C’est une bien belle histoire que nous raconte Gérald Garutti avec Haïm à la lumière d’un violon[1] après avoir monté un spectacle éponyme, vibrant de vie. Coïncidence combien signifiante, il n’est question que de vie dans l’histoire vraie de Haïm Lipsky, Haïm est un prénom hébreu qui se traduit en français par la vie, un survivant de la Shoah qui a vaincu la mort des camps de concentration en s’aidant de l’archer de son sublime violon.
Haïm vient du Yiddishland, cette contrée imaginaire et réelle d’Europe centrale et orientale où les juifs ashkénazes vivaient dans la promiscuité et l’oppression imposées par un environnement hostile. Des juifs bien souvent maltraités, progromés et dont la majorité d’entre eux furent raflés et gazés dans les camps nazis. Haïm, natif de Lodz, la deuxième ville juive de Pologne avant la Seconde Guerre mondiale, est de cette engeance souffrante et décimée à Auschwitz, Maidanek, Treblinka… et autres tombeaux industriels édifiés par la soldatesque nazie. De cette génération plongée dans l’abîme concentrationnaire, Haïm survécut à toutes les épreuves – et elles furent nombreuses et aiguës – en s’accrochant à son violon comme à une bouée de vie et de survie. La jouissance à tout prix, aurait dit Lacan, pour échapper au spectre de la mort raflant tout signe de vie sur son passage.
A la différence du spectacle[2], d’une grande richesse lyrique et où la musique emplit la scène et le cœur des spectateurs d’une grande gravité joyeuse, l’ouvrage de Garutti emprunte deux niveaux littéraires : une première partie narrative de la traversée de vie quasi séculaire de Haïm Lipsky, de sa naissance dans le Yiddishland à Auschwitz et plus tard au XXe siècle lors de son établissement à Haifa, avec ses souvenirs et sa descendance musicale ; un texte plus philosophique vient en ponctuation pour poser des questions sur la concordance entre le temps théâtral et le mode d’écriture, sur la Shoah comme curseur du mal absolu, sur la culpabilité récurrente à toute situation de survie, et à propos de l’interrogation métaphysique : « Comment écrire ou philosopher après Auschwitz ». Cette espèce de dichotomie n’est pas un artifice d’auteur, mais plutôt une distance subjective requise pour approcher au plus près la réalité d’une situation en lui conservant sa trame d’authenticité, l’épopée de Haïm Lipsky et qui témoigne de la talentueuse interprétation scénique et scripturale de Gérald Garutti. Un pari doublement gagné.
Emile H. Malet
[1]A propos de Haïm à la lumière d’un violon, Gérald Garutti, Editions Robert Laffont.
[2] Dont Passages a rendu compte au cours d’un entretien avec Gérald Garutti par Emile H. Malet et Armêl Balogog, Passages n° 172.