nous intéresse) dans le dictionnaire est la suivante : « Elan physique conscient qui pousse quelqu’un à l’acte ou au plaisir sexuel ».
Que dit ce « désir » si on y ajoute un adjectif ? L’adjectif « féminin ». Désir féminin : « Elan physique conscient qui pousse la femme à l’acte ou au plaisir sexuel ».
On pourrait faire pareil avec l’adjectif masculin. Un adjectif n’est là que pour préciser la couleur, la forme, le goût… pour apporter la nuance. Dans les lignes qui suivent je vais justement aborder ces nuances qui n’ont pas beaucoup varié au cours du temps.
Certains en me lisant parleront sans doute de « clichés », mais les clichés sont des clichés parce qu’ils expriment suffisamment de vérité pour être répétés, et ce, depuis les siècles des siècles (lol !).
Un bon lavage de cerveau qui a consisté, consiste, ou consisterait à nous faire prendre des vessies pour des lanternes peut en leurrer certains, peut leurrer un certain temps, mais la nature a toujours le dernier mot… On n’innove pas, on ne modernise pas, on ne réforme pas, on ne renouvelle pas le désir… c’est lui qui nous enflamme, c’est lui qui nous impulse, c’est lui qui nous ébranle, c’est lui qui nous transforme !
La grande particularité du désir, c’est qu’il n’est pas forcément « politiquement correct », qu’il échappe à notre contrôle ! Quelle horreur ! Eh oui, on peut désirer une personne du même sexe, on peut désirer le mari de sa meilleure amie, on peut désirer le curé de la paroisse, on peut désirer le pire des crétins… La liste n’est pas exhaustive. Et Shakespeare a raison quand il dit : « Si l’amour est aveugle, sa flèche ne saurait atteindre le but »… car c’est le désir qui est aveugle.
Le désir étant le moteur de la sexualité, on peut en déduire que sans lui la relation du couple n’existe plus… ou alors, elle doit être sublimée (au sens psychanalytique).
Entre désir féminin et désir masculin, il y a beaucoup de similitudes mais on a mis longtemps à le comprendre, surtout à l’accepter. Jusque dans un passé récent, il n’était pas de bon ton qu’une femme exprime son désir… Le désir féminin était diabolisé, réprimé donc rendu discret par les interdits religieux, les interdits sociaux, les interdits moraux… Mais il était.
Aujourd’hui la pression s’est relâchée (si on oublie les extrémistes de tout poil), mais elle est encore perceptible. (Exemple : une femme qui multiplie les partenaires est une fille facile, une nympho, une salope ; un homme qui multiplie les partenaires est un play-boy, un séducteur, un bourreau des cœurs…).
La récente campagne de pub contre le sida qui parlait aux homosexuels hommes est un bel exemple de ces deux poids, deux mesures. Je rappelle les slogans : « Avec un amant, avec un ami, avec un inconnu… coup de foudre, coup d’essai, coup d’un soir »… On voit qu’à travers ce message, on accorde une grande liberté amoureuse à la gente masculine… Pour le couple hétéro autre exemple, « faites l’amour, pas la guerre… », un slogan utilisé dans les années 60 par les opposants à la guerre du Viêt-nam qui est aussi un message que l’on adresse aux hommes : ce sont eux qui font la guerre, donc on peut en déduire que ce sont eux qui font l’amour… C’était juste un clin d’œil sur l’actualité.
Mais est-ce suffisant de dire que la société étouffe ou a étouffé le désir féminin ? Est-ce que le désir féminin n’a pas également un lien avec les organes féminins ? Ceux de la femme sont moins visibles que ceux de l’homme (qui se manifestent de façon très expressive, chacun le sait !). Ce qui expliquerait que le désir de la femme soit un désir plus introverti…
L’apparence joue un rôle important dans le déclenchement du désir, le premier sens sollicité est donc la vue. Sur les sites de rencontre qui pullulent, c’est une photo qui sert d’appât. L’homme a souvent derrière la tête (restons-en à la tête !) un plan cul. Et ce côté expéditif n’est pas forcément bien perçu par les filles. Elles ont besoin de plus de temps pour aboutir au même résultat. Parce que, quand elles font la démarche de s’inscrire sur les sites de rencontre, elle cherche un homme, pas dix, pas quinze. Même celles qui disent chercher un plan cul, elles cherchent l’homme de leur vie ou en tout cas l’homme avec qui elle ferait bien un bout de chemin. Pour elles comme pour Jean de La Fontaine dans les deux derniers vers d’un de ses poèmes :
« Aimer sans foutre est peu de choses,
Foutre sans aimer, ce n’est rien. »
Si les apparences déclenchent le désir des deux sexes, il y a une différence qui me semble fondamental entre le désir féminin et le désir masculin : la femme prend l’homme dans sa globalité, alors que l’homme morcèle le corps de la femme. Lui peut désirer une femme en ne voyant que ses fesses, donc en la voyant de dos ou en lorgnant son décolleté. D’ailleurs, c’est souvent comme ça que les hommes en parlent (un beau cul, une grosse paire de nichons…).
Pour ces mêmes raisons, le désir de la femme est moins pulsionnel, il est plus exigeant. Soit parce que la femme a dû s’habituer à maîtriser ses pulsions, soit aussi parce qu’il y a une différence hormonale (elle a moins de testostérone…).
Une autre différence me paraît assez significative, la femme doit se sentir désirable pour s’autoriser le désir. Le désir de l’homme a le pouvoir de transformer la vision qu’elle a de son propre corps. L’inverse est moins nécessaire. (Les hommes ont facilement recours à des prostituées, pour les femmes, c’est exceptionnel.)
Le désir féminin est une réponse au désir masculin. Parfois le désir de l’homme peut éveiller le désir de la femme alors qu’elle n’y pensait pas. Ou, même si la femme s’exprime avec un regard qui en dit long, elle attend de l’homme qu’il se manifeste avant de donner sa réponse (peut-être pour lui faire croire que c’est lui qui décide).
Le problème du désir, pour les deux sexes, c’est évidemment la monogamie. La monogamie, c’est le confort, c’est une assurance pour l’avenir mais l’être humain a aussi besoin de passion, d’émotions fortes pour se sentir exister, voire pour se dépasser. Ces deux souhaits le tirent dans des directions opposées et renoncer à l’un ou à l’autre c’est le condamner à une insatisfaction perpétuelle.
La monogamie était sans doute supportable quand les gens mouraient plus jeunes. La sexualité dans le couple est quelque chose de nouveau. Avant, au mieux, il y avait la passion avec la durée qu’on lui connaît, puis la femme oubliait la sexualité pour élever ses enfants, l’homme pouvait la chercher en dehors du foyer. Mais aujourd’hui, on fait moins d’enfants, on vit plus longtemps et la question de la sexualité se pose dans le couple : les femmes osent revendiquer et exprimer leur désir. La contraception et l’avortement sont évidemment des éléments majeurs dans cette évolution des mœurs. Ils ont déresponsabilisé la femme s’agissant du passage à l’acte (qui pouvait amener la grossesse). « That’s one small step for man, one giant leap for mankind. »
Dans la relation monogame le désir s’émousse et si rien n’alimente ce désir la femme se lasse sans doute plus vite que l’homme. Après une dispute, un porte-jarretelle suffit au conjoint pour passer à autre chose… La femme a du mal, sans doute encore une fois, parce qu’elle ne morcèle pas le corps de son partenaire. Si elle veut prendre du plaisir, elle doit changer de logiciel et passer du désir pour l’homme au désir pour l’acte, c’est un désir qui la satisfait moins.
Dans la relation sexuelle, la femme aime plutôt être dominée physiquement, une domination consentie bien sûr. Et même si elle se comporte comme une dominatrice, elle cherche les limites. On retrouve cette domination dans la position instinctive des corps amoureux enlacés. L’homme domine souvent par sa taille, sa stature, sa façon d’étreindre la femme. Il domine par la pénétration. C’est une domination physique mais intimement liée au consentement. Sinon ce n’est plus un acte sexuel, c’est un viol.
La réponse qui revient quand on demande aux femmes la définition de l’homme idéal (et qu’on les torture un peu pour les faire avouer) est pratiquement toujours la même : qu’il soit protecteur, qu’il ait un physique attractif, qu’il soit viril (sens propre et figuré du dico), qu’il ait du pouvoir, qu’il soit insaisissable… Elles ont besoin d’admirer l’homme.
Les femmes ont un problème entre l’homme qu’elles fantasment (l’amant idéal) et le mari idéal. C’est pourquoi je parle de les torturer pour les faire avouer. Elles donnent une définition quand elle pense au mari, une autre quand elle pense à l’amant. C’est un peu moins vrai pour les hommes (femme idéale/maîtresse idéale).
J’ai écrit un roman, Crazy in Love, qui correspond à un schéma codifié du fantasme féminin et j’ai vu il n’y a pas longtemps une vidéo qui a beaucoup de succès sur Facebook et qui est une caricature du désir que je décris dans mon livre. Je dis bien une caricature.
On y voit deux trentenaires dans un restaurant, lui ne parle que de son travail, on sent qu’elle en a marre de l’écouter, elle fait des tentatives pour lui prendre la main, lui met son talon aiguille entre les jambes et l’homme recule, visiblement il est mal à l’aise. Alors la femme s’énerve, lui dit que s’il est aussi chiant quand il parle que quand il baise, ce n’est pas gagné… Elle s’était imaginé qu’il allait la traîner par les cheveux dans les toilettes en la traitant de pute, qu’il allait lui claquer les fesses, l’obliger à faire une gorge profonde…. Bref, la totale… Bon, la chute, c’est qu’elle s’est trompée de jour, aujourd’hui c’est son rendez-vous LinkedIn, un rendez-vous travail, pas son rendez-vous Tinder.
Là, on n’est plus dans quelque chose d’officiel comme la campagne de pub contre le sida, on est dans une vidéo comique destinée à faire rire le plus grand nombre, donc on y voit une femme qui souhaite être dominée, c’est une caricature, mais c’est forcément fondé sur le réel… sinon ce ne serait pas aussi drôle.
Pour résumer, je dirais que la femme cherche souvent l’amour ou en tout cas quelque chose qui ressemble à l’amour (elle veut être désirée, que l’on s’intéresse à elle, elle veut provoquer un sentiment chez l’autre). Elle souhaite passer de l’amant idéal au conjoint idéal. Et ce n’est pas si facile. Le désir sans amour n’est pas longtemps satisfaisant pour la femme, elles rêvent que désir et amour fusionnent, parce que, plus que les hommes, elles ont besoin de se projeter. A cause de la maternité ?
J’aimerais souligner que, même opprimé, le désir de la femme s’est toujours fait entendre, l’histoire et la littérature le prouvent. Ce désir est intemporel, il n’a pas vraiment changé depuis des siècles.
Et pour finir, il me semble que ces deux citations de Simone de Beauvoir résument un peu le sujet.
Elle écrit dans Le Deuxième sexe : « La femme n’est victime d’aucune mystérieuse fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux. »
Et puis dans les lettres à Nelson Algren, son amant : « Je serai sage, je ferai la vaisselle, je balaierai, j’irai acheter moi-même des œufs et du gâteau au rhum, je ne toucherai pas vos cheveux, vos joues ni votre épaule sans autorisation. […] Jamais je ne ferais des choses que vous ne voudriez pas que je fasse. »
Et ces deux citations ne sont pas contradictoires…
Cf. Depuis notre table ronde du 5 décembre, j’ai écouté Amélie M. Chelly, docteur en sociologie religieuse et politique, qui travaille sur le recrutement des femmes par Daech. Elle s’exprimait dans l’émission d’Yves Calvi 24 heures en questions, et a abordé le sujet qui nous intéresse. Qu’est-ce qui pousse ces jeunes femmes dans les bras des islamistes radicaux ? Voilà une des principales raisons, presque mot pour mot : les hommes se dévirilisent, ils ne sont plus un pilier de protection… C’est pourquoi elles fantasment sur les combattants qui sont des hommes virils, capables de mettre leur vie en danger. Et ce que dit Madame Chelly, c’est qu’elles ont transposé leur désir, des stars hollywoodiennes (c’est vrai qu’ils ont souvent des rôles virils) aux combattants de Daech. A méditer !
Olivia Koudrine