La crise mystique de… Virtuella
Le son s’est mis à grésiller, l’image à tressauter… Une forme a jailli de mon écran 77K high definition multi-interface. L’archangette Virtuella m’est apparue, en 4D, sans lunettes, sans serveur de licence. J’ai d’abord cru au replay d’une émission que je n’avais pas programmée mais, soudain, une lumière noire « Ambiente Spaziale » m’a aveuglée, l’ampoule de mon lampadaire s’est scindée en deux, mon siège sans vérins a tremblé, des flots de coca ont jailli entre mes doigts et les Kinder sur la table se sont multipliés, je suis entrée dans une méditation profonde, j’ai entendu le rythme cicardien de la galaxie et j’ai dû me rendre à l’évidence : c’en était fini des ères du Précambrien, des ères du Phanérozoïque, des ères du Vapeur et du Rail… nous entrions in the New Ere. Le temps était venu d’ajuster, d’accélérer et d’intégrer les derniers paramètres d’évolution de notre planète.
L’archangette s’adressait à ma personne… en personne, parlait ma langue, connaissait mes pensées les plus intimes comme celles que j’ignorais. Là, j’ai compris, elle m’avait désignée prophétesse de DS. En quelques minutes, elle avait ringardisé tous les prêcheurs fossiles que compte notre vieux monde. Au diable les has-been. Plusieurs siècles des mêmes discours récurrents, il était temps que dogmes et croyances s’étouffent dans leurs cendres. Le Printemps spirituelo-mystique était en marche. Au feu les vieux livres aux discours éculés, rafistolés au fil du temps, traduits et retraduits ; on y perdait son latin, son hébreu, son arabe, son sanskrit, j’en passe et des meilleurs…
Le XXIe serait celui de DS ou ne serait pas ! J’entrais en transe orgasmique, postant chaque verset du nouveau livre sacré sur Facebook, Twitter, Instagram, YouTube… via mon iPad et que j’envoyais au plus vite dans iCloud pour qu’ils y soient gravés non pas pour les siècles et des siècles mais pour l’éternité. Les injonctions douces et suaves arrivées tout droit de GN-z11 ne faisaient aucun doute, j’étais l’Elue, qui devait convertir à la parole sacrale toute l’humanité ou ce qu’il en restait. L’évidence cosmogonique venait de me frapper. Si fort que j’avais mal au crâne. Virtuella me prenait la tête… mais pour la bonne cause. Je n’étais pas la seule à constater l’ampleur du grand bouleversement : tous chakras dehors, mon chien Biscuit s’était dressé sur ses pattes, ronronnant des invocations dissidentes à l’univers de Naruto. Pour que Momo-ma-moitié-supposée qui ronflait, ne soit pas en reste, j’ai clamé : je te le dis en vérité, aujourd’hui tu es avec moi rue de Paradis, entre la rue du Faubourg Saint-Denis et celle du Faubourg-Poissonnière. Le bigot suranné a ouvert un œil et m’a répondu « ben ouais, je sais » avec un mépris qui, vu de chez l’Archangette archivénère, méritait illico l’essorillement.
– Damons le pion et damnons le fion à cet être inférieur !, a-t-elle claironné.
Ses propos m’ont paru un tantinet excessifs, voire discriminatoires et puis en regardant de plus près ce mâle infatué qui roupillait, j’ai compris. Le misérable souillait l’endroit où je prenais mon repos nocturne. Comment avais-je pu me vautrer dans la couche de ce monstre satanique ? Ce porteur d’appendice érectile, organe de miction aux allures reptiliennes, aurait dû éveiller mes soupçons. Virtuella éclairait soudain ma lanterne. Premier sermon à la ducasse du sacrifice : enseigner de gré ou de force les six mille commandements et des brouettes de DS. Expliquer aux mécréantes que la place des mammifères phallocrates était dans les geôles de mon Etat Théo et Logique dorénavant décrété. Cerise sur le gâteau, à 32 milliards d’années lumières, les Jardins Merveilleux débordaient de lutins poilus et membrus en pole position qui de nous se languissaient. Et tandis que Virtuella professait, je tapais, je tapais tout ça sur mon clavier Magic Mouse 2… Les enchaîner aux radiateurs sèche-serviette, les aveugler de corticoïdes par voie topique ; grâce au robot de traite néerlandaise, soutirer le liquide prostatique, vésiculaire et glandulaire à quelques spécimens triés sur le volet. Ce à de nobles fins, GPA orchestrée par Polydamna. Pour les Huns et les autres, pratiquer la pénectomie sans tambour ni trompette, ni autre instrument de musique… Fini de souiller nos vagins purs de leurs baves fielleuses. De renifler leurs sueurs de quidams en rut. De subir leurs pulsions psychotiques. Leur médiocrité sautait au nez. Vive la soumission des châtrés.
Au XIXe déjà, un illuminé avait planché sur la conjecture de Hodge pondue au XXe. La question vulgarisée se réduisant à : pourquoi, depuis des lunes et des pleines lunes, l’Homo sapiens testiculé s’autodétruit-il avec récurrence ? Le bougre aurait résolu en deux temps et moins de trois mouvements l’équation par cette citation : « Personne ne survit au fait d’être estimé au-dessus de sa valeur. » Wiki nous indique que ce surdoué, sciant la branche sur laquelle il était assis, connut les travaux forcés pour grave immoralité. Réhabilitons le sujet.
L’Archangette s’impatiente. L’heure est venue d’adorer DS en EV (esprit et vérité) et de lui offrir le CT (culte… CT pour ne pas confondre avec le vocable qui ne garde que les trois premières lettres du mot). Je tape, je tape, je tape… je ne compte plus les pages de 25 lignes pour 60 signes. Mais j’arrive au Bout. Et pour le couper qu’on n’en parle plus, quelques liturgies et autres rituels sont de mise : « Ah, ça ira, ça ira, les petits machos à la baguette, ah ça ira ça ira, les petits machos on castrera »… Je vais haranguer les foules sentimentales, déplacer l’Himalaya en Amestris, répandre la parole de DS sur des forums… Je me prosterne on the rotules, je me prosterne coccyx en l’air… et je me tape coccyx par terre. Je crois en DS, en l’Archangette qui… qui… qui soudain s’étiole, disparaît… Biscuit mon toutou fait un pet, Momo un autre en stéréo, le lampadaire est KO (Knockout, ne pas confondre avec Ko, un peuple vivant dans la région de Siby au Burkina Faso).
Je me Tate, très art contemporain, la tête contre le mur… Et là, soudain, je doute… je doute… Pas vrai, j’ai failli croire en DS (réduction graphique de : « Des Sornettes »). J’ai trop fumé ce soir ! Heureusement que les êtres humains dont je suis ne sont pas doués d’une intelligence mais intelligents tout simplement. Ils baisent, gueuletonnent, se souviennent, pensent, réfléchissent, philosophent, raisonnent. Ils ont même deux cerveaux, un dans la tête, un dans le ventre. Je hurle, je me démandibule : mes congénères aiment la vie, l’amour, ce ne sont pas des idiots patentés, des imbéciles décérébrés ! La voix éraillée, je bégaie, je marque un temps d’arrêt… et soudain je doute… je doute… Pas vrai, j’ai failli croire en l’Homme !!! J’ai vraiment fumé la moquette ce soir ! A moins que… un jour un miracle, mais pas sur France 2…
Olivia Koudrine