La France a mal à son éducation, comme au reste (chômage, faible croissance, rébellions et violences des jeunes générations…), mais à moins d’un an de l’élection présidentielle et des législatives qui suivront, les politiques s’intéressent au sujet. Ceux qui sont au pouvoir distribuent des subventions, ceux qui rêvent de le conquérir avancent des propositions – qu’ils n’ont jamais tenues lorsqu’ils l’exerçaient. A la vérité, personne ne sait que faire face à la kyrielle des problèmes : l’échec scolaire est patent dans les territoires déclassés, l’obtention d’un diplôme ne garantit pas un emploi digne de sa qualification, l’école ou l’Université et les entreprises se regardent en chien de faïence avec pour conséquence des formations au rabais ou inadaptées, la relation maitre-élève est battue en brèche par une pédagogie du nivellement, la transmission des connaissances ne rencontre pas le désir de savoir… la liste des déraillements éducatifs n’est pas exhaustive et elle aurait tendance à s’amplifier avec l’introduction massive du numérique qui bien souvent aplatit la dimension culturelle au profit d’une sociologie de la virtualité. A cela s’ajoute une pression des élèves sur leurs enseignants, au gré des humeurs et des modes, des convulsions religieuses et d’un prêt-à-penser faisant écho aux pulsions ethno-identitaires, et les professeurs ont tendance à fuir un réel perçu légitimement comme une menace.
Ce tableau de la morosité éducative ne représente fort heureusement pas tout le champ de l’éducation. Il y a des écoles et des universités qui fonctionnent correctement, où les savoirs sont transmis et intégrés par les élèves et avec des résultats professionnels conséquents : la culture demeure malgré tous les avatars consuméristes de la mondialisation une denrée précieuse dans notre pays et la laïcité reste vent debout – car elle est le précieux héritage des Lumières.
Eduquer n’est jamais facile, tout comme gouverner, faisait remarquer lucidement Freud, tout en y ajoutant en clinicien averti psychanalyser. Mais pour l’individu qui cherche à dépasser l’état de nature, le choix éducatif s’avère prioritaire sinon primordial. Au niveau de l’Etat-nation, la citoyenneté est une part de l’éducation et, sans cet habit civilisé, c’est l’âge des foules qui guette avec son cortège de méfaits qui ont nom : populisme, égoïsme, nationalisme, revanche sociale. La situation n’est pas la même, dans les pays riches et les pays sous-développés, dans les démocraties et les dictatures, mais l’éducation apparaît partout malmenée et subit les assauts de la médiocrité ambiante. Les résultats s’avèrent dramatiques dans les pays pauvres et mal gouvernés, les inégalités se creusent et le malaise social grandit dans les pays dits démocratiquement avancés et industrialisés.
Dans ce contexte, qui pénalise les individus et les Etats, les élèves et les enseignants et in fine toutes la société, que faire ? Nous nous bornerons à évoquer l’éducation en France1 et réfléchir à quelques propositions.
D’abord, rien ne se fera sans le concours, de l’ensemble de la classe éducative, c’est-à-dire les élèves et le corps enseignant qui se retrouvent les premiers concernés. Aucune avancée innovante n’est brevetée d’avance, qu’elle émane du sceau syndical ou des parents d’élèves, quand bien même ces groupes institués ont droit au chapitre, mais plus dans l’accompagnement ou la régulation des dysfonctionnements que pour impulser des réformes. Le pouvoir politique est à même de pérenniser le fonctionnement harmonieux des structures éducatives, mais il a montré par le passé comme aujourd’hui son incompétence à imposer des diktats culturels qui s’avèrent contre-productifs et bien souvent nuisibles. Quant à l’agitation permanente autour de marottes touchant aux rythmes scolaires, aux congés toujours à trouver, à des ajustements pédagogiques incessants, les pouvoirs politiques ne résistent pas à la tentation de marquer de leur empreinte une énième réforme éducative, ce qui ne fait qu’ajouter à la déstabilisation de l’outil (écoles, universités, centres de recherche…). Reste à trouver la structure de concertation idoine entre élèves et enseignants, entre les autres acteurs et l’Etat, pour discuter des projets et des innovations, les adapter en fonction des situations et rendre leur faisabilité accessible au plus grand nombre – sans sacrifier à la médiocrité. Relever le niveau des plus faibles, maintenir l’excellence.
Faire cesser la compétitivité entre le virtuel et l’écrit – qui va toujours s’exercer au détriment de cette dernière approche. Le virtuel, l’omniprésent ordinateur avec Internet et les réseaux sociaux, ne peut pas tout et bien souvent organise le moins disant éducatif. Préserver une place à l’écrit est la condition d’une éducation moderne et synchrone des temps de la civilisation. L’écrit n’a pas l’instantané pour principe directeur, il permet d’envisager le temps long des événements et leur cadrage historique. L’écrit a une grammaire et privilégie la syntaxe sur les émotions, il permet une meilleure intégration par l’acquisition de la langue et de la culture au pays d’accueil (si on est immigré). L’écrit, c’est aussi l’accès au livre et aux grands auteurs, anciens et modernes. L’ordinateur a pris trop d’importance par les facilités qu’il procure (recherche de références, citations, traduction, contacts, agendas, courriers…) pour pouvoir s’en passer dans l’enseignement, la recherche et les nouvelles communications. Mais il faut en réguler l’usage en accordant une place confortable à la lecture et l’écriture, le calcul aussi.
Les matières enseignées doivent-elles faire l’objet d’une évolution constante ? Oui et sans retranchement. Il est évident que devant les grandes transformations, celles afférentes à l’écologie, au développement durable et au numérique, il y a une actualisation des connaissances éducatives nécessaire pour permettre aux jeunes générations de trouver leur place dans la société et d’assurer la relève des anciens. Mais, cela ne doit pas s’opérer au détriment des matières de base (histoire, géographie, grammaire, physique, chimie, mathématiques, langues anciennes) qui constituent le socle des humanités. Les humanités sont à l’école ce que les racines sont à l’arbre, mais le tronc et les arborescences sont au contact de la réalité et de l’environnement.
Que faire du religieux ? Il ne faut pas en faire un cas à part. L’enseignement religieux concerne au premier chef les écoles religieuses, mais l’enseignement des religions est un volet des humanités et des échanges culturels entre civilisations.
Il y a aussi la question de la sélection, des notes, des classements… tous sujets sensibles et pour lesquels il faut éviter de légiférer dans la précipitation. Car nous sommes confrontés à des intérêts divers, des contradictions, des situations particulières. Sous prétexte de bien commun, qui demeure l’objectif à promouvoir, l’éducation doit aussi laisser place à une prise de risque individuelle et à l’éclosion des talents originaux, des créations originales, du génie hors normes. L’éducation doit d’abord être au service de l’intérêt général sans brider ceux qui veulent aller plus loin en enrichissant à leur tour le champs des découvertes, des connaissances, des talents et des innovations. L’éducation est aussi transmission et elle implique le bonheur d’instruire.
Emile H. Malet
- Nous publierons prochainement les actes du colloque sur l’Education qui s’est tenu les 20/21 mai à la Mairie du VIe arrondissement de Paris.